Plasticienne, photographe, scénariste et réalisatrice, Charlotte Colbert, en plus de jouir d’une renommée mondiale, a expérimenté une multitude de disciplines artistes avant de passer au long-métrage. Depuis 2008, elle est l’auteure de plusieurs courts-métrages pour lesquels elle s’est essayé à diverses techniques telles que l’animation (The Girl with Liquid Eyes, The Man with the Stolen Heart), le noir & blanc (The Silent Man) et évidemment la couleur (Huffs and Puffs), Présenté au festival de Locarno en 2021, son coup d’essai She Will remporte le Prix de la meilleure première œuvre et se fait remarquer par un certain Dario Argento qui, enthousiaste, apporte son soutien en devenant producteur exécutif. Après avoir subi une double mastectomie, Veronica Ghent (Alice Krige) part passer sa convalescence dans la campagne écossaise avec sa jeune infirmière, Desi (Kota Eberhardt). Elle découvre que le processus d’une telle intervention chirurgicale soulève des questions sur son existence même, ce qui l’amène à s’interroger sur ses traumatismes passés et à les affronter. Les deux femmes développent un lien particulier alors que des forces mystérieuses donnent à Veronica le pouvoir de se venger dans ses rêves.

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De Natalie Erika James (Relic) à Rose Glass (Saint Maud) en passant par Julia Ducournau (Titane/Grave), Jennifer Kent (The Nightingale), Anita Rocha da Silveira (Medusa), ou même Corinna Faith (le très poussif The Power), le cinéma de genre est pris d’assaut par des femmes bien décidées à le marquer de leur empreinte. Il faudra sans plus attendre ajouter Charlotte Colbert à cette liste non-exhaustive tant son She Will témoigne d’une maîtrise impressionnante à laquelle s’adjoint un discours direct et puissant. Organique et sensoriel, son premier long nous immerge au fin fond d’une campagne écossaise marquée par la terre noire et la brume, à la fois physique, palpable dans ses spécificités (les antécédents de sa réalisatrice se ressentent fortement dans son rapport à une matière solide et vivante) et dans le même temps vectrice de visions oniriques empreintes de fantastique. Ce décor, havre de paix en puissance pour son héroïne, porteur d’une histoire sombre (les sorcières brûlées vives autrefois), se fait le révélateur de ses traumas mais également un lieu de régénérescence et de résurrection. Vedette précoce aujourd’hui au crépuscule de sa carrière, Veronica apparaît d’abord tel un corps abîmé et fragilisé par l’âge, martyrisé par ses récentes opérations avant que ne se réveillent explicitement des blessures d’ordre psychologique. Ce protagoniste singulier (immense Alice Krige, qui trouve enfin un rôle d’envergure sur grand-écran), d’apparence froide et peu rassurante (aspect accentué par une « carapace » monstrueuse) dévoile peu à peu une femme bouleversée et profondément émouvante. Autour d’elle, la cinéaste articule un dessein ambitieux flirtant avec plusieurs composantes du genre allant du drame réaliste au body-horror auxquels se mêlent des inspirations surnaturelles ainsi qu’un récit de rape and revenge mental et cathartique. Ces ambitions accouchent d’un tout cohérent, affranchi de ses modèles et références. La présence à la bande-son de l’excellent Clint Mansell renvoie irrémédiablement aux grandes réussites de Darren Aronofsky (on pense notamment à Mother ! avec lequel sont perceptibles des échos thématiques), celle d’Argento en tant que producteur n’a rien d’anodin, on peut aussi penser au mésestimé A Cure For Life de Gore Verbinski (la géométrie des cadres et des mouvements) ou au Lux Aeterna de Gaspar Noé (la relecture contemporaine d’un vieux mythe doublée d’une mise en abyme relative au septième art). Le purement concret côtoie le non-dit et la symbolique, le film, tout en se montrant extrêmement fluide dans son déroulé et clair dans ses intentions (sans pour autant verser dans le didactisme binaire), ouvre le champ aux interrogations et interprétations. Cette capacité à concevoir un univers graphique fort et immédiatement atypique au service d’un propos universel et éminemment actuel, suggéré davantage que démontré, constitue l’une des grandes réussites du long-métrage.

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Le titre, sans ambiguïté, induit la notion de consentement au cœur de sa réflexion et des questions qu’il pose. Charlotte Colbert lie son héroïne bafouée aux sorcières d’antan mais aussi à sa jeune infirmière. La relation entre ces deux personnages d’abord conflictuelle puis fusionnelle, traduit un fossé de générations entre une femme ayant longtemps enfouie ses douleurs et l’autre plus ouvertement combative. L’apparence de Desi brouillant la frontière du genre (du moins en rupture avec les normes en vigueur), sujette à remarques et critiques par Veronica, se lit autant comme une affirmation de son identité, qu’un moyen de dissimuler une part de sa féminité afin de survivre dans un monde encore dominé par les hommes. Deux expériences de la féminité incarnant chacune deux époques distinctes, en proie à des violences exercées par les représentants d’une même entité, qui se comprennent et s’appréhendent à travers leurs fêlures. She Will s’étoffe ainsi progressivement d’un récit de transmission, permettant de mesurer les avancées effectives de la lutte féministe et celles qui restent à mener. Pour autant, la réalisatrice ne s’interdit pas un recours à des répliques on ne peut plus explicites, à l’instar de cette allusion moqueuse au patriarcat formulée par un membre du groupe ou une séquence impliquant le bourreau de l’héroïne (terrifiant Malcolm McDowell) tels de furtifs rappels au réel. Il s’agit du seul léger bémol à formuler, lorsqu’il sort de son foisonnant brouillard symbolique, le long-métrage tend à devenir un tantinet démonstratif. Cependant, si elle ancre ses problématiques au présent, celles-ci s’illustrent au sein d’une œuvre atmosphérique qui privilégie la puissance des images aux longues sentences. En effet, ce que le film manie le mieux tient de la métaphore employée tel un outil poétique, lors de projections lyriques et chimériques qui s’élèvent comme des cendres immémoriales. Cette représentation de la sorcière comme allégorie de la femme elle-même, prend la suite de celle de Robert Eggers dans The Vvitch avec l’idée d’un douloureux cheminement vers l’affranchissement. Flotte alors le sentiment d’une solidarité entre toutes, qui traverse les siècles jusqu’à notre ère moderne d’abord, puis réconcilie les générations comme en témoigne l’irréductible amitié entre Dési, Véronica, mais également Lois (Amy Manson). Toutes sorcières, main dans la main, d’une certaine manière prêtes pour un futur monde où l’homme est superflu. Celles et ceux qui ont pu voir le somptueux Graetel et Hansel d’Oz Perkins, se souviendront de la partition d’Alice Krige, dans un rôle à l’écho évident. Le réalisateur américain déconstruisait le conte, évoquait en creux l’initiation de la jeune fille vers sa féminité au contact d’une ogresse bien moins manichéenne que dans l’histoire d’origine. Puissant et dévastateur, ce galop d’essai âpre et incarné fourmille de visions inoubliables et aucunement vaines. She Will titille la rétine et retourne les sens, constitue un véritable choc doublé de la révélation d’une cinéaste à suivre de très près.

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A propos de Vincent Nicolet

A propos de Olivier ROSSIGNOT

1 comment

  1. J’adore Charlotte Colbert. Cette réalisatrice est hors du commun. J’avais vraiment aimé son long métrage Leave to Remain sur les demandeurs d’asile mineurs en Grande-Bretagne.

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