Cannes 2025 (Compétition/ La quinzaine/ Un certain regard- Métamorphoses du Queer: « La petite dernière »; « Enzo »; « Pillion »

La programmation 2025 fait la part belle aux récits queer. Beaucoup d’entre eux – j’ai déjà évoqué dans ces pages le Mystérieux regard du flamant rose- s’emparent du sujet de l’homosexualité avec audace et en subvertissant des codes déjà bien installés. Ces codes, Hafsia Herzi ne parvient pas à s’en libérer. Dans La petite dernière, adaptation du roman de Fatima Daas sélectionnée en Compétition officielle, elle suit un chemin largement balisé: découverte de l’homosexualité dans un monde hostile (la banlieue, l’Islam), culpabilité, secret, érotisme exacerbé, histoire d’amour contrariée. Son interprète principale, Nadia Melliti, est superbe, mais cela ne suffit pas à emporter, dans un film où les intentions prennent le pas sur les émotions et où le calque de Kechiche est si évident qu’il met mal à l’aise.

On trouve beaucoup plus de subtilité dans Enzo, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes. La genèse est belle: le film a été écrit par Laurent Cantet. Après sa mort, Robin Campillo a repris le projet: c’est “un film de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo”. L’osmose entre les deux univers est parfaitement réussie. Le point de départ de l’intrigue rappelle, en miroir, celle de Ressources humaines: un affrontement père-fils autour d’une trahison de classe. Mais le trajet est inverse: Enzo ( Eloy Pohu, magnifique de trouble et de rage contenue) se déclasse. Ses parents sont prof de fac et ingénieure; il décide de passer un CAP maçonnerie, une discipline dans laquelle, pourtant, il ne montre que peu d’aptitudes. Le topos contemporain du transfuge de classe est pris à rebours. Dans ce sens, on ne parle d’ailleurs pas de transfuge mais d ”échec” ou de “manque d’ambition ». Ce sont les mots du père, qui, ironiquement, se sent méprisé. Pierfrancesco Favino est très touchant, jamais caricatural, dans ce rôle de bobo aimant et dépassé. Il est aveugle à cet autre ébranlement : celui de l’attirance de son fils pour Vlad (Maksym Slivinskyl, beau comme un Brando), un ouvrier ukrainien. Seule la mère (merveilleuse Elodie Bouchez, comme à son habitude) sait le déceler. Bien au-delà d’un film sur l’homosexualité, Enzo est le récit d’initiation d’ un garçon “en apprentissage”. On lui sait gré de rester pudique, de ne pas jouer sur les leviers de la honte de soi ou du rejet pour se concentrer sur une initiation au trouble. Élevé dans un paysage solaire et une maison toute en transparence ( mais où l’ on est finalement aveugle au monde), Enzo s’abime les mains dans les premières séquences : il découvre la rugosité et elle fait mal.  Par le truchement de son amour pour Vlad, il s’ouvre à un autre univers, fragile, âpre, parfois désespéré, dont il apprend à percevoir les beautés. On peut devenir très sérieux quand on a 17 ans. La fin est sublime de douceur. Elle propose une allégorie sur les ruines qui fait mouche. D’ aucuns doivent visiter Pompéi pour les contempler; d’autres vivent dans un monde dévasté. Mais les ébranlements de la jeunesse existent partout; ils sont une voie vers la connaissance et l’acceptation.

Autre récit d’initiation, Pillion, de l’Anglais Harry Lighton choisit une voie bien différente. Là ou Campillo fait le choix de la pudeur, Lighton fait celui de l’outrance. Evacuées chez lui aussi les questions de la culpabilité, de la famille hostile. Décapage complet du récit queer que cette histoire située dans le milieu des bikers. Colin (Harry Melling, touchant à souhait), jeune homme à bouclettes et voix d’ange, dans le genre timide voire coincé, rencontre Ray (Alexander Skarsgård, à tomber), figure hyper virile de motard aux noms de femmes tatoués sur le torse. Entre les deux s’instaure une relation de domination violente, Ray ayant décelé chez Colin une “aptitude à la dévotion”. C’est sauvage, c’est parfois difficile à soutenir, c’est à la lisière de la pornographie sado-maso. Mais Lighton, outre qu’il montre une maîtrise du cadre et du montage incroyables pour un premier film (il concourt pour le prix de la Caméra d’ or, dans la sélection d’ Un certain regard), manie l’art du contrepoint avec brio. Pillion est un objet inédit et jubilatoire, une sorte de rencontre improbable entre le porno et la comédie romantique à l’anglaise, avec ses dialogues ciselés, son héros craquant, ses repas de famille hilarants. Il passe au kärcher toutes les représentations, subvertissant les trames classiques. Ainsi la comédie romantique est-elle prise à rebours: on commence par la vie de couple plan plan ( Colin fait les courses, la cuisine, etc. ), puis le sexe débridé, pour finir avec le rendez-vous au cinéma et le premier baiser. Comme Colin, le spectateur doit beaucoup endurer avant de voir quelque chose de l’ordre de l’ amour éclore. L’ humour ravageur du film l’aide à supporter la souffrance, qu’il ne peut manquer de vivre avec Colin, tant le personnage suscite l’ empathie. 

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