Discipline bien connue des amateurs et connaisseurs de la culture hip-hop, le Battle jouit d’une spectaculaire mise en avant en 2002 avec la sortie du film de Curtis Hanson, 8 Mile. Principe de confrontation, affrontement verbal entre deux rappeurs, départagé par un jury ou un public, s’effectuant à plus ou moins grosse échelle (les émissions spécialisées ont fleuri au cours de la décennie passée, aux États-Unis, en France et bien ailleurs également). Sans superstar mondiale pour porter son premier long-métrage, mais avec une passion évidente pour cet art, Ed Lilly fait de cet univers un élément moteur de son VS. Récompensé d’un prix du meilleur scénario l’an passé au Festival du film britannique de Dinard, ce coup d’essai arrive aujourd’hui dans l’hexagone au prix d’une sortie directement en VOD. Soutenu par une bande originale composée de plusieurs têtes d’affiches (Stormzy, Ray BLK, Little Simz, Avelino…) d’une scène musicale en plein essor (un certain Drake l’a bien compris, en atteste certaines productions très « drill » de son dernier projet, Dark Lane Demo Tapes), il nous embarque aux côtés d’Adam (Connor Swindells, Adam Groff dans Sex Education), à Southend, une station balnéaire du sud de l’Angleterre. Adolescent baladé de famille d’accueil en famille d’accueil, naturellement doué pour les mots, son talent se révèle à la découverte du milieu des Battles, auquel il est initié par Makayla (Fola Evans-Akingbola). Mais quand il retrouve la trace de sa mère après 10 ans de services sociaux, il est confronté à un adversaire autrement plus imprévisible, son passé…

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Copyright Marc Hankins / Wild Side 2020

Adam, tel un cousin britannique de Paul, le protagoniste du récent (et formidable) Port Authority de Danielle Lessovitz, est un héros en perdition et en manque de repères, qui n’aspire qu’à trouver un début de stabilité. Nous sommes face à deux individus perçus comme des perdants, initialement extérieurs aux univers qu’ils découvrent (voguing d’un côté, Battle de l’autre), révélés à eux-mêmes à l’aide d’une tierce personne. Ils accompagnent implicitement le spectateur vers une réalité qu’il est susceptible de méconnaître. Deux récits d’apprentissages bienveillants, désireux de mettre à mal les préjugés autour des milieux qu’ils investissent, quand bien même ceux-ci s’avéreraient en fin de compte des toiles de fond secondaires, au sein desquelles priment les parcours individuels et collectifs des personnages. VS. s’ouvre sur la fin d’un conflit dont on ne connaîtra ni l’origine, ni la teneur. Discrètement isolé à l’image lors de ces premiers instants, Adam dévoile alors un mélange de violence impossible à contenir et une tristesse palpable. Sang sur le visage et vaine entreprise de destruction de sa chambre (les plus attentifs remarqueront un poster de 2Pac sur le mur), il apparaît incapable de canaliser ses pulsions, user son énergie à bon escient. Son nouveau foyer sera introduit tel celui de la dernière chance, l’épée de Damoclès d’un séjour en maison de correction à la prochaine bagarre, plane au-dessus de sa tête. Le monde des oppositions rappées, devient rapidement autant un refuge qu’un espace exutoire, où se créent ses premières attaches, se dessine une famille d’adoption à la fois spontanée et choisie.

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Copyright Marc Hankins / Wild Side 2020

Porté par une écriture adroite et des dialogues souvent malins (le jeu sur la langue et les mots, ne se limite pas aux seules Battles), le film avance sereinement sur le terrain balisé du récit d’initiation, avant de discrètement déjouer, détourner les attentes créées. Sans se refuser au plaisir d’en satisfaire certaines, il sait progressivement nourrir son programme de surprises ouvrant la voie à de nouvelles pistes et intrigues secondaires. La love story attendue n’est pas celle que l’on pressent de prime abord, les retrouvailles graduelles entre Adam et sa mère, bénéficient d’une  pudeur bienvenue, d’un usage pertinent du non-dit (d’autant plus percutant au sein d’une œuvre où le sens de la formule est régulièrement mis en valeur). Ed Lilly s’attache principalement à filmer (sobrement mais efficacement) des personnages singuliers, soutenus par des acteurs à la fois convaincants et attachants. S’il ne révolutionne pas le tableau d’une jeunesse anglaise en mal de perspectives et d’une classe ouvrière durablement mise à mal, il l’honore avec honnêteté. Il en va de même pour sa peinture d’un versant purement underground du hip-hop. Cette plongée à la base d’une culture ultra-populaire, là où elle n’est encore que passion (ce qui n’empêche pas certains d’être ambitieux), se distingue par l’observation fascinée d’un art, d’un goût des règles, des valeurs. Cela à l’intérieur d’un cadre où tous les coups pourraient pourtant sembler autorisés. Lieux de mixité au sens large (ethnique, genre…) où se tutoient les notions de rassemblements et d’affrontements, ils captivent par les paradoxes humains qu’ils révèlent peu à peu chez chacun. Les confrontations musicales, instants de mise à nues décomplexées, d’un même élan futiles et profondes, exacerbent des sentiments à vifs qui ne demandent qu’à être apprivoisés. Modeste premier long-métrage, VS. n’en demeure pas moins une plaisante découverte, énergique et enthousiasmante.

Copyright Ed Lilly / Wild Side 2020

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A propos de Vincent Nicolet

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