Le Chat Noir de Lucio Fulci rappelle combien Poe constitua et constitue une source d’inspiration évidente pour le cinéma d’épouvante mais surtout combien, les films s’affirmant au générique comme des « adaptations » du Chat Noir, le rapport entretenu avec Poe était un peu le même que celui de De Palma parsemant son œuvre de citations et de figures de style hitchcockiennes – également omniprésentes dans le giallo, d’ailleurs – sans jamais le remaker ouvertement, qu’il reprenne le thème de l’handicapé voyeur dans Body Double ou qu’il construise un film à partir de la seule idée du travestissement schizophrène de Psychose avec L’esprit de Cain. D’Edgar Ulmer à Roger Corman, en passant par Stuart Gordon pour Les Masters of Horror, il est assez étonnant de voir le nombre d’adaptations du Chat Noir de Poe se contentant de décliner un titre, en s’éloignant totalement la matière originelle, Poe devenant une forme fantasme-auteur que les créateurs pourraient utiliser sans même l’avoir lu. Un peu plus tard, en suivant (un peu) plus l’intrigue originale Argento dans son segment de Two Evil Eyes, ne résiste pas aux plaisir de parsemer son Chat Noir de multiples clins d’œil à d’autres nouvelles, telles Le Puits et Le Pendule ou Bérénice, comme mué par le désir de lui offrir le maximum d’hommage en un minimum de temps. Mike Flanagan creuse ce sillon de manière presque conceptuelle dans sa Chute de la Maison Usher, qui opère à la fois une transposition contemporaine de la nouvelle prétexte à une violente charge contre le capitalisme américain et une compilation très pertinente de l’oeuvre de l’auteur américain où chacun de personnages décadents de la famille Usher vient décliner une nouvelle de l’écrivain.

Presque dix ans après le génial Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé de Sergio Martino, Lucio Fulci entreprend à son tour de trahir Poe tout appuyant sur ses attirances et ses niveaux respectifs de lecture. Les emprunts sont réduits au strict minimum et à l’accessoire, aux archétypes désormais indissociables de la nouvelle : la présence de l’animal prétendument maléfique, l’emmurement d’une victime et le mythique miaulement révélateur. Fulci parsème ses clins d’œil comme un jeu de piste, privilégiant le décorum gothique traditionnel. Fulci n’en est d’ailleurs pas à sa première allusion puisque son très beau Sette note in nero (1977) le citait déjà ouvertement, son titre français L’emmurée vivante n’en étant que plus explicite.

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Capture image du Blu-Ray – © Le Chat qui fume

Entre deux portes de l’Enfer (1), Fulci s’offrait donc cette petite récréation avec ce Black Cat (1981) aussi mineur que plaisant, mais surtout intéressant dans ses partis pris de répétition. Il travaille en effet sur le regard, accumule les alternances de plans des yeux de protagonistes et du félin, transformant un effet facile en leit-motiv visuel. Il adopte la perception du chat en caméra subjective, procédé voyant, mais facétieux. Peu fasciné par son sujet Fulci n’en cède pas moins à son péché mignon des effets gore, ne faillissant pas à sa notoriété de cinéaste prolongeant l’agonie bien au-delà des limites. La mort du jeune couple étouffé est à ce titre particulièrement efficace. Il filme la campagne anglaise comme la nouvelle Angleterre de Frayeurs et de La Maison près du cimetière, quelque part entre le réalisme et le décomposé, provoquant cette sensation si fulciesque d’un dérèglement du monde. En évidente cohésion esthétique avec les autres collaborations de Sergio Salvati avec Fulci, la photo du Chat Noir s’adapte ici parfaitement au mystère des intérieurs, la caméra se promenant dans la lugubre demeure ou au milieu des toiles d’araignée d’une crypte. Le scénario à base d’hypnose, de possession et d’autosuggestion est des plus abracadabrants, mais participe au plaisir, au même titre que ses numéros d’acteurs dans lequel un Patrick Magee en roue libre, fait un numéro de cabotinage délectable.

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Capture image du Blu-Ray – © Le Chat qui fume

Certes, Mimsy Farmer n’y tient pas son rôle le plus marquant, mais elle a le mérite pour une fois de ne pas y être une victime fragile. Le cinéaste convie d’autres acteurs à la fête, pour des apparitions incongrues et savoureuses pour jouer soit les contre emplois, soit les victimes express. Le spectateur est heureux de retrouver Daniele Doria qui faute de saigner des yeux, en bavera au sens propre, mais certainement pas autant que dans l’Eventreur de New York, ainsi qu’Al Cliver un flic du village au superbe accent cockney. Même si elle ne fait pas long feu, c’est toujours un plaisir que de voir Dagmar Lassender ( Hatchet for the Honeymoon, Femina Ridens) en mère éplorée subissant rapidement un sort aussi peu enviable que celui de sa fille. Un peu plus consistant David Barbeck l’inspecteur, arrive au beau milieu de l’intrigue pour résoudre l’affaire. On sent bien que Fulci n’a pas vraiment fignolé son Black Cat, mais c’est aussi son relâchement qui le rend attachant. La partition inspirée de Pino Donaggio contribue à donner cette direction ironique au film, angoissante quand il faut, et surtout ludique, en particulier avec son « thème du chat noir », jolie ritournelle presque enfantine, venant souligner l’éternel pessimisme misanthrope de Fulci : pendant que les humains se débattront, les animaux se baladeront toujours sur les toits.

Technique

La copie proposée par Le Chat qui fume est superbe, de la colorimétrie au grain de photo originale respecté. Rien à redire.

Bonus

  • « Monsieur Poe et moi » avec le scénariste Biagio Proietti
  • « Symphonie pour un chat noir » avec le compositeur Pino Donaggio
  • « Neuf vies » avec le caméraman Roberto Forges Davanzati
  • Documentaire Aenigma: Fulci et les années 80 (75′)
  • Bande-annonce

(1) Le chat noir fut réalisé entre Frayeurs (1980) et L’au-delà (1981)

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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