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« Ce livre n’est pas un conte de fées« . Mais qu’est-il donc au juste ? Quand Nicolas Roeg adapte Dahl avec l’appui de Jim Henson, la fantasmagorie vrille étrangement de l’horrifique au consensuel, du mauvais goût revendiqué à la timidité. On se souvient, entretemps, que les mots originels n’avaient rien de sage, et qu’ils étaient plutôt ceux d’un grand gamin perturbateur. On en riait, au coin du feu, près d’une forêt faite d’ombres menaçantes.

// Au fil des pages… //

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Sacrées Sorcières cristallise l’univers de Roald Dahl, grand auteur du siècle dernier pour qui Macabre et Merveilleux n’étaient pas antagonistes. Si les nouvelles pour adultes du britanico-norvégien se prêtaient par excellence à la structure de la série télévisée (Dahl adapta plusieurs de ces truculences pour le petit écran via Alfred Hitchcock Présente), les récits pour enfants du père de Charlie Bucket posent davantage de soucis quant à leur adaptation sous forme visuelle. Peut être parce que, contrairement à la nécessité de la chute dont le pendant scénaristique serait le twist ending, Dahl y privilégie l’essence-même du romanesque: le style. A savoir construire au maximum son écriture, volontiers imagée, entre simplicité et fantaisie, pour non seulement faire voir aux rejetons ces histoires, via moult descriptions colorées, mais également leur faire vivre. Tout est ainsi pensé pour, d’un bout à l’autre, faire perdurer une parole quasiment sensitive qui ne doit pas quitter le lecteur. Un langage atypique, sucré et poivré. Narration dynamique prenant toujours à partie ce dernier, humour linguistique que l’on pourrait rapprocher de l’oeuvre du Dr Seuss, philosophie du nonsense qui n’a rien à envier à Lewis Caroll, omniprésence des chansons qui tout en surlignant la rythmique du récit fait du lecteur un participant actif, ces contes revisités sont un habile mélange de relecture irrévérencieuse et de tradition. Sorcières, ogres, géants, y apparaissent dans l’environnement du quotidien, souvent par le prisme de l’allégorie (car perçus par les yeux d’un gamin haut comme trois pommes), détournés façon parodie, mais l’intention, elle, ne date pas d’hier: au centre de tout se trouve le plaisir de raconter une bonne histoire, tout simplement.

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Sacrées Sorcières fait bel et bien état de ces mixtures délectables, se rapprochant davantage du ravageur La potion magique de Georges Bouillon que du Bon Gros Géant. Car, et c’est là sa principale caractéristique qui fit en un temps scandale, Road Dahl y démontre un sadisme certain, qualité qu’il partage fort heureusement avec son jeune lectorat, et plus précisément son amusement quant à l’illustration délibérément enfantine, car potache, de la cruauté et de la méchanceté gratuite. Enfantine, oui, puisque la visée de tout Roald Dahl est la finalité d’un processus précis, schéma narratif où l’accomplissement terminal du protagoniste n’a lieu qu’après une suite de bouleversements corporels, de transformations, à la fois régressives et monstrueuses, et de…destructions. Bref, le cycle impitoyable de l’enfance s’il en est. Sacrées Sorcières et La potion magique de Georges Bouillon participent du même jeu de massacre, rythmé comme une ballade et acidulé à souhait. A la sortie de La potion magique de Georges Bouillon, un critique littéraire français a été jusqu’à comparer cette histoire de petit-fils apprenti-sorcier à Hara Kiri !

Il faut avouer que ce postulat d’une concision à toute épreuve, s’attardant sur la préparation méticuleuse d’une potion fatale, est des plus transgressifs. Souffrance et ironie mordante sont des éléments indissociables de cette littérature simultanément salvatrice et naïve . C’est dire si Dahl écrit pour les petits comme il le fait pour les grands, avec la même envie de tout bazarder, façon écroulement du château de sable. L’humour noir caractérise l’histoire de sorcières dont il est ici question, histoire à la fois personnelle (les parents de Dahl sont norvégiens), moderne (toute une introduction pour réécrire le folklore sorcier) et folle, nous rappelant que chaque écolier britannique doit craindre pour sa peau, s’il ne veut pas finir entre les griffes d’une vicelarde assassine.

// De l’écrit à l’écran, le bal des sorcières //

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Transposer un récit à l’écran ce n’est pas seulement lui donner corps, c’est le typifier en genre ou sous-genre cinématographique (on retrouve le même cheminement quand il s’agit d’adapter un film en jeu vidéo). Le choix de Roeg à la barre du navire n’est pas si incongru, loin de là: en dehors des attraits fantastiques de certaines des œuvres du cinéaste, on perçoit, comme une plainte, la voix de l’enfant à travers Walkabout et Ne vous retournez pas. Ici, l’adulte en devenir navigue en plein delirium. Sage et candide, il évolue dans le cinéma hybride de Roeg, qui comme Dahl partage ce gout de l’entrecroisement déroutant entre la fantasmagorie et le poids du réel. Comme si adapter Dahl, c’était avant tout s’en servir comme d’un miroir déformant pour transcender le réel, ce que Danny Devito fera avec Mathilda

Il n’est pas étonnant de voir Roeg s’intéresser à un récit conciliant insouciamment songe cauchemardesque, souvenirs intimes et artefacts: obsession cinématographique s’il en est, les apparences sont ici trompeuses et dangereuses en diable. Suivant cette thématique de la crainte paranoïaque, Roeg détourne un conte moderne et en fait un film de genre, et plus précisément un film d’horreur. Au détour d’une scène, le voilà qui rend hommage à Shining, en osant un parallélisme entre l’hôtel où a lieu le congrès annuel des sorcières et l’Hôtel Overlook, tout deux synonymes de menace intérieure. Plus globalement, vastes couloirs, yeux lumineux, chat noir, séquence du tableau qui n’est pas sans rappeler Poe ou Wilde, musique inquiétante, voyeurisme et scènes-choc très graphiques sont autant d’éléments définissant le projet de Roeg comme une tentative de proposer à un public peu âgé autant de fulgurances irréelles et horrifiques.

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Les Sorcières respecte le message littéralement absurde de l’auteur, lequel y décrivait une société imaginaire où rien n’a de valeur, si ce n’est une forme d’anormalité parfaitement saine. Les monstrueuses créatures respirent l’artifice puisqu’elles portent des masques et les personnages secondaires (employés, parents) ne sont que des stéréotypes en bois. Ne restent alors, comme modèles à suivre, que deux souriceaux et une grand-mère quelque peu allumée. Les institutions, qu’il s’agisse de l’école ou de l’Etat, n’ont que faire dans le monde des originaux, des courageux, des gens plein de bonté. Se transformer en souris, c’est, avant toute chose, ne plus aller à l’école: moins une régression qu’une pleine victoire, un mal qu’un bien ! Un message pas tant immoral que crédible, qui au sein de l’histoire apparaît comme un élément à la fois digressif et transgressif…Est beau ce qui est différent.

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Le cinéaste a compris cette propension à la valorisation du bizarre, bizarre qui est à la source des écrits de Dahl, et la douce étrangeté qui en émane. Cette dinguerie est intelligemment traduite en images par quelques procédés de mise en scène. Afin d’exprimer ce sentiment de déviance généralisée, ce processus d’inversion où seuls les enfants seraient réellement « responsables », le réalisateur use de multiples décadrages, cadres penchés, grands angles et autres vues en plongée. Autant de prismes par lesquels l’image se déforme, se modifie via le choix du point de vue (la plongée sert à mieux surligner la petitesse de la présence enfantine), de tremblotantes prises de vue pour mieux nous faire gouter à la délectation de l’hystérie, comme si rien ne tenait vraiment en place, pas même la caméra.

Car Les Sorcières, c’est indéniable, est une œuvre de l’hystérie. Rires sardoniques, situations croquignolentes, métamorphoses dégoûtantes, fulgurances burlesques (Rowan Atkinson s’acharnant à coups de hachette sur un rongeur) et rots infects suivis de gerbes verdâtres ponctuent cette comédie au mauvais esprit revendiqué.

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Qui de mieux alors que Jim Henson, maître du cristal ténébreux, pour faire imploser l’horreur de la fable enfantine ? Climax affolé, la métamorphose de la Grandissime Sorcière en abominable créature n’est pas sans rappeler une autre adaptation de l’auteur, très libre il est vrai, à savoir le Gremlins de Joe Dante. Et plus particulièrement cette suite détraquée, où d’aberration vicelarde, le gremlin devient virus électronique, gargouille assoiffée de sang et arachnide disproportionnée. Cette beauté de la Bête violant le divertissement familial, on la retrouve ici, via l’art de Henson. Jim Henson est un amoureux de l’imaginaire palpable, physique, charnel, celui que l’on peut toucher du doigt, puisqu’il est avant tout marionnettiste. Son association avec l’univers de Roald Dahl, fait de bouffe fastueuse dont l’on se goinfre inlassablement et de dérèglements exacerbés des corps, tombe sous le sens. Cette fascination pour le physique voire l’hyperphysique, du gigantisme à la laideur hypertrophiée, c’est aussi celle de Jim Henson et de son antre de l’Horreur.

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Curieuse expérimentation que celle de chercher à respecter Dahl tout en osant le sacrilège. Entre la fable brutale (la mort des parents), le fantastique suggestif (l’enlèvement de la petite fille en plein hiver), la comédie british (Mr Bean en tête), le film animalier pour enfants (bêbêtes qui parlent et péripéties cartoon) et l’épouvante pure, Les Sorcières s’avère être une œuvre composite…mais également consensuelle. Par-delà quelques détails, comme ce gamin qui semble plus incolore que dans le texte original et cette grand-mère tabagiste qui ne lui propose pas de cigare (politiquement correct oblige), demeure cette fin curieuse, simili-happy end forcée trahissant l’esprit du roman en le vêtissant d’oripeaux walt-disneyens. Alors que la fin du roman était un cri de guerre emphatique à l’égard de ces vieilles peaux maléfiques, celle du film introduit comme élément moraliste farfelu la rédemption d’une sorcière devenue bonne fée. Se ressent moins, également, l’atmosphère conclusive du roman, cette tranquille mélancolie qui bouclait la boucle: le petit-fils souriceau y apprenait son espérance de vie, et, tout content, se disait qu’il allait être agréable de mourir en compagnie de sa tendre grand-mère…Une émotion plus véritable que celle que l’on est censé ressentir face à la rédemption d’une sorcière qui trahit sa propre condition !

Drôle de friandise douce-amère en vérité que ce divertissement mi-Disney Channel mi foire aux monstres…Preuve en est que Roald Dahl, comme le disait Quentin Blake, écrit en images. En faire des films, c’est faire bouger tant bien que mal ce qui apparaît déjà comme une source revigorante de mouvements, d’exclamations et de vie.

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A propos de Clément ARBRUN

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