D’étranges phénomènes se produisent en ville : Shinji, le mari volage de Narumi, revient transformé après avoir disparu ; une famille est sauvagement assassinée par une lycéenne et un adolescent hagard recherche désespérément cette jeune meurtrière assoiffée de sang. Trois extra-terrestres sont arrivés sur Terre en reconnaissance et ont pris possession de corps humains. Ils cherchent à s’emparer de « concepts » comme le travail, la famille, la propiété, le « moi et les autres », pour envahir la Terre en s’appropriant la connaissance des hommes.

Le trio cherche à se réunir avec l’aide de Sakurai, un journaliste chargé bien malgré lui de l’enquête sur le meurtre sanglant. L’intrigue s’attache à développer le sujet de science-fiction à partir de ce fait divers, rappelant les films des années 1950, ainsi que ceux qui leur rendent hommage – films d’invasion sur fond de dénonciation politique, à la John Carpenter. La séquence d’ouverture, aussi angoissante que décalée, constitue un clin d’œil particulièrement savoureux au genre du film d’horreur : de petits poissons rouges sont pris au filet dans un bocal pour finir quelques minutes plus tard frétillants, à l’agonie, sur un parquet ensanglanté. On peut voir dans cette scène initiale de pêche et de massacre une manière d’annoncer l’impuissance des hommes face à des extra-terrestres prêts à les éradiquer tout en les dépossédant de leur connaissance. Mais la dimension parodique de ce prologue, soulignée par un rythme sautillant et paradoxalement léger, fait aussi tout le sel du dernier film de Kurosawa. Celui-ci joue en effet sur un constant décalage de ton et pose un regard presque malicieux sur les aliens qu’il met en scène, qui s’avèrent aussi maladroits que monstrueux.

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La dystopie n’est pas seulement présente dans la menace que représente l’envahisseur, mais aussi dans la façon dont la guerre se constitue comme seul horizon. La dimension politique du film se situe dans l’omniprésence d’une armée humaine aussi inquiétante que les forces supranaturelles qu’elle s’efforce d’identifier et de combattre. Ministère de la Santé et ministère de la Défense entrent ainsi en collusion, de manière oppressive, pour essayer d’éradiquer un mal nouveau. L’inefficacité des moyens mis en œuvre par le gouvernement pour résister à la menace est mise en évidence par la bêtise et la lâcheté des policiers. Les scènes de confrontation entre les forces de l’ordre et les aliens donnent à voir – sur le mode de la répétition comique voire de la mécanique grotesque – l’échec systématique des hommes à combattre ces envahisseurs d’un genre nouveau. Face à eux, le journaliste Sakurai représente la neutralité liée à son devoir d’informer la population de ce qui la guette, avant qu’il n’endosse un rôle bien plus trouble, entre opportunisme et machiavélisme. Pris en étau, Sakurai n’est pas sans évoquer le Thornill (Cary Grant) de North by Northwest (La Mort aux Trousses), notamment lorsqu’il fuit (ou poursuit ?) l’avion qui l’attaque et le bombarde. Scène magistrale s’il en est, hommage au maître du suspense et aux films d’espionnage, cette course-poursuite fait écho aux premières scènes du film, qui nous plongent dans l’ambiance du thriller. Cette construction, faite de références classiques que la musique entêtante de Yusuke Hayashi ne dément pas, se retrouve jusque dans l’attaque ultime des aliens.

Mais que les aliens n’aient pas la forme de Martiens ou de monstres informes nous conduit aussi à nous interroger sur les frontières de notre civilisation. Chacun des trois envahisseurs représente une facette de nos pulsions, allant de l’affection la plus neutre jusqu’à la