Bruno Podalydès –« Je m’amuse souvent des écarts entre mes aspirations et ce que je fais réellement dans la vie »

À l’occasion de la sortie de Wahou !, nous avons eu le bonheur de nous entretenir avec Bruno Podalydès

Une maison, c’est à la fois un gage de stabilité et un saut dans l’inconnu. Comme dans Les deux Alfred ou dans Comme un avion, pour ne citer que ces deux films, vos personnages cherchent à concilier des injonctions contradictoires. D’où vient votre affection pour ce type de situation ?

De mes propres contradictions, en fait. Je m’amuse souvent des écarts entre mes aspirations et ce que je fais réellement dans la vie. Au niveau de mes films, une image me revient, c’est dans Liberté Oléron, le gars qui veut aller loin avec un tout petit bateau de cinq mètres. Le décalage ; c’est le suc de la comédie, dans Wahou ! , il y a cet écart entre le discours de l’agent immobilier qui parle d’un parc pour désigner un petit jardin, et met en avant la possibilité de jardiner alors que la surface disponible est celle d’un paillasson. Dans la vie courante, je ris souvent de ça, de la survalorisation, en politique, et pas que là, les éléments de langage foisonnent. C’est tellement abusif.

Votre inspiration provient donc de votre quotidien ?

Oui, je voyage souvent en transports en commun, j’écoute beaucoup les gens. Je prends des notes. Parfois, c’est juste un mot, ou des conversations improbables, il y a peu de temps j’ai écouté une explication sur la façon de manger des grenouilles.

Bancs publics est surement le film où cette impression de « capharnaüm quotidien», ressort le plus ?

Le mot capharnaüm me semble très juste. Ce qui est non rangé. Souvent, le rôle d’un cinéaste, en tout cas le mien, c’est de trouver un sens à tout ça. Le but que j’ai à chaque film, c’est de créer un petit monde. En espérant avoir créé de la vie. Dans Bancs publics, c’est pour cette raison que je termine le film sur un plan qui tourne, le square comme une petite planète. Dans Wahou !, ce sont deux nouvelles petites planètes. La grande maison et le petit appartement. Le but est que l’ensemble se cimente à la fin. Que l’ensemble de ces visites débouchent sur une nouvelle vie pour ces lieux.

À la fin du film (sans vouloir tout dévoiler ni trahir le suspense), Oracio, le conseiller immobilier que vous incarnez, décide de poser ses valises ailleurs. Peut-on faire un parallèle avec la façon dont vous abordez le cinéma. L’envie d’un nouveau film est avant tout l’envie d’explorer (de créer) un nouvel univers?

Oui, l’envie de découvrir un nouveau territoire de comédie. Trouver une matrice. J’ai une volonté d’exploration, sans aucune prétention d’exhaustivité. Mon premier souci est d’éviter le cliché. Pour les agents immobiliers il y a beaucoup d’idées reçues. Certes, Oracio utilise des phrases convenues, mais comme pour tous les autres personnages, ce que j’aime mettre en avant c’est le décalage entre son discours et sa personnalité. Le fait de prononcer des mots qui ne sont pas les siens, le sentiment de gêne. En jouant le conseiller, j’aimais bien devoir m’exprimer avec solennité par moments.

                                                                  Copyright Anne Francoise Brillot

 

Finalement, Wahou ! aurait pu s’appeler : « Chacun cherche son soi » !

Tout à fait, son soi et son chez soi. Le mot chacun convient. L’individualisme, la difficulté pour chacun de se trouver. « Chacun », l’idée se retrouve également dans le couple. On se découvre, on a des aspirations différentes. C’est le cas ici pour celui formé par Sabine Azéma et Eddy Mitchell.

Pour choisir leur chemin, vos héros acceptent de se laisser guider par le hasard d’une découverte. Est-ce que les rencontres et les imprévus occupent une place importante dans vos inspirations ? Dans le choix de vos projets ?

