Plongés dans le tourbillon d’une société qui s’éparpille façon puzzle à un rythme de plus en plus en plus effréné, les personnages qui flottent dans l’univers de Bruno Podalydès tentent de suivre le mouvement en conservant leur propre tempo, et, surtout, sans jamais vouloir se départir de leur tendre part d’innocence. Impossible donc, apparemment, de réussir dans des secteurs d’activité où le moins signe de doute se trouve immédiatement sanctionné. Les 2 Alfred (2021), précédente douce satire, confrontait un quinquagénaire old school (Denis Podalydès) à la créativité autoproclamée de la start-up nation, dopée aux miracles des nouvelles technologies. Autre univers, l’immobilier, autre critère de performance : Waouh ! Onomatopée magique que le duo de conseillers immobiliers, Catherine (Karin Viard)  et Oracio (Bruno Podalydès), cherche à provoquer chez leurs clients en leur proposant des « biens d’exception ». Entre le film à sketches, chaque visite immobilière (séquence) pouvant constituer une histoire à part entière, et le film choral, orchestré par les croisements entre les agents immobiliers et la présence récurrente de deux couples -celui des heureux propriétaires et celui moins enviable des acheteurs-,  Waouh ! nous offre un ballet qui se révèle aussi drôle que touchant. Une fable sans morale prémâchée dont le scénario semble alors s’écrire au gré des humeurs contrariées des protagonistes, dans un esprit qui rappelle l’univers virevoltant du facétieux Philippe De Broca.

Copyright Anne Francoise Brillot

Même si, par moments, une punchline bien écrite peut venir solliciter ostensiblement un éclat de rire, l’humour de Bruno Podalydès trouve son terreau le plus fertile en lisière des conventions du genre. En cela, cette dernière « aventure » en terra incognita que peut représenter notre société moderne s’avère bien plus réussie que Les 2 Alfred. Réussissant à retrouver l’esprit bucolique et picaresque de Comme un Avion (2014). Dans le petit théâtre de Podalydès, aucun personnage (et ils sont très nombreux) de cette galerie haute en couleurs n’est considéré comme une simple marionnette. L’absence de regard surplombant empêche de rire simplement à leur dépend. Se présentant à nous comme d’apparents archétypes comiques, les plus insécures et obséquieux d’entre eux, comme les plus hautains et agressifs, se font à un moment ou un autre l’écho de nos propres désarrois. Face à ces miroirs à peine grossissant, chaque spectateur se voit offrir moult occasions d’autodérision. Plaque tournante des tours de manège immobilier, Karin Viard et Bruno Podalydès sont délicieusement lunaires dans leur costume d’expert en psychologie client doutant de leur envie de vendre. Ils sont accompagnés d’un stagiaire, incarné par un Victor Lefebvre qui, après La passagère (Héloïse Pelloquet, 2022) et Mon Crime (François Ozon, 2023), ne cesse de surprendre par la maturité de son jeu. Autour d’eux, le Podalydès réalisateur convoque ses complices de toujours : Isabelle Candelier et son naturel désarmant, et, bien évidemment, l’inamovible Denis Podalydès, surprenant ici par la brièveté et le silence de sa visite. Agnès Jaoui qui connaît également bien la chanson vient tester l’acoustique de la belle demeure provinciale lors d’un morceau de belcanto. Nouveau venu, Roschdy Zem témoigne d’un plaisir certain au basculement brutal de sa persona. Sans oublier un Manu Payet pour qui l’immobilier est une affaire très sérieuse.

Le cinéma de Bruno Podalydès observe avec bienveillance la course au bonheur de ses personnages.  L’accession à la propriété constitue un ticket d’entrée pour le jeune couple qui s’ébahit en visitant un simple T2, alors que la grande maison bourgeoise apparait comme la dernière chance de relancer un mariage, à l’approche de la retraite. Un supplément d’affection accompagne ceux qui, poussés par un petit grain de folie, sont prêts à tout remettre en cause. En poussant son époux (Eddy Mitchell) à vendre leur grande demeure, Sylvette (Sabine Azéma) compte bien se laisser porter par le vent malgré un âge avancé.  Pratiquement trente ans après Le bonheur est dans le pré (Etienne Chatiliez, 1995), le couple fantasque de nouveau réunit donne corps au contrepoint mélancolique du film. Le rôle tenu par Sabina Azéma, la grande demeure filmée comme une scène de théâtre, nous renvoie vers Alain Resnais, et plus particulièrement son dytique Smoking/No Smoking (1993). De par sa capacité à animer avec fluidité et malice des situations statiques et conventionnelles, Bruno Podalydès n’aura jamais été aussi prêt  d’atteindre  l’élégance de ce prestigieux modèle.

 

Lire également l’interview de Bruno Podalydès.

 

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A propos de Jean-Michel PIGNOL

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