Nicolò Ferrari – « Laura nue » (1961)

Lorsqu’il prépare Laura nue, son premier long métrage, Nicolò Ferrari est considéré comme un homme de cinéma prometteur. Il a réalisé quelques documentaires, a travaillé avec le documentariste Romolo Marcellini, a été l’assistant de Mauro Bolognini – sur Le Bel Antonio (1960) – et de Roberto Rossellini – notamment sur Voyage en Italie (1954). Laura nue n’aura pas cependant la carrière qu’il mérite – alors que certains le voyaient représenter l’Italie au Festival de Cannes, en 1961. Le film subit les foudres du Ministère du Spectacle. Quelques coupes sont effectuées et il est autorisé à sortir, mais, à la suite d’un accord entre les censeurs et la production, assorti d’une interdiction au moins de 16 ans et en plein cœur de l’été – c’est-à-dire, pour l’époque, en catimini (1).
Laura nue ne sera pas distribué en France. Il est diffusé au Cinéma de Minuit (France 3) le 15 mai 2017 et sort en cette semaine du 18 juillet 2018 dans l’Hexagone, pratiquement comme un inédit, grâce à la société Théâtre du Temple. Il faut s’en réjouir, car c’est un film subtil, pudique. Derrière un voile de douceur désabusée, tente de percer le cri désespéré d’une jeune femme éprise de vérité et de liberté.

Laura sort de l’enfance et entre dans l’âge adulte. Elle a cette innocence qui lui fait inlassablement se poser des questions, et poser des questions à son entourage… des interrogations qui dérangent. Elle refuse la voie fort bien balisée que sa famille et la société veulent qu’elle emprunte : celle d’une femme qui quitte le domicile parental pour directement se marier et procréer. Elle ne comprend pas qu’une chape de plomb étouffe tout discours sur la sexualité, le plaisir féminins – et rende donc impossible leur épanouissement. Elle dénonce l’hypocrisie de ceux qui essaient tant bien que mal d’exprimer ou de vivre leurs désirs tout en se conformant à des usages qui entrent en contradiction avec ceux-ci, qui les nient.
Laura est dans une position socio-économique assez favorable. Elle est issue de la bourgeoisie véronaise – le riche nord de l’Italie -, jouit d’une relative autonomie. Mais elle veut aller encore plus loin sur la voie du bonheur et de l’émancipation, et vite… très vite…

Le drame de cette jeune femme est qu’elle se soumet toujours, après quelques ruades se révélant finalement vaines, au principe de réalité qui prévaut sans son monde. Elle accepte la rhétorique absurde qui justifie le mode de vie qu’elle abhorre – « Tu as raison, vous avez tous raison. Vous avez toujours raison. Comme ce philosophe qui, en raisonnant, démontre qu’une flèche tirée d’un arc n’arrive jamais ». Et elle n’en finit pas de constater la duplicité de ses semblables, et surtout des hommes, bien sûr : salaces, infidèles, autoritaires, violents, malgré un discours et des gestes qui voudraient convaincre du contraire. Elle n’en finit pas de se rebeller contre ses conditions d’existence, et de se résoudre à celles-ci avec tristesse et amertume.
Cette position fait d’elle un ange habité par un haut idéal de pureté et une tête à claques capricieuse. Une utopiste qui reconnaît qu’elle trahit tout à la fois ses proches, en se comportant parfois comme eux – elle se livre à l’adultère supposé la sortir de son ennui quotidien -, et elle-même, en ne sachant pas, en n’osant pas saisir la chance que lui offre Marco, un homme hors-norme, énigmatique, cultivé et ouvert sur l’extérieur.

© Théâtre du Temple / Lyre

L’actrice Giorgia Moll est charismatique. Le visage soyeux, l’air effacé et pourtant affublée de belles lèvres charnelles. Nicolò Ferrari a une manière très aérienne de la filmer et de représenter son désir, comme lorsqu’elle est avec Marco au bord de l’Adige.

La seule manière de s’extraire du piège dans lequel elle est prise est probablement pour Laura d’entrer dans le décor, c’est-à-dire de quitter la scène où se joue la comédie humaine. L’intérêt du final que concocte Nicolò Ferrari est qu’il est irréel, a des accents oniriques, subjectifs – des images d’Europe ’51 nous sont venues à l’esprit. Il est possible que soit représenté un retour symbolique à la réalité pour une enfant à laquelle on demande de ne plus bouger, de ne plus aller spontanément de l’avant, et qui prend son entourage au mot – terrorisée à l’idée d’entrer dans l’âge de raison.

Nicolò Ferrari ne fera plus beaucoup parler de lui. Il sortira un unique autre long métrage, en 1970. D’aucuns imaginent qu’il a ainsi payé pour son esprit subversif, sa défiance envers les institutions matrimoniales et cléricales.

(1) Concernant les soucis de Nicolò Ferrari avec la censure, on pourra se reporter au texte de Federica Lamera – de l’Université de Gênes : « Laura nuda : un intenso ritratto femminile nel cinema italiano degli anni sessanta » (Revista Internacional de Culturas y Literaturas, n° 15, 2014 – https://idus.us.es/xmlui/handle/11441/61814)

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