Clint Eastwood –  » Cry macho « 

La réception plutôt tiède, voire désastreuse de Cry Macho de la part d’une presse (surtout étatsunienne), parfois atteinte d’amnésie cinéphilique et historique, risque de creuser un fossé, et non un malentendu, entre les générations. Les plus jeunes ne verront sans doute qu’un Eastwood de trop, fatigué – le film et l’acteur -à la sénilité avancée, ne proposant rien d’autre qu’un ultime numéro narcissique d’un vieux cowboy solitaire revenant de tout, physiquement diminué mais toujours capable d’attirer les regards d’une gente féminine atteignant à peine la cinquantaine, autant dire des jeunettes quand on approche des 91 ans. Les plus âgés, ou même très âgés, ayant parfois traversé depuis le début des années 60, cinq décennies en compagnie de leur idole autant que compagnon de route symbolique, seront ravis, peut-être même bouleversés, par cette ode aux choses de la vie les plus simples donc essentielles, délestée du moindre enjeu diégétique, dégraissée de tout superflu. Une œuvre rachitique, à l’os et pourtant généreuse.

Cry Macho: Clint        Eastwood, Eduardo
        Minett

Copyright 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved.

Clint Eastwood ne change pas pour ce – faux – western déconnecté du réel et de ses évolutions, et totalement apaisé. Il ne cherche pas plus à plaire, à s’inscrire dans une temporalité contemporaine qu’à caresser dans le sens du poil l’exigence d’un spectateur venu assister à la grande œuvre d’un artiste autrefois célébré. Il assume pleinement la modestie, l’anachronisme et la naïveté de Cry macho ; il y incarne Mike Malo, ex gloire du rodéo, amoureux des chevaux, survivant inespéré d’addictions diverses, l’alcool en tête. Il est engagé pour ramener au Texas, Rafo, le fils d’un de ses seuls amis qui lui reste. Et encore, vu la teneur de leurs échanges, plutôt distants, il s’agit d’une amitié, certes solide, mais liée au passé. Avec une facilité déconcertante, Milo retrouve l’adolescent au Mexique, toujours accompagné de son fidèle compagnon, un coq de combat, Macho. Cette lâcheté du récit, revendiquée, se poursuit sans accroc. La docilité de Rafo, personnage suranné, fantasmé, contredit ce que l’on avait imaginé, renonçant aux conflits générationnels et identitaires. Rafo ne se présente pas comme le petit délinquant jouant les gros bras, le cas social en butte au système mais un gentil garçon qui fait mine de s’opposer à Milo avant de s’accommoder à la situation, et même rêver de passer la frontière pour revoir un père qu’il n’a jamais connu et vivre une existence moins tourmentée. Il renvoie davantage à ces personnages d’enfants qui peuplaient le western américain des années 50, fascinés par la figure patriarcale et une forme d’héroïsme que Clint Eastwood incarne encore envers et contre tous. De la même manière, la vague promesse de la présence d’antagoniste, sans être totalement absente, se trouve quasiment sacrifiée, dénuée du moindre suspense.

Cry Macho: Eduardo        Minett, Clint
        Eastwood

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Le cinéaste enlève, épure au maximum et au final ne raconte presque rien. C’est justement ce presque rien qui émeut par sa littéralité et sa candeur comme dans un livre d’images pour jeune public, un conte puisant dans la mythologie de l’Ouest, sous ses apparences de road-movie classique, destiné à raviver des émotions édifiantes. Quelques rémanences du passé montrent Milo dresser un cheval et s’opposer physiquement à ceux qui lui barrent sa route, mais le temps n’est plus au combat, à se montrer « fort », « macho » en espagnol, ni à se livrer à un exercice de masochisme dont l’auteur de Pale Rider a toujours si bien su faire preuve. Ne plus donner de coups, ne plus les encaisser, semblent être le crédo du nouveau film de Clint Eastwood. Pas de conflit, ou si peu, juste de l’amour à donner au risque de flirter avec la mièvrerie. Juste prendre la main chaleureusement d’une fillette, danser avec une belle mexicaine qui a vécu, réminiscence des beaux moments de Sur la route de Madison, ouvrir son cœur à un jeune gamin en manque de repères affectifs. C’est un peu La Mule, sans les enjeux narratifs, les séquences d’action, la présence de quelques comédiens en vogue, le cynisme jubilatoire à travers des dialogues cinglants.

Cry Macho: Clint        Eastwood

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La mise en scène épouse le rythme au ralenti du corps fatigué de Clint Eastwood. Elle se laisse attendrir par des couchers de soleil ravivant la splendeur des westerns d’antan, la description picaresque à défaut de réalisme d’un petit village mexicain. Mais sa nonchalance, qui n’est en rien un renoncement, sied à merveille à ce film tendre et archaïque, cette toute petite chose passée de mode qui vaut bien des monuments modernes.

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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