Auteur de grandes réussites telles que Tant qu’il y aura des hommes ou Chacal, Fred Zinnemann demeure une figure encore minorée dans l’inconscient collectif. Même si sa réhabilitation semble s’opérer au gré des rétrospectives organisées dans diverses cinémathèques, il reste associé à une image de banal faiseur de studio. En somme, un yes man talentueux, régulier, capable de mener à bien des projets d’envergure portés par des stars, mais sans véritable personnalité. C’est en 1964, après avoir dirigé Robert Mitchum et Déborah Kerr dans le western sur fond de bush australien Horizons sans frontière, qu’il s’empare de l’adaptation du roman Killing a Mouse on Sunday d’Emeric Pressburger (alter ego de Michael Powell). Situé vingt ans après la fin de la guerre civile espagnole, le scénario suit Artiguez, un ancien partisan républicain exilé en France, qui revient au pays au péril de sa vie afin de se rendre au chevet de sa mère mourante. Ce dont il ne se doute pas, c’est qu’il s’agit d’un piège tendu par son pire ennemi, le redoutable chef de la police espagnole, Viñolas. Fort d’un casting prestigieux (Gregory Peck, Anthony Quinn, Omar Sharif…), Behold a Pale Horse s’impose comme un opus méconnu mais pourtant représentatif de la filmographie du cinéaste. L’éditeur britannique Indicator / Powerhouse en propose aujourd’hui un Blu-Ray limité à 3000 exemplaires. L’occasion est donc parfaite de se pencher sur ce drame aux accents de tragédie antique, retitré sous nos latitudes Et vint le jour de la vengeance.

© Indicator/Powerhouse
Coutumier du western, puisqu’il signa une œuvre emblématique avec Le Train sifflera trois fois, Zinnemann plonge sciemment son récit dans les codes et les thématiques du genre. Une appartenance évidente de prime abord, qu’il va pourtant s’amuser à déconstruire peu à peu. Ainsi, le jeune Paco, petit garçon dont le père fut tué durant le conflit, impulse une dynamique de vengeance que le reste du long-métrage se plaît à prendre à rebours (le titre français est en cela trompeur). En revanche, le cinéaste fait de Manuel, grand leader de la révolte (campé par un formidable Gregory Peck qui traîne sa carcasse fatiguée par des années de guerre), une légende, un hors-la-loi mythique dont l’aura a traversé les âges. Ici, ce n’est pas en franchissant la frontière mexicaine qu’il trouve refuge, mais en s’exilant en France, à Pau plus précisément, où il tente de survivre et de fuir son passé. Une délocalisation qui permet à certaines figures hexagonales telles que Michael Lonsdale, Raymond Pellegrin (Le Deuxième souffle) ou encore Claude Berri, de faire de brèves apparitions. Cette échappée offre l’opportunité au réalisateur de mettre en scène l’une des belles trouvailles du film. Lors de l’introduction, il mêle la réalité des images d’archives à la fiction d’un Peck dans la force de l’âge, contraint de quitter son pays. Les années ne l’épargnent pas et l’ancien soldat vit reclus dans un taudis, loin de sa superbe. Bercé par son mythe, l’enfant n’accepte pas que son modèle ait vieilli et lui demande même, en le questionnant sur son héros, « Es-tu son père ? ».

© Indicator/Powerhouse
A contrario, Viñolas, interprété par Anthony Quinn, est introduit dans toute sa gloire, en majesté sur son cheval alors qu’il affronte un taureau. Les tortionnaires franquistes ont gagné, l’Espagne leur appartient désormais. Meneur d’hommes et séducteur (dommage que le touchant personnage de son épouse trompée soit si peu exploité), l’antagoniste se révèle pourtant moins unidimensionnel qu’il paraît de prime abord. Profondément obsédé par Manuel et par ses échecs passés, sa vie ne tourne qu’autour de la traque de sa némésis. Pourtant, le policier s’avère attentionné avec la mère de celui-ci, démontrant un profond respect pour elle et pour celui qu’il pourchasse depuis tant d’années. Entre les deux hommes, le prêtre campé par Omar Sharif fait office de messager, reliant symboliquement deux figures qui n’ont jamais cessé de nourrir une fascination l’un pour l’autre. Zinnemann traite ce duel par procuration à travers le prisme du drame humain, faisant monter la tension et désamorçant toutes nos attentes. Lorsque le héros prévoit de rendre visite à la vieille femme moribonde en secret, le plan qu’il échafaude une préparation digne du hold up d’une banque prenant en compte tous les accès de la rue. En réalité, ce projet n’aboutira jamais, et l’intrigue s’écarte de cette voie balisée. À l’inverse, le climax se révèle étonnamment tendu et spectaculaire (l’image indélébile de Peck guettant sa cible au fusil, préfigure le sniper de Chacal), le tout prenant les atours de guérilla urbaine. Une manière de déconstruire les archétypes qui s’avère payante mais s’accompagne d’une déception lors de la confrontation tant attendue, trop vite expédiée, et ce, malgré une volonté de s’écarter des happy end et une très belle image finale aussi simple que bouleversante.

© Indicator/Powerhouse
La toile de fond de la guerre d’Espagne, événement finalement peu traité au cinéma, se retrouve abordée avec un étonnant réalisme durant le générique. Les archives qui le composent, accompagnées de la bande originale hispanisante de Maurice Jarre, dévoilent des soldats, souvent jeunes, envoyés au front. Le film définit en outre le conflit comme l’un des faits majeurs qui conduisirent à la Seconde Guerre mondiale, le replaçant à sa juste place dans l’histoire européenne. Comme il le fit avec Tant qu’il y aura des hommes, Fred Zinnemann aborde la barbarie par des moyens détournés. Autrefois la romance contrariée, ici, l’affrontement mythologique entre deux hommes que tout oppose. Le choix du noir et blanc, fruit du travail du chef opérateur Jean Badal (Quoi de neuf Pussycat ?), accompagne ce désir de coller à la réalité. L’image hautement signifiante de cette lettre jetée dans des toilettes qui refuse de disparaître, ou ces armes que l’on déterre afin de partir une nouvelle fois au combat, illustrent cette idée de passé impossible à enfouir et qui refait surface encore et encore. La tragédie quant à elle, affecte encore l’Espagne vingt après les faits, et continue, aujourd’hui encore, d’avoir un impact considérable. En cela, Behold a Pale Horse, interdit en son temps par le régime de Franco, et malgré ses défauts, demeure l’un des opus majeurs du réalisateur.
Suppléments :
Parmi les nombreux suppléments proposés dans cette édition proposée par Indicator / Powerhouse, notons un documentaire de l’historien du cinéma Caitlin McDonald dédié au travail d’Emeric Pressburger (The Pain of Exile) ainsi qu’une interview d’Omar Sharif daté de 1984. S’ajoutent une bande-annonce, une galerie d’images promotionnelles et l’indispensable livret de 44 pages signé Michael Pattinson.
Disponible en Blu-Ray chez Powerhouse.
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