Neil Young – « Americana »

Americana†: Neil Young, de nouveau sur les roots.

Americana est un disque de reprises. Un genre assez prisé chez les vieux briscards en mal d’inspiration, au sein d’une industrie musicale qui aime sortir des cartons les rengaines connues pour tenter d’en refaire des cartons. Récemment, nous avons eu droit à un Mac Cartney et un Chris Isaak. Jolies galettes, mais relativement dispensables selon nous.

Il y a par contre, à notre sens, quelque chose d’assez profond et nécessaire dans l’exhumation de vieux morceaux traditionnels américains par le « loner », et dans le traitement que celui-ci leur fait subir. Le Canadien se ressource manifestement. Il voit en eux, selon ses propres dires, un écho significatif et justifié aux préoccupations et problèmes de l’Amérique actuelle. Comme si le fil n’avait jamais été vraiment rompu et qu’il devait être tiré, tendu à nouveau pour donner du sens et pour comprendre… C’est le fil de l’Histoire et des mœurs d’une Nation-phare en éternelle crise
Neil Young retrouve ici son groupe Crazy Horse, avec qui il a commencé à travailler en 1969 et qu’il n’avait pas re-fréquenté depuis 2003 – l’album Greendale. La plupart des morceaux choisis font partie du répertoire plus ou moins ancestral de la chanson américaine. Certains datent notablement du XIXe siècle!!! Ce sont à des lointaines racines poétiques et musicales que Neil Young s’accroche donc. Ainsi en est-il de Oh !Susanna, une sorte de « ménestrel » qui date de 1848, et qui a entre autres servi de chant de ralliement aux Johnny Rebs durant la Guerre de Sécession – les confédérés, défenseurs de l’esclavagisme et du mode vie sudiste. De Oh My Darling, ClementineClementine, chez Young -, une ballade des mêmes eaux temporelles, de la période de la Ruée vers l’or. Du XIXe siècle date aussi She’ll Be Coming ‘Round The Mountain – surtitré Jésus’ Chariot par Neil – et est inspiré par un « negro spiritual ». Hommage à ceux qui furent longtemps esclaves dans la démocratie américaine!

Mine de rien, et là nous nous amusons à peine en convoquant l’intertextualité, c’est aussi à toute la tradition du folk-rock américain moderne, celui qui court des années quarante jusqu’à nos jours, que le chanteur-guitariste rend hommage – mais aussi, en passant, au rock anglais influencé par la musique des U.S.A., par le blues. This Land Is Your Land a un texte écrit par Woodie Guthrie en 1940. Gallows PoleGallis Pole à l’origine – a été utilisée par les requins de Led Zeppelin. High Flyin’ Bird a été reprise par Jefferson Airplane. Et Tom DooleyTom Dula chez Young – fait le lien avec, entre autres, Franck Warner, The Tarriers, Paul Clayton, Doc Watson, Rob Ickes – qui a interprété ce titre en 1997 -, etc. Tom Dooley doit probablement avoir été créée au XIXe. Le premier enregistrement connu daterait des années vingt.

En ce sens, avec son dernier disque, Neil Young prolonge cette histoire moderne dont il fait d’ailleurs partie depuis longtemps. Mais il inscrit aussi ses versions dans le patrimoine commun séculaire des Etats-Unis, car il n’y a à vrai dire pas vraiment de ligne de rupture. Notons à ce propos qu’Americana est une expression consacrée qui désigne des œuvres – littéraires, musicales ou autres – évoquant l’histoire, la géographie, la culture des U.S.A.Le traitement youngien est radical. Que l’on pense, donc, à cette fameuse chanson où il est question de banjo: Oh! Susannah. C’est un titre à jouer avec cet instrument, cela va de soi, et qui l’est parfois aussi à l’aide d’un harmonica. Neil et ses comparses l’interprètent sans folklore, avec leur son électrique déglingué. Sont au rendez-vous, sur Americana, des guitares grasses, à la saturation et au jeu parfois décomposés. Une batterie primitive. Un rythme d’ensemble à la fois nerveux, un peu bancal, et positivement poussif. Et bien sur la voix traînante du vieux routard qui transmet à travers elle, qu’on le veuille ou non, les notes passées, les notes légendaires d’Alabama ou de Hey Hey My My, lesquels n’ont, d’une certaines manière, rien à envier aux titres présents sur Americana. Même légitimité! Oh! Susannah, de Stephen Foster (1826-1864), commence chez Neil Young de façon très intéressante. Les musiciens, les instruments, les sons, d’abord épars et partant un peu dans tous les sens, sauvages et en devenir, se rassemblent progressivement pour donner naissance et sens à la musique. Un incipit sonore très vivant et qui a valeur de symbole.

A l’image de ce premier titre, Clementine ou Jésus’ Chariot – probablement le meilleur morceau du disque – sont denses, bien balancés, rassurants, roboratifs. Il est sûr que l’écoute intégrale, d’un bloc, d’Americana, peut donner un sentiment de répétitivité un chouia irritant, créer une lassitude chez l’auditeur. Une chanson comme High Flyin’ Bird est, pour prendre un exemple, de peu d’intérêt. Mais probablement, c’est un point de vue que nous donnons avec une note d’humour, ne faut-il jamais écouter trop longtemps Neil Young!Que vient faire God Save The Queen à la fin? Celui que certains considèrent comme l’un des pères du punk entend-il rendre hommage aux Sex Pistols? Pas du tout. Il s’agit là de l’hymne anglais, pur et dur. Neil Young veut probablement rappeler que nombre d’Américains sont originaires des Iles de Ses Gracieuses Majestés. Et il faut par ailleurs savoir qu’au Canada, il est arrivé souvent que cet étendard musical anglais soit chanté à la place d’O Canada, l’hymne local.

Neil Young travaille toujours à la publication de ses archives sonores et prépare une autobiographie. Il est actuellement en tournée… De nouveau sur les routes, donc!!!

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