Année faste pour la science-fiction et le fantastique au sein des studios (Conan le barbare, E.T., The Thing, Blade Runner ou encore Poltergeist), 1982 a durablement marqué les mémoires des cinéphiles. Pourtant, en marge de ces grosses productions, la décennie confirme l’émergence dauteurs du « bis » plus humbles, parmi lesquels Stuart Gordon (Re-Animator, From Beyond) ou William Lustig (Vigilante, Maniac), bientôt rejoints par leur complice Brian Yuzna (Society). Une vague dans laquelle Harry Bromley Davenport avait toute sa place au regard de son deuxième long-métrage Xtro. Prototype de série B dexploitation, le film raconte lhistoire de Tony (Simon Nash), petit garçon traumatisé par la disparition inexpliquée de son père (Philip Sayer) quelques années plus tôt. Lorsque ce dernier réapparaît miraculeusement, le surnaturel pénètre le quotidien de la famille. Curieusement, malgré ce coup d’éclat, le cinéaste ne tournera plus rien jusquen 1991 et la sortie dun certain Xtro 2. Loin de ses pairs, il sinscrit finalement dans le panthéon des étoiles filantes du cinéma de genre, tel Jim Muro et son Street Trash. Devenue avec le temps une curiosité culte, la bobine avait tout pour rejoindre les rangs du Chat qui Fume. Cest désormais chose faite avec sa sortie en Blu-Ray et en grandes pompes chez l’éditeur. Le moment est donc venu dausculter ce curieux objet aussi fendard dans ses excès qu’étonnamment mélancolique.

(Copyright Le Chat qui Fume)

Si sa bande originale au synthétiseur signée par le cinéaste lui-même et quelques choix esthétiques hasardeux (mention spéciale aux tapisseries) ancrent le film dans un kitsch et un mauvais goût typique des années 80, Xtro se révèle bien plus réussi que ses atours de bisserie opportuniste laissent présager de prime abord. Lun de ses producteurs, Robert Shaye, bientôt derrière le succès des Griffes de la nuit, avait une idée claire : surfer sur le succès de Phantasm et son atmosphère angoissante, comme le rapporte le réalisateur dans lun des bonus de cette édition. Au script initial de Michel Parry (trop similaire aux productions Hammer), le patron de New Line préfère le traitement de Bromley Davenport, Iain Cassie et Robert Smith, qui lui semble plus proche de lesprit du thriller de Don Coscarelli. Dans les faits, Xtro pioche çà et là dans les cartons récents, tel cet accouchement traumatisant, relecture crapoteuse de la scène mythique dAlien. Le metteur en scène, qui confesse en interview que son coup dessai Whispers of Fear était un décalque éhonté du Répulsion de Polanski, ne se contente pourtant pas de bêtement recopier les succès en vogue. Aidé par des effets spéciaux artisanaux mais néanmoins efficaces (limage de lextraterrestre surgissant dans les phares dune voiture fait son petit effet) et une inventivité réjouissante (la séquence où les jouets de Tony prennent vie pour malmener sa voisine acariâtre), le cinéaste tire le meilleur de son scénario. Il enchaîne les moments chocs, à linstar de cette copulation entre une femme et un monstre, quitte à frôler la succession de vignettes, de visions, totalement décorrélées les unes des autres. Celui qui aborde son œuvre dune manière détachée, confessant à demi-mot avoir tourné le film sous linfluence de substances, révèle dailleurs que le manque de budget le contraint à sacrifier ses scènes de transition, nuisant ainsi à lhomogénéité du tout. Difficile par exemple de comprendre clairement comment fonctionnent les pouvoirs de la créature.

(Copyright Le Chat qui Fume)

Évoquant certaines thématiques présentes dans E.T. (probable coïncidence, le chef-d’œuvre de Spielberg étant sorti durant le tournage dXtro), le film est hanté par le souvenir dun père absent, littéralement volatilisé, dont le fils retrouve la présence en une figure non-humaine. Ici, lalien ne revêt pas de dimension christique ou miraculeuse, il ne parvient pas à ressouder une cellule familiale en difficulté. A contrario, la réapparition dun Sam pour le moins transformé, fait office de détonateur, mettant à mal le couple formé par Rachel (Bernice Stegers vue dans La Cité des femmes de Fellini), et son nouveau mari, Joe. Se révèle alors le véritable cœur du long-métrage : un drame conjugal façon Kramer contre Kramer, auscultant, à sa manière, les bouleversements sociétaux de son époque (famille recomposée, etc). La mère, qui a du mal à se remettre de la disparition de son époux survenue trois ans plus tôt, ne laisse que peu de place à son nouveau compagnon, contraint quant à lui, de faire avec les réticences de son beau-fils. La séquence où Tony les interrompt en plein ébats est symptomatique. Même involontairement, il les empêche de fait davoir une véritable vie de couple. Le foyer se change en épicentre de la bizarrerie, de l’épouvante. Bromley Davenport cherche à y faire naître la terreur au cœur de la plus banale quotidienneté, à linstar de simples figurines devenant des armes mortelles, ou dun frigo changé en incubateur. Le personnage interprété par Philip Sayer (comédien issu de la Royal Shakespeare Company) gagne en revanche une aura presque mystique. Sa relation fusionnelle et dérangeante avec son enfant provoque chez ce dernier d’étranges saignements, comme des stigmates aux consonances religieuses. Le final, et sa trinité réunie, conclut un récit profondément intime et pessimiste, à des années lumières de ses oripeaux de délire jouissif.

(Copyright Le Chat qui Fume)

Petite pépite bis remplie de monstres en latex, de giclées dhémoglobine et de nudité gratuite (signalons la présence de Maryam dAbo, future James Bond girl de Tuer nest pas jouer), Xtro représente larchétype du film fantastique à petit budget bourré didées. Sa radicalité et son refus du happy end nempêcha pas la mise en chantier de deux suites réalisées en 1990 et 1995 (motivées par des questions de droits) unanimement considérées comme des ratages. À noter que cette édition proposée par Le Chat qui Fume contient un documentaire qui revient sur le projet dun quatrième opus encore dactualité en 2018, Xtro : The Big One. Le court extrait présente un screen test au rendu cheap rempli d’images de synthèses sans charme. Néanmoins, surnagent quelques visions presque abstraites qui donnent envie de retrouver un peu de la folie dHarry Bromley Davenport sur un écran un jour.

Disponible en Blu-Ray chez Le Chat qui Fume.

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A propos de Jean-François DICKELI

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