Mauro Bolognini – « Le Bel Antonio » (1960)

Tu seras un homme performant, mon fils.

 

Pour Le Bel Antonio (Il Bell’Antonio), Mauro Bolognini s’est inspiré du roman éponyme de Vitaliano Brancati, écrit en 1942 [1]. Brancati était Sicilien : né à Pachino et ayant longtemps vécu à Catane. C’est le troisième film pour lequel le réalisateur travaille avec Pier Paolo Pasolini – lequel officie à ses côtés en temps que coscénariste.

Au début du récit, le protagoniste, Antonio Magnano, arrive à Catane en provenance de Rome. Il retrouve ses parents – sa mère, avec une joie particulière -, son cousin, les gens qu’il connait et ceux qui le connaissent.

Antonio est beau – il est campé par Marcello Mastroianni -, a la réputation d’un séducteur aux innombrables aventures. D’un homme dont les femmes raffolent et qui qui se sentent chattes auprès de lui – on notera la présence d’un doux félin au domicile de la famille Magnano. Lui, il ne dément pas, mais il ne confirme pas non plus. Il paraît timide, gêné, énigmatique.

Dans le monde au sein duquel vit Antonio Magnano, sa virilité don juanesque est grandement louée. Le père Alfio Magnano (Pierre Brasseur) est fier comme un coq, lui qui se plaît à brosser le tableau de chasse familial en matière de copulation, avec force chiffres.
On remarque d’ailleurs que, d’emblée, Bolognini décrit symboliquement un monde qui honore le phallus et l’érige en divinité. Pour le comprendre, il faut être attentif aux images sur lesquelles se déroule le générique de début, qui montrent plusieurs hautes bâtisses de la ville dans laquelle revient le héros.

Mais l’impuissance du jeune homme va se révéler, et être avouée par lui, quand, au bout d’un an de mariage avec la belle, vierge et naïve Barbara Puglisi (Claudia Cardinale), il s’avère qu’Antonio n’a pas touché son épouse. Le mariage est annulé. Les parents de Barbara lui trouvent un autre époux, des plus fortunés, avec l’aide hypocrite de l’Église. Alfio Magnano calanche.

Le Bel Antonio est une charge piquante contre une société obsédée par la puissance masculine. Puissance politique – dont l’un des modèles est le fascisme [2] -, puissance économique et puissance sexuelle. Prépotence dont la raison d’être est l’accumulation, l’expansion.
C’est aussi une philippique contre le mariage qui se confond en quelque manière, au cours du récit, avec des funérailles.

L’Amour semble exclu de ce monde où vit Antonio. Et notamment l’amour pris au sens platonique, au sens d’un élan purement spirituel et désintéressé vers l’autre, vécu indépendamment du désir charnel, de toute concupiscence. Or, sans que l’on ne sache jamais vraiment si c’est l’amour ressenti par Antonio qui l’inhibe du point de vue physique, ou si c’est son handicap qui le pousse à chercher des idylles de nature séraphique, Antonio veut vivre pleinement et sans honte ce noble sentiment qui l’anime.

Finalement Antonio sauvera la face… la sienne et celle de son entourage… mais tristement, mélancoliquement – pour ce qui le concerne, car ses proches, eux, jubilent… Cette face n’est peut-être qu’une image, un pâle reflet dans une glace. On ne sait en fait rien de ce qui s’est concrètement passé entre Antonio et la domestique Santuzza qui annonce un heureux événement [3].
Ce que l’on sait, c’est que la différence n’est pas admise au sein de ce monde mentionné ci-dessus. Antonio, en ce qui pourrait le constituer au fond de lui-même, est un réprouvé.

Bolognini a signé une œuvre dont la pudicité et la subtilité sont d’autant plus méritoires que le sujet était sensible – et l’est d’ailleurs toujours. Le Bel Antonio brille de tout son flou artistique.

 

Notes :

[1] Un extrait du texte de Brancati est lu à voix haute, à un moment du récit, par le personnage principal : « Un jour, je te laissai, égaré par mes sens et m’en allai. Je partis pour l’étranger, à la recherche de l’amour. Été comme hiver, je cherchai l’amour. Je cherchai encore. Je cherchai plus loin, mais ne trouvai point d’amour. Le coeur malade je rentrai à la maison » [sous-titres français].

[2] Une évocation de la Marche sur Rome des Chemises Noires, en octobre 1922, est faite indirectement par Bolognini. Plus directement, Brancati plaçait l’action dans l’Italie mussolinienne de 1930.

[3] En sicilien, Santuzza est le diminutif de Santa – Sainte. En entendant les noms de Santuzza, d’Alfio, on ne peut s’empêcher de penser à Cavalleria Rusticana, la nouvelle du Catanais Giovanni Verga (1880) – et l’opéra de Pietro Mascagni (1890).

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