Wendy Martinez – « La chevauchée électrique » (album + interview)

Wendy Martinez – La chevauchée électrique

Il y a une musique pour tous les instants de la vie, pour chacun d’entre nous, et parfois la vie ne tient qu’à une note. Comme dans la nouvelle de Jean Ray, Petite femme aimée au parfum de verveine. Dans ce court texte magnifique et génial, l’auteur belge de Malpertuis (entre autres) décrit en quatre pages comment un groupe de noceurs doit la vie sauve à l’une des leurs, qui, pour deux bougres prêts à les égorger, se met à chanter.

       Et Jean Ray d’écrire :

« Où sont-elles accourues toutes nos douloureuses amies des ports ? (….) Toutes m’entendez-vous, toutes sont accourues sur la route mystérieuse du souvenir pour sauver l’évocatrice de leur éternelle misère de femmes abandonnées. Et ferme comme en Dieu, je crois à leur geste fantomal d’amoureuses protégeant la belle jeune femme aux yeux mauves qui chanta si merveilleusement l’immense pitié des filles de bord, un soir, au bar du Site Enchanteur »[1]  

Les chansons de Wendy Martinez sont pareilles à celles de cette jeune femme. Elles ont le pouvoir de nous détourner de la mort pour lui préférer l’amour.

Un Ep de 6 titres au nom, évocateur, de La Chevauchée Electrique que la chanteuse a enregistré avec, à la basse, Alexis Morel Journel que l’on retrouva notamment avec Slow Joe and the Ginger Accident[2] (avant que ce dernier ne décède). A la batterie, Josselin Varengo[3] , aux claviers la claviériste Fanny Rivollier, avec son Juno (clavier Roland), aujourd’hui partie à Bruxelles et remplacée sur scène par Anne-Lyse Gaudet. Benoit Bel a enregistré les instrumentaux dans son studio, le studio Mikrokosm et a prêté ses vieux synthés analogiques pour l’occasion. Sur « L’Aube », il y a la chanteuse Ottilie [B], une amie et sœur de musique de Wendy, qui a fait des chœurs telluriques. Massoud Raonaq[4] a joué des tablas sur « La Chevauchée Electrique ». Greg Delisle du label Belka, sort le disque avec le label le Pop Club Records, finit le mixage et le mastering, sachant que Benoît bel et Alexis Morel Journel ont aussi participé à la définition du son du disque.

Si on peut prendre le temps de citer tous ces noms, c’est pour témoigner de la richesse musicale de l’œuvre. La richesse de la passion, négation du temps qui passe pour la création d’une autre temporalité, celle de l’œuvre. Si les yeux prudes clignent en lisant ce mot, ils peuvent le remplacer par « ouvrage », mais le principe est le même, la transcendance. La musique est ainsi libre qu’elle s’incarne en chacun de celles et ceux qui l’écoutent, en une intimité universelle.

Une chevauchée électrique de six titres qui commence par des volutes planantes au-dessus des guerres humaines, alors « qu’il faudra bien s’aimer ». Le premier morceau de l’album « mon aviateur » est exactement propice à un décollage en douceur mais où, déjà, on quitte une pesanteur pour un découvrir une autre, plus douce et obsédante.

Le second morceau n’attendra pas la fin de l’album pour mettre les choses au clair. Les premiers mots de la chevauchée électrique sont « je t’aime » auxquelles on pourrait rajouter un « moi non  plus » Gainsbourien. Mais la chanson nous emmène sur de tout autres rivages, encore plus sensuels (et sans sucre). La chanson est un manifeste. Le manifeste de la transcendance de l’amour charnelle. Cela fait mal (le manque) comme c’est bon (le savoir). La chevauché des sphères que chante Wendy Martinez est la plus belle ode à l’amour que j’ai entendu ces derniers temps.  Les paroles :  «

