A l’instar du chanteur Bertrand Belin dans un merveilleux album sorti en 2013, Damien Manivel a choisi d’explorer le potentiel poétique d’un parc et d’en faire le cadre d’aventures étranges dans un film minimaliste, attachant et par moments un peu ennuyeux. Le parc, enclave de verdure au sein de la ville, à mi-chemin entre le square et le bois, propice au jeu, à la promenade et la rêverie, ou à l’éclosion de l’amour, est filmé comme un espace solaire. C’est là que, par une belle journée d’été, deux adolescents se donnent leur premier rendez-vous. Elle, timide et gracieuse, passe en terminale. Lui, tout aussi réservé, est déjà à l’université. La conversation s’amorce, maladroite, hésitante, au gré des déambulations des jeunes gens dans le parc, pour laisser la place à la complicité et au désir. D’éclats de rires en courses-poursuites, les corps se rapprochent et les adolescents tombent amoureux. Mais quand le soir tombe vient l’heure de se séparer. Le réalisateur parvient alors à transformer cet espace ordinaire en décor inquiétant et tout semble possible, même les rencontres les plus improbables. Si Damien Manivel se déclare passionné par le cinéma d’épouvante, sa démarche n’a pas grand-chose à voir avec celle d’un Alfred Hitchcock qui, dans la séquence finale de L’inconnu du Nord-Express, fait d’une fête foraine le théâtre sordide d’une traque au meurtrier. Il s’agit davantage pour le réalisateur du Parc d’investir un territoire a priori balisé, banal et familier, pour en dévoiler les facettes insoupçonnées et le versant nocturne.

copyright Shellac

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      Le Parc partage avec Un jeune poète, le premier long-métrage du réalisateur sorti en 2015, le goût de la flânerie permis par le désœuvrement estival. De même que l’adolescent lunaire et dégingandé incarné par Rémi Taffanel errait dans les rues de Sète, nos deux héros sillonnent le parc en tous sens, empruntant ses multiples sentiers, conversant sur ses bancs, s’allongeant sur ses pelouses ensoleillées, ou se dissimulant dans ses bosquets pour se caresser. Cet arpentage semble un prétexte pour filmer le parc sous tous ses angles, pour donner à voir les variations sensibles du paysage et de la lumière, la beauté des ciels. C’est que le parc constitue en définitive le personnage principal du film, périmètre enchanté qui abriterait les amours passagères des jeunes héros. S’il se pare d’atours féériques, c’est aussi qu’il est vu à travers le regard de la jeune fille, en caméra subjective, et qu’il devient le lieu d’une utopie sensorielle et amoureuse. Mais autant Un jeune poète était un film bavard, autant Le Parc délaisse la parole pour faire entendre d’autres voix : les dialogues, dont on pourrait déplorer la pauvreté, y sont rares. Le badinage adolescent passe autant par le corps que par la parole ; aux phrases un peu gauches et convenues succède le langage harmonieux des corps désirants. Le silence qui ponctue les échanges des personnages permet de laisser résonner les échos enchanteurs du parc : le vent qui bruisse dans les feuilles, le concert des oiseaux, les rires des enfants, riches d’une virtualité magique, fabuleuse.

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      Damien Manivel ne propose pas avec Le Parc un film réaliste, bien que le choix d’acteurs non professionnels ou d’un décor unique puisse rappeler le genre documentaire. Avec une impressionnante économie de moyens, le jeune réalisateur parvient à transformer la promenade de deux adolescents en balade enchantée. Et lorsque la jeune fille se retrouve seule dans le parc déserté, tout prend alors une coloration inquiétante : le bruit d’un train au loin ou celui d’un vélo qui grince semblent pleins de menace. De longs plans fixes enregistrent le déclin progressif du jour, comme en écho à la détresse du personnage.  A la nuit tombée, rien n’est reconnaissable et le parc dont on pensait avoir exploré tous les recoins semble s’animer. La voûte étoilée et l’astre lunaire projettent une lumière fantastique sur les êtres et les choses, les branches sont devenues lianes et la caméra fait apparaître soudainement une chouette qui ulule, possible clin d’œil à l’onirisme de La Nuit du chasseur. Comme dans un conte de fées, le parc prend des allures de forêt profonde, espace cauchemardesque et initiatique où lois du jour n’ont plus cours : on y marche à reculons, on y communique en dansant, les gardiens se transforment en princes charmants et les jeunes filles deviennent somnambules. Que se sera-t-il passé cette nuit-là ? On pourrait laisser à Bertrand Belin le dernier mot : « Il y avait bien quelqu’un dans un parc / Je revois bien quelqu’un / Debout dans un parc / Mal tenir / De là à dire / Qu’il s’agirait de moi »…

Durée : 1h12

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A propos de Sophie Yavari

2 comments

  1. Michel

    Un vrai moment de poésie, de calme, de la tendresse, de la souffrance…
    Un cadrage et une lumière fantastique.
    Un film à aller voir sans tarder !

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