Lucio Fulci – « Béatrice Cenci »

© Artus Films

La superbe collection Lucio Fulci éditée sous l’égide de l’ours d’Artus Films s’est enrichie d’un nouveau titre : Beatrice Cenci. Comme toujours, l’objet est absolument splendide puisque le Blu-Ray et le DVD sont accompagnés d’un livret passionnant (dirigé par Lionel Grenier avec les participations de Stéphane Rolet et Jean Vinneuil) où sont évoquées la figure historique de Beatrice Cenci et sa postérité dans les arts, qu’il s’agisse de la littérature (chez Dumas ou Stendhal), du théâtre (Artaud), de la musique ou encore, bien évidemment, du cinéma (avec la version de Riccardo Freda- Le Château des amants maudits– ou de Bertrand Tavernier – La Passion Béatrice-).

Beatrice Cenci (aussi connu en France sous le titre Liens d’amour et de sang) est une œuvre atypique dans la filmographie de Lucio Fulci (au point que ceux qui n’aiment pas le cinéaste présentent souvent cette œuvre comme une heureuse exception). On sait que le cinéaste fut un éclectique et qu’avant de connaître une certaine renommée grâce à ses films d’horreur particulièrement sanglants (la trilogie L’Enfer des zombies, L’Au-delà et Frayeurs), il tâta tous les genres : la comédie à usage local (il signa de nombreux films de l’ineffable duo Franco et Ciccio), le western (Le Temps du massacre), le giallo (Perversion Story, le superbe Venin de la peur), le film d’aventures (Croc-blanc). Beatrice Cenci est son unique incursion dans le genre drame historique et il s’agit d’un film ambitieux qui entend porter un regard documenté sur cet épisode de la Renaissance autour d’une fille parricide. Même si l’inceste consommé entre Francesco Cenci et sa fille n’est pas un fait historique avéré (comme le rappelle Lionel Grenier dans les très intéressants suppléments qui accompagnent le film), Fulci cherche à rester assez fidèle aux événements historiques tout en se permettant quand même quelques écarts avec la réalité.

Toujours est-il que Beatrice Cenci est assurément l’un de ses films les plus ambitieux. Outre le soin apporté à la reconstitution de Rome à la fin du 16ème siècle, Fulci opte pour une narration assez complexe faite de nombreux retours en arrière qui ne sont jamais présentés comme tels. Beatrice va être exécutée pour le meurtre de son père, noble tyrannique (joué avec beaucoup de volupté par Georges Wilson) détesté par la population. Le peuple se prend d’affection pour cette parricide et le cinéaste tente alors de démêler l’écheveau de passions contradictoires qui animent le récit en procédant par flash-back successifs. Beatrice est-elle la victime d’un père violent et incestueux ou dissimule-t-elle un certain penchant pour la manipulation ? Fulci ne tranche pour aucune des deux options mais montre néanmoins les deux visages de la jeune femme : d’un côté, la victime enfermée et violée dans un cachot par son père, de l’autre, la calculatrice qui séduit son serviteur Olimpio (la star Tomas Milian dans un rôle lui aussi atypique) pour qu’il épouse ses noirs desseins et l’aide à les mettre en œuvre… Adrienne La Russa est absolument parfaite dans le rôle, avec son visage qui garde des traces d’enfance et qui traduit à merveille son côté « innocent » tandis que l’aplomb du regard et un certain air de Barbara Steele accentuent son côté déterminé et « criminel ».

Si Fulci joue la carte du film historique « sérieux », il parsème son œuvre de détails qui viennent tout droit du cinéma dit « d’exploitation ». Bien avant La Chair et le sang de Verhoeven, Fulci s’inscrit dans le genre « historique » pour filmer un monde violent et décrire assez précisément quelques supplices effrayants. Arrêté, le pauvre Olimpio est soumis à la torture et le cinéaste de nous montrer son corps écartelé (un plan assez impressionnant sur le bras violet du personnage) ou marqué au fer rouge. De la même manière, le front de Beatrice sera martyrisé par une corde serrée de plus en plus fort. Mais le sommet du film en matière d’exactions sanglantes reste le meurtre de Francesco Cenci à qui ses ennemis plantent un gros clou dans l’œil (le « clou » du spectacle !). Le plan reste toujours impressionnant aujourd’hui et annonce les nombreux yeux suppliciés chez le cinéaste (L’Enfer des zombies ou L’Au-delà). Au-delà de ces détails macabres, Lionel Grenier souligne également quelques réminiscences du western dans Beatrice Cenci (notamment avec le personnage du « Catalan », complice du crime) ou même du giallo. A ce titre, Fulci utilise un procédé qu’utilisera souvent Brian de Palma dans ses thrillers : des plans où la netteté est faite aussi bien sur le visage au premier plan que dans la profondeur de champ. Par ailleurs, et en exagérant un peu, on peut considérer Beatrice Cenci comme une vaste machination. Enfin, on peut noter que le film n’est pas dénué d’un certain érotisme discret (quelques nudités) et déviant (il est souvent couplé à une certaine violence). A ce titre, je recommande le témoignage assez drôle d’Adrienne La Russa en supplément du film.

Pour finir, il faut aussi redire que le film date de 1969 et qu’il sort au cours d’une période troublée de l’histoire italienne. Dans cette œuvre où sont fustigés avec virulence le pouvoir (ramassis de crapules violentes guidées uniquement par leurs sombres pulsions, y compris celle de l’inceste) et l’Église (complice de ce pouvoir temporel), on peut entendre les échos de cette contestation qui ébranla le monde à la fin des années 60.

On ne fera pas pour autant de Beatrice Cenci une œuvre révolutionnaire mais on soulignera le soin de l’ensemble et la réussite de ce projet singulier dans l’œuvre de Lucio Fulci.

© Artus Films

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Beatrice Cenci (1969)

Réalisation : Lucio Fulci

Interprétation : Tomas Milian, Adrienne La Russa, Georges Wilson

Editions Artus Films

 

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A propos de Vincent ROUSSEL

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