Des voix, des chuchotements, la plainte inquiétante d’un violon, des clochettes. Et le vide. La beauté de la béo de The VVitch tient à la précision de sons menaçants, parfaitement lisibles, comme des entités dont on distinguerait la disposition dans le paysage, à l’image du regard acéré du cinéaste. Le premier long métrage de Robert Eggers, The VVitch n’est pas un film de peur, mais un film SUR la peur, qui plonge au cœur de ses racines, interroge ses origines et scrute le terreau des croyances populaires, des mythes et des contes. De l’étouffement des pulsions et de la féminité par les religions, de la terreur que la féminité inspire à l’homme, de l’épouvante provoquée par le désir et la sensualité naissent les sorcières. Il fallait, pour répondre à l’intelligence du propos, un espace sonore adéquat et complexe : l’exigence de l’œuvre de Korven agit en miroir à la densité du film. La partition musicale permet ce glissement vers une angoisse graduelle et insidieuse ; elle se confond parfois à une bande son très élaborée, agressive dans son amplification des moindres coups de hache en vacarme, des bruits du vent en bruit coupant ; elle rappelle le travail de Takemitsu sur Kwaidan, où nous ne parvenions parfois plus à distinguer le travail du compositeur de celui de l’ingénieur du son.

Sonorités anciennes et modernes fusionnent en une surprenante alliance. La Nyckelharpa (instrument médiéval au son très proche de la vièle), le waterphone (instrument à friction dans lequel l’eau crée les variations harmoniques) et le violoncelle se répondent et s’entremêlent en un va-et-vient entre une douceur harmonique et la violence stridente. L’emploi des cordes rappelle immanquablement György Ligeti et ses quatuors, tout comme ses voix cosmiques sans paroles, à la manière de Lux Aeterna ou de son Requiem, nous encerclent et nous envahissent. Un morceau comme Caleb’s Seduction résonne d’ailleurs comme un hommage explicite. Lorsque le compositeur emprunte à la musique ancienne et baroque, la peur s’efface parfois devant la mélancolie avant de repartir subrepticement vers des vagues discordantes, pour nous précipiter à nouveau dans le gouffre. Le son de la viole de gambe chante une paix de l’âme qui renvoie à certaines pièces de Purcell ou du Capitaine Tobias Hume. L’album se termine d’ailleurs – à l’instar du film – sur deux morceaux traditionnels (Isle of wight, Standish) soulignant cette dichotomie entre la violence du propos et la douceur du recueillement de l’anthem. Enfin, retentit le sabbat des sorcières ; c’est bien moins l’ombre du Komeda de Rosemary’s Baby qui pointe son nez que celle des incantations du Utrenja de Penderecki : des chœurs qui soufflent en apesanteur des chants sans mélodie, comme le souffle ensorcelant d’un vent maléfique : la terreur laisse place à une sensation hypnotique et païenne ou la crainte se mêle à l’irrésistible attirance.

A la différence des accompagnements récents du cinéma de genre dans lequel le jump scare, le vacarme et la saturation de l’espace sonore s’emploient à générer mécaniquement l’angoisse, dans The Witch, nul brouhaha de la peur, nulle emphase baroque et symphonique mais une forme de chaos incarné, hanté par l’atonalité. Mark Korven élabore une musique de chambre dissonante brillant par son unité et laissant beaucoup de place au silence. L’oreille est aux aguets. La mélodie émerge des profondeurs pour monter crescendo en puissance jusqu’à l’abîme. On n’avait peut-être pas vu plus efficace depuis The Shining : terreurs violoneuses, percussions et questionnements.

Les frottements des cordes et craquements sourds du bois des instruments renvoient aux bruissements des cimes. Mark Korven conçoit ainsi une musique dans lequel le son possède toujours un écho, à l’instar de la profondeur de champ de cette ensorcelante forêt, et de l’immensité de la peur. Ce rapport entre vertige visuel et vertige métaphysique retranscrit parfaitement l’illustration sonore de The VVitch. La peur qui s’en dégage, loin de l’effet choc, nous étreint, nous envahit et nous égare… quelque part entre les ténèbres et nous-même.

Mark Korven, The VVitch, Original Motion Soundtrack, CD édité par Milan

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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