Le premier long-métrage de Karim Moussaoui laisse entrevoir le talent prometteur d’un réalisateur ancré dans les préoccupations de l’Algérie contemporaine. Le scénario, co-écrit avec Maud Ameline, passe en revue les thématiques intimes et sociales d’un pays à la croisée des chemins. Encore marquée par la guerre civile, l’Algérie attend son réveil, symbolisé avec grâce par le titre, En attendant les Hirondelles.

Le film représente les espoirs d’une société soucieuse de voir son sort s’améliorer, à travers le prisme de trois destins qui se croisent. Il s’ouvre sur une séquence citadine : Lila (Sonia Mekkiou) et son ex-mari Mourad (Mohamed Djouhri) s’inquiètent au sujet de leur fils, qui délaisse ses études de médecine. Harassé par une absence de perspectives, l’étudiant préfère prendre des risques en moto, sans préoccupation de l’avenir. Mourad, si proche qu’il soit de Lila, vit par ailleurs avec sa femme Rasha (Aure Atika). La situation est asymétrique et le couple éprouve des difficultés à communiquer ou à partager son quotidien. Quand Rasha s’ennuie et regarde vers la France, faute de comprendre les paradoxes de la société algérienne, Mourad vaque à ses occupations. Ses déplacements de promoteur immobilier permettent la liaison avec la seconde histoire, celle de Djalil (Mehdi Rahmdani) et d’Aïcha (Hania Amar). Tous deux se scrutent, alors que Djalil est chargé de conduire Aïcha, sa sœur et leur père dans la demeure du fiancé d’Aïcha. La traversée des Aurès, région montagneuse à l’est de l’Algérie, tire le film vers le road-movie et offre l’occasion de voir se dérouler des paysages de toute beauté, entre aridité beige et fertilité ocre. Djalil et Aïcha représentent la nécessité du désir qui se fracasse sur les contingences sociales. À la croisée des chemins, Djalil prête main forte à Dhaman (Hassan Kachach), un neurologue ambitieux, rattrapé par son passé à la veille de son mariage. Face au médecin, le jeu impeccable de Nadia Kaci, qui incarne une humble paysanne marquée par la guerre civile, concentre les horreurs de l’indicible traumatisme. Quoique confiée au hors-champ, l’ombre de la décennie noire plane sur le présent de tous les protagonistes.

Photo : Hichem Merouche

 

La société algérienne est ainsi vue à travers ces trois occurrences, qui représentent la bourgeoisie, la classe moyenne et la ruralité pauvre. Elle se dessine à la manière d’un kaléidoscope, au gré d’un chassé-croisé orchestré comme un ballet. D’ailleurs, le scénario est nourri de scènes de liesse qui s’accommodent d’une économie de mots, tout en  délivrant les personnages de leur expression taciturne. Si les silences en disent long sur l’atmosphère de plomb et que les échanges parcimonieux visent à l’essentiel, la danse libère les corps. Dans le paysage désertique et montagneux des Aurès, on assiste à une séquence digne des comédies musicales, offrant un moment de respiration dans ce qui semble être le chemin tout tracé de Djalil et Aïcha. La bande-son fait la part belle aux musiques chââbi, qui ancrent le scénario dans le quotidien, mais prend aussi son envol sur des compositions de Bach, d’un pessimisme irrémédiable.

Le film échappe à toute volonté démonstrative en misant sur les silences et le jeu feutré, intimiste et pudique des acteurs. Il suggère plus qu’il ne dit le poids du passé, que les envolées musicales et les paysages époustouflants apaisent. Certes, le désir des personnages est sans cesse en bute contre un conservatisme, dont le monolithisme n’a d’égal que ces constructions inachevées, chantiers paralysés laissés à l’inertie des marges urbaines. Routes construites à la va-vite, urbanisme anarchique et rixes nocturnes symbolisent ainsi le blocage économique et social de l’Algérie et la propension aux règlements de compte. Comment échapper à la fatalité ? S’ils se meuvent, s’absentent et bifurquent, les personnages se heurtent obstinément à des empêchements : Lila et Mourad déambulent dans un marché quelque peu labyrinthique, les voitures tombent panne, les voyageurs tombent malades. La mise en scène joue sur l’opposition entre les espaces fermés et ouverts, où les personnages oscillent entre des situations statiques et des mouvements libérateurs. Sans doute est-il là, le grand paradoxe de la société algérienne, entre sclérose et dynamisme. Tandis que ses membres se rêvent un avenir meilleur et sont mus par un désir d’émancipation, les rouages politiques et le passé lestent leur quotidien.

 

Photo : Hichem Merouche

 

On saura gré à Karim Moussaoui de prendre le biais du petit fait vrai. Il réussit à représenter la complexité des rapports sociaux par des anecdotes réalistes. Ainsi de ce marchand de légumes qui prétend ne pas pouvoir rendre la monnaie à Lila, laquelle sait comment contourner le problème. Ainsi encore de ces voisins dont on loue les services de transport ; de ces restaurants en bord de route qui offrent au voyageur une restauration sur le pouce ; de ces hôtels qui demandent aux voyageurs de sexe différent de préciser leur lien familial. Rapports sociaux, professionnels, mais aussi familiaux sont survolés, voire photographiés. On pourrait reprocher au film de ne pas exploiter de façon plus approfondie ces clichés et de s’en tenir parfois à des situations-types. La direction d’acteurs en pâtit parfois, telle Lila qui, vissée sur son canapé, lit le journal en se lamentant sur l’absence d’issue politique. Tel Mourad, feuilletant les livres de Lila ou passant un vinyle de musique classique, comme pour signifier son appartenance sociale. Tel enfin Dhaman, au chevet de ses malades ou en séminaire d’étude, comme pour insister sur son ancrage dans le métier. Non pas que ces situations soient caricaturales, mais Karim Moussaoui veut trop en dire, au prix de certaine longueur. Le film manque d’une ligne de force qui pourrait porter efficacement ce projet, à la fois ambitieux dans sa visée et mesuré dans sa démarche. Néanmoins l’ensemble est convaincant, car l’idée d’aborder la société algérienne selon trois situations vécues insuffle un rythme et une vraisemblance qui valent au film sa réussite. Le spectateur s’attache aux personnages, entre dans leur intimité et épouse leur regard résigné. Sans défaitisme, toutefois.

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