Oui, comme tout le monde. Je suis même de plus en plus perméable aux aléas de vie. Quand on se lance dans la réalisation d’un film on pourrait penser que tout est calé, car bien préparé. Mais, plus ça va, plus je considère que ce qui arrive sur un tournage, y compris les galères, la météo, je reçois tout. Un comédien est indisponible, on va devoir le remplacer, pour moi ça a du sens. Par ailleurs, j’adore le backgammon, j’y joue souvent car j’aime confronter le hasard et la stratégie. La volonté et le contingent.

Cette part de surprise se retrouve dans la structure de vos films, souvent, une histoire dans l’histoire commence, puis elle ne se concrétise pas comme prévue.

Oui, si on sent un sentiment de liberté, c’est tellement agréable. En tant que spectateurs, j’aime également beaucoup ça. Au moins on ne nous guide pas en permanence.

Le rôle tenu par Sabine Azéma, la grande maison comme une scène de théâtre peuvent nous faire penser à Alain Resnais et Smoking/No Smoking plus particulièrement ? Avez-vous eu ces références en tête pour votre film ?

Ah, oui, notamment au personnage de Sabine Azéma dans Smoking/ No Smoking qui tient absolument à ses petites dalles brisées. Elle casse des dalles et les répartit. Cela revient souvent dans les dialogues. On pourrait croire qu’il ne s’agit que d’un détail, mais c’est de cette façon qu’elle structure en partie sa vie. Dans Wahou !, des visiteurs vont se focaliser sur le parquet flottant. On met de l’importance sur des éléments qui nous sont propres.

La plus grande partie du film se déroule en intérieur. Dans une grande maison bourgeoise et un appartement dans un immeuble récent. Comment avez-vous abordé ces contraintes d’espace pour faire vivre votre mise en scène ?

Il y a des éléments du décor qui structurent une scène, le piano, le bow-window. Dans un lieu si riche que cette grande maison, chaque pièce déclenche une ambiance différente. C’était également le plaisir de pouvoir revenir et exploiter de nouveaux angles. On a rarement cette occasion au cinéma.

Le film a été écrit  très rapidement, tourné en seulement quatre semaines, avec un petit budget. Finalement, c’est peut être un avantage quand on veut réaliser une comédie débridée et « légère ». Dans l’article que Truffaut consacra à Assassins et voleurs de Guitry, pour les Cahiers du cinéma, il écrit : « Un film léger doit être réalisé avec légèreté ». Partagez-vous cet avis ?

Oui, tout à fait. Certes, tous les films ne s’y prêtent pas. Pour Wahou !, j’ai adoré l’exercice. J’ai beaucoup apprécié l’engagement de l’équipe. J’ai retrouvé l’ambiance d’un court-métrage, celle de Versailles rive-gauche. J’ai apprécié l’économie de moyens. Le fait d’aller vite permet  de ne faire que des choix essentiels, on ne va pas passer des heures à choisir un pantalon, par exemple. Cela permet de réduire le nombre de prises. Le choix de mise en scène repose encore plus sur la confiance accordée aux comédiens. Je reçois ce qu’ils me donnent spontanément.

Certes, votre film comporte quelques gags, mais, le plus souvent, vous ne cherchez pas à faire rire en vous appuyant sur des effets comiques. C’est une façon de faire confiance au spectateur ?

Le gag, ça marche quand c’est du burlesque, l’effet mécanique fonctionne. Je pense également à des scènes de Bécassine. Mais effectivement, le plus souvent je cherche plus à faire sourire qu’à provoquer un rire. C’est pour cela que j’aime qu’il y ait de la perte, que l’on ne comprenne pas tout. Mon idéal, en quelque sorte, ce sont les dessins de Sempé.

Interview réalisée le 30 mai, sur la Péniche Rosa-Bonheur. Merci beaucoup à Bruno Podalydès pour sa disponibilité et sa gentillesse. Merci également à Agnès Chabot et Paulina Gautier- Mons, les deux attachées de presse qui ont si bien organisé cette rencontre.

 

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A propos de Jean-Michel PIGNOL

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