Comme un écho pastichant Carrie, l’ouverture de Jeune Juliette montre son héroïne en cours de sport, en plein effort devant un prof ridicule poussant les élèves au maximum. La pauvre Juliette, en surpoids, paraît indifférente à cette séance de gym sportive. Cette brève exposition est suivie d’un plan fixe où Juliette discute avec sa meilleure amie, Léane. Elle règle en quelques phrases le sort du monde, ou plutôt des membres du collège, pas très intéressants pour elle. Mais philosophe, elle termine « Faut que jeunesse se passe ». La dynamique des deux séquences donne le ton et esquisse en deux trois mouvements la personnalité d’une adolescente qui n’est pas une victime. Elle subit les moqueries de ses camarades de classe sur son physique mais en retour elle s’avère cassante, lucide et intelligente. Et surtout aimée malgré tout par ceux qui en valent la peine. Mais elle ne s’en rend pas toujours compte.

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Juliette est donc cette fille ronde, brillante et détachée, qui va faire l’expérience la plus terrible qui puisse lui arriver : tomber amoureuse d’une des coqueluches du lycée, Liam, leader d’un groupe de rock local, aussi beau qu’il est creux. Une coquille vide qui n’empêchera pas Juliette de tenter sa chance, perdant un peu de sa lucidité habituelle. Dans son désir d’épouser une normalité, c’est aussi tout un apprentissage de la vie qui se dessine.

Teen movie québécois qui arrive après les très beaux Une Colonie et Charlotte a 17 ans sous la même influence vintage du cinéma précieux du regretté John Hughes, Jeune Juliette ne cherche pas l’originalité à tout prix, le vernis indépendant qui démarquerait artificiellement le film du tout venant. Anne Emond ne craint pas les archétypes et les clichés qui ont souvent une vérité profonde. Mieux, elle les aime et les respecte : c’est ce qui rend Jeune Juliette si précieux. Elle s’empare d’un genre et le traite frontalement avec tous les risques induits par le sujet. Elle en accepte même les travers , son côté fleur bleue et irréel pour mieux s’approcher de ce qui fait exister un ado, de ce qui lui fait pousser des ailes: l’amour et l’amitié. Anne Emond n’a aucun mépris pour la jeunesse, elle lui fait confiance.

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Les lycéens s’expriment dans un langage correct, sans doute éloigné du naturalisme qui plombe les teen-movie actuels. Ils appartiennent aussi à une classe moyenne, ni pauvre ni riche. Le réalisme intéresse moins la cinéaste que de toucher à une certaine justesse des sentiments et des rapports qui se tissent entre les adolescents quitte à paraître anachronique. Il ne s’agit pas d’un film témoin de son temps embrasant les thèmes sociologiques et politiques à la mode, à l’image de cette vision troublante d’un campus fantasmé qui a nourri l’imaginaire de bien des ados ayant grandi dans les années 80.

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Cette dimension nostalgique presque cotonneuse avec ces enseignants bienveillants, ce père aimant, ces personnages positifs pourrait virer à la sensiblerie. Ce que Anne Emond évite intelligemment en ne faisant pas de Juliette un souffre-douleur, un prétexte pour délivrer un message bien pensant sur la différence et l’acceptation de soi. Derrière la chronique touchante et drôle d’une jeunesse qui se cherche, la cruauté n’est pas absente. Juliette n’y échappe pas lorsqu’elle repousse Arnaud, atteint d’une forme d’autisme, comme un double d’elle-même, une anomalie dans un monde où elle a l’impression que tout le monde se ressemble. Ou encore, lorsqu’elle se détourne de sa meilleure amie qui lui déclare sa flamme. Elle pensait être la seule à ne pas se sentir comme les autres. Hors, elle prend en l’espace de peu de temps, deux uppercut dans le ventre, se rendant compte que l’autre est aussi différent, et que le monde ne tourne pas exclusivement autour d’elle, ce que lui rappelle son très attachant professeur de lettres qui refuse de s’apitoyer sur son sort.

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En fuyant le pathos et la gravité, Jeune Juliette séduit par son écriture fine et ses dialogues brillants, son désir de rester dans le giron confortable d’un cinéma innocent, loin de la violence et la cruauté d’une certaine réalité contemporaine. C’est à la fois la force et la limite de ce quatrième long métrage d’Anne Emond, assez éloigné de ses travaux précédents plus sombres. On pourrait reprocher que cette jolie fantaisie pleine de charme, ce bonbon, manque peut-être parfois d’acidité malgré la méchanceté « logique », voir même purement référentielle, des camarades de classe. De cette histoire semi autobiographique, délimitée dans un espace temps incertain, ni tout à fait hier ni pleinement aujourd’hui, Anne Emond explore l’intimité de cette jeunesse avec une grâce et une délicatesse déployées par une mise en scène élégante et inventive  jamais très loin – répétons-le – du style enjoué, très ligne claire du réalisateur de Breakfast Club. Avec ses plans fixes très travaillés, son montage précis proche parfois du cinéma burlesque au détour quelques séquences très drôles et ses cadrages insolites croquant en un plan des personnages comme dans une BD, le film parvient aussi à trouver sa singularité. L’utilisation du split-screen et de la bande son fabuleuse et décalée (Mercury Rev, Magnetic fields, Faust) apporte une coloration très pop à l’ensemble. Et puis, Jeune Juliette ne serait rien sans ses jeunes interprètes et en particulier sans l’incroyable abattage de la débutante Alexane Jamieson dans le rôle titre. Grâce à son jeu si juste, si vrai, on la quitte à regret, en gardant les mêmes étoiles qu’elle a dans les yeux.

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