La guerre permanente. La guerre sans fin. Contre soi et les autres. Dans un univers à bout de souffle parsemé de meurtrissures béantes occasionnées par les hommes. C’est le monde de DOA, dans son dernier livre, écrivain de polar français aussi discret que méthodique dans la narration de ses intrigues. Déjà auteur, en 2007, de Citoyens clandestins où il suivait, avec une précision brutale et réelle, les traces d’un djihadiste et d’un agent secret dans les coulisses des États, il revient sur le devant de la scène noire avec PUKTHU, un récit fleuve et grandiose en deux parties de 600 pages chacune (la seconde partie sortira visiblement en octobre 2015).

Pukthu évoque en langage pachtoune l’honneur. Celui au sens personnel et au sens plus général, celui de la tribu, des siens. De l’honneur, justement, il en est question dans ce récit. L’honneur d’hommes et de femmes, perdus dans les atrocités du genre humain. Et d’abord dans les confins d’une guerre, aux motifs depuis longtemps oubliés par les acteurs. « Des gosses, moudjahidines et GIs, se tirent dessus et crèvent. La guerre est mère de toutes les commémorations mais c’est une mauvaise mère, elle ne respecte rien, ni les grandes idées, ni les hommes elle les dévore et leur survit. Toujours. »

L’essentiel du récit se déroule en Afghanistan et dans les zones tribales à la frontière pakistanaise. D’autres récits apparaissent, en parallèle, en Côte d’Ivoire et en France notamment. Les personnages se mêlent, s’entrecroisent selon leurs intérêts. En effet, la guerre conventionnelle a laissé place à un champ de bataille difforme où chacun essaie de tirer son épingle du jeu. Les trafics de drogue ou autres semblent être la seule matrice d’une armée américaine désunie. L’armée du monde libre est devenue un conglomérats de milices, privées ou publiques, fonctionnant en autarcie. Les clans sont disparates et perméables. Fox, par exemple, appartient à un groupe de paramilitaires, 6N. En parallèle, il informe un haut responsable de la CIA des agissements de ces hommes.

Rien n’est laissé au hasard, dans le roman de DOA. La puissance de son roman se trouve dans ces détails qui font basculer la vie des hommes. Après la mort de sa fille, Badrai, causée par un drone américain, Sher Ali Khan Zadran, un chef de clan pachtoune réputé neutre précipite son destin. Il rejoint les talibans et va devenir un des adversaires les plus coriaces des Américains. Il y aussi le destin de Chloé de Montchanin qui écume les soirées de Paris en quête de sensations. Et qui par ses rencontres devient la victime d’un homme par ailleurs haut placé au sommet de l’État. Dans cette foule de personnages (une soixantaine), DOA forge la réussite de son roman. Il prend le temps d’expliciter leur parcours afin d’éclairer leurs choix. Il en est ainsi pour ce journaliste, Peter Dang, enquêtant sur les trafics au sein de l’armée. En proie à des difficultés familiales aux États-Unis, il prend tout les risques pour mener à bien son enquête sur le terrain, faisant fi des risques.

La violence, chez DOA, est omniprésente. Le sang coule, les bombes explosent, les cadavres s’amoncellent, l’innocence est souillée, la barbarie récompensée. L’écriture de Doa ne tremble pas, elle est précise et poignante. « Du genou, Sher Ali force le captif impotent à s’allonger sur le ventre et lui étire le cou après avoir dégainé le kard de son père. Spin Dada, guide ma main. La longue lame droite et pointue, au tranchant de rasoir, entame sans difficultés la gorge. Ça gicle loin devant, ça s’écarte, les regards se caltent. Hurlements humides. Le bourreau aspergé force à travers la trachée, scie, bute sur les vertèbres. Gargouillis. L’acier dérape sur l’os, grince, fouille, il veut un interstice sur lequel s’appuyer, par lequel passer. Sher Ali a du mal à maintenir le condamné en place. Il remue en tout sens et s’accroche à lui, veut le percer de ses ongles, mais ça poisse, ça glisse, il est trahi par son propre sang. »

Outre le déploiement épatant du scénario ou l’expression singulière des personnages, Doa s’est efforcé d’inscrire son récit dans une réalité. Par ses multiples voyages, ses entretiens, il a voulu écrire le plus près possible du réel, sans verser dans le sentimentalisme de bon aloi. Il en ressort une fiction où le point de vue objectif de l’auteur renforce la profondeur de son écriture.

Pukhtu (primo) est remarquable à tout point de vue. On attend avec impatience le tome 2 pour saluer l’extraordinaire talent de l’ auteur à travers un projet détonnant dans le paysage du polar français.

PUKHTU.

DOA

Editions Gallimard, Série noire

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A propos de Julien CASSEFIERES

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