Deuxième film de Kim Jin-won après l’explicite The Butcher (torture porn de 2007 en vue subjective des bourreaux et des victimes), et projeté en clôture du dernier Festival de Gérardmer, Warning : Do Not Play plonge son héroïne dans les affres de la page blanche et référence son auteur et ses maîtres sans lourdeur. Mi-jung, nouvel espoir du cinéma coréen, est en panne d’inspiration pour son premier long-métrage. Elle cherche un sujet qui déclenchera son inspiration jusqu’à ce qu’elle entende parler d’un film apparemment tourné par un fantôme, ayant déclenché nombre de malaises lors de sa projection en festival. Son investigation n’est pas sans danger car elle commence ne plus discerner le vrai du faux. Est-elle victime d’un esprit foudroyant échappé d’un dossier zippé ou est-ce l’acte de création qui la paralyse ?

Le thème de la relation viscérale ou mortelle à la vidéo fait bien sûr songer à Ring, dont Kim Jin-won se prévaut dans la quête des origines. La protagoniste de Warning: Do Not Play cherche à mettre la main sur le film par tous les moyens : en revenant dans la faculté de cinéma où elle a étudié, en interrogeant des étudiants de cette université (l’ironie veut qu’elle les identifie dans un bar grâce à leur vive conversation sur Christopher Nolan), en s’introduisant chez le réalisateur du film maudit, en se rendant sur les lieux de tournage… À travers les questionnements de son personnage, Kim Jin-won partage avec le spectateur la difficulté du deuxième film en tant que cinéaste, entre faire ce qu’on attend de lui et explorer de nouveaux sillages. Le clivage cinéma indépendant / cinéma de studio, la récupération de la caméra à la première personne de The Butcher dans certains plans, et surtout la projection de Mi-jung dans son propre imaginaire dans l’élaboration mentale de son œuvre, participent activement à la réflexion.

Justement, l’esthétique des fantômes japonais aux cheveux longs, qui a bercé Kim Jin-won dans les années 90, s’intègre aux visions de Mi-jung une fois qu’elle a pu récupérer le fichier source du court-métrage. Ces apparitions, accompagnées de lumières clignotantes, pourraient être perçues comme une facilité dans le film, mais donnent en réalité plus de poids à la nervosité artistique et à la perte de confiance du personnage. Mi-jung suit le même cheminement que dans Videodrome de David Cronenberg ou Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick : son enquête n’apporte des indices que par une intervention extérieure, lesdites réponses remettant en question son jugement ou sa perception. Regarder ce qui ne doit pas être regardé, fouiller ce qui ne doit pas être fouillé : l’interdit stimule, en dépit des conséquences, aussi néfastes soient-elles.

(c) Kim Jin-won – Wild Side / Wild Bunch

La mise en danger pour le savoir à tout prix se marie idéalement à la légende urbaine évoquée par Warning: Do Not Play, à rapprocher des snuff movies traités dans Tesis d’Alejandro Amenábar. Les « on dit » et il paraît que », mêlés à la souffrance supposément causée par les images, amplifient le désir voyeuriste de Mi-jung. Le choix délibéré de la montrer dans l’obscurité de son appartement, dans des rues silencieuses, voire dans des lieux vides ou désaffectés (où la vie a disparu) souligne à ce titre sa vulnérable solitude : elle est à la fois potentiellement future victime et la mieux placée pour « regarder ». Le court-métrage « qui tue » s’apparente finalement à un found footage, d’abord making of d’un tournage, puis bain de sang inexpliqué dans une salle obscure, dont on ne sait s’il est orchestré par le réalisateur lui-même ou par une force occulte. Un doute subsiste en permanence sur l’authenticité de ce qui est vu pour sa provenance ou son interprétation sous le regard de Mi-jung. Cette dernière demande d’ailleurs à un de ses amis pourquoi il continue à fréquenter, étant donné le comportement égoïste qu’elle lui fait subir depuis plusieurs années. De tels moments témoignent du soin apporté à la complexité du personnage.

On navigue ainsi dans un plaisant brouillard jusqu’à un finale certes un peu confus, mais libérant avec une grande efficacité la meute fantasmagorique dans un cinéma abandonné, éclairé à la lampe torche d’un téléphone. Le long-métrage n’a jamais besoin d’en faire des tonnes pour montrer ce qu’il veut exprimer. Sa concision (1h23) est un atout pour entrouvrir de nombreuses portes dont la conclusion reste à la discrétion de chacun. C’est là l’audace de Kim Jin-won : en maquillant son méta-film d’horreur en film d’enquête, il refuse de jouer toutes ses cartes dès le début. Maintenant que le stress du deuxième film est passé et que le réalisateur a montré qu’il savait s’adapter au genre mis en scène, on attend d’autant plus le troisième film de cet artisan talentueux.

En VOD et achat digital le 6 mai

 

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