« J’me branche à ton thorax, pluguée au plexus
A l’alimentation des pores de ta peau
Déjà un truc grésille, dans le réseau, les fils
Filaments de lumière derrière mes paupières
Je vois, dedans de nous, le grand Noir astral
Les ténèbres amusantes, oh l’ombre du nuage
Le rire de la mort nous étreint à la gorge
Des cellules flottent encore sur la cornée idiote
Nos corps sur la corniche se rappellent la chute
Et chuchotent en riant la chevauchée des sphères

Mélangeons nos peaux
Chevauchons les sphères
Mélangeons nos ventres
Des abysses au-dedans

Nous flottons, doux et durs, vilains et mangeurs d’hommes
Oh nous nous dévorons avec voracité
Nous ne laisserons rien, ni poil ni os ni plume
Nous dégusterons bien chacune de nos cellules
Et repus d’infini, et d’électricité
Un serpent nous unit, qui dénude le fil
Qui nous met en contact, électrodes cutanées,
Sans résistances ni diodes…le frisson nous bénit
Tu m’ouvres la poitrine, et je demeure tranquille,
Vaste fleuve indolent qui reçoit l’océan

Mélangeons nos peaux
Chevauchons les sphères
Mélangeons nos ventres
Des abysses au-dedans

Des amibes au-dedans, des animaux dedans, des abymes au-dedans,
des abysses au-dedans, les papillons d’antan, passiflores dansant des rideaux au divan,
les papilles vibrant, pupilles se dilatant, des âmes mises au-dedans, des âmes avec des dents…».

 

La basse, admirablement jouée par Alexis Morel Journel, a un piqué qui d’emblée me fait penser à Jean Claude Vannier et ses arrangements pour Melody Nelson. Impression qui restera au fil des titres de l’album, faisant de la basse un des piliers de la musique de Wendy Martinez, permettant aux musiciens de s’enrouler autour comme un serpent sur son arbre.

« Kilomètre zéro » laisse s’étaler la voix de la chanteuse dans des arabesques et des revirements qui témoignent de l’étendu d’évocations de la chanteuse. Les chemins neuronaux et leurs caches spéculaires offrent d’inattendues associations. Ainsi l’album de Wendy Martinez m’a amené à réécouter celui de Ellie Medeiros, For You

J’aimerais pouvoir dire quelque chose de cette soudaine association d’idée. Parfois les mots n’ont rien de plus à dire que ce qui est. L’aube est un jaillissement vocal, verbal et musical renforcé par les chœurs de Ottilie [B] [5], artiste lyonnaise à découvrir.

L’album se termine avec les « vieilles filles en fleur »

Interview

Vasken Koutoudjian : Alors on va commencer comme en garde à vue : date et lieu de naissance ?

Wendy Martinez : Je suis née à Vendôme dans le Loir et Cher. Aucun souvenir ! Mon père était instituteur et ce faisait muter dans différents coins. On est parti dans le sud, d’ailleurs j’ai pris l’accent pour les « é » que je dis « é » alors qu’ils sont « è » ! Jusqu’à mes six ans c’était le sud et là mon père se fait muter à Annecy en Haute Savoie où je vais rester jusqu’à mes dix-sept ans. Après mon bac, je vois qu’il y a des études de musicologue à Lyon. A la base j’imitais tous les chanteurs pour faire marrer les potes au collège et au lycée. Je faisais un peu le clown quoi ! Jusqu’à ce que je me prenne au jeu en imitant des gens que j’aimais plus comme Ray Charles ou Ella Fitzgerald. Mon père adorait la musique de toute façon et il adorait improviser. Il avait tout un tas de petits instruments, synthétiseurs, sur lesquels je me suis régalée. J’appuyais sur des boutons de ces boîtes à rythmes étranges et ça faisait « wouaf wouaf ! » ! La voix est venue assez vite après un essai de guitare qui n’a rien donné. A l’adolescence avec une copine d’Annecy on s’est mis à composer une espèce de grunge avec l’ordinateur de ses parents. Du coup avec elle je fais mes premiers concerts. On jouait dès qu’on pouvait et je m’installais à Lyon où je fis mille et un boulots alimentaires pour jouer de la musique.

VK : En écoutant les paroles de tes chansons, je me suis posé une question : comment passes-tu de l’intime au surréalisme ?

WM : Spontanément je dirais que c’est la part de secret et de pudeur.  La musique est une bonne manière de parler de plein de choses dont je ne me serais pas emparé directement. Il n’y a rien que j’aime plus que d’entrer dans la psyché des artistes que j’apprécie. En même temps j’ai très peur de l’écriture « journal intime ». Donc j’aime l’idée de transformer les évènements de ma vie. Alors paradoxalement je dirais ça, peut-être par une forme de pudeur. Je te dis ça et en même mes chansons sont tout sauf pudiques !

VK : C’est le paradoxe. On fait l’inverse de ce qu’on dit et on dit l’inverse de ce qu’on fait.

WM : Pourtant un jour j’aimerai pouvoir écrire quelque chose de beaucoup plus direct. J’écoutais Anne Sylvestre que je ne connaissais pas trop et elle est assez directe dans un sens. Collette Magny… Mais bon il y a une chose qui m’intéresse aussi dans le passage de l’intime au surréaliste c’est qu’on va placer des mots relatifs à notre corps. La transformation du social à travers les mots.

VK : Ne peut-il y avoir d’amour que passionné ?

WM : Tout dépend de ce qu’on met sous le terme de passion. Pour moi l’amour passion est plus un amour très doux et bienveillant. J’aime beaucoup Marc Aurel en philosophie, qui invite à se concentrer sur le présent, à faire son travail d’Homme jour après jour. Sachant qu’un jour on disparaitra, ça me rassure pas mal. En fait ça nous détend sur pas mal d’action si on se dit qu’un jour tout aura disparu. Pouvoir chanter la mort, c’est une forme d’humilité pour moi. On n’est pas grand-chose.

VK : En même temps on a complètement modifié notre environnement, jusqu’à modifier son fonctionnement, son équilibre. Alors c’est vrai on n’est pas grand-chose, en même temps on a modifié la matière qui nous entoure. Cela interroge un peu ce que l’on est. Alors dans tout ça, quelle est l’utilité de la musique pour toi ?

WM : Quand j’en écoute c’est une sorte de médecine de l’âme. Une sorte de catharsis. La musique est un vecteur d’émotions. Et puis ça me donne espoir en l’Homme. Quand j’écoute quelque chose de beau, je me dis qu’on n’est pas si pourri que ça. Quand j’ai écrit la chanson « mon aviateur », j’ai pensé à ça. On a voulu imiter l’oiseau.

WM : Voir des humains décoller d’une falaise avec une voile dans le dos, je trouve ça magnifique.

VK : Comment viennent les morceaux quand tu composes ?

WM : Dans l’urgence de dire. Dans des moments où je suis assez hyperactive. Je prends mon dictaphone, mes carnets pour commencer à griffonner. « Kilomètre zéro » par exemple c’est suite à un reportage que j’avais vu sur les enfants des îles Grecques qui vivaient le confinement de manière dramatique. J’en ai pleuré et j’ai eu besoin d’écrire.

VK : Pour toi, c’est quoi la mort ?

WM : C’est l’arrêt du corps. La finitude n’est pas une chose négative. Alors que ce soit un bel achèvement, c’est mon souhait.


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[1] Jean Ray in Les contes du whisky.

[2] https://www.youtube.com/watch?v=uMJhNULo2M8

[3] https://www.youtube.com/watch?v=Zz0JD3cgdpo

[4] https://www.massoudmusic.com/

[5] https://www.youtube.com/watch?v=eGINOpLel_8

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A propos de Vasken Koutoudjian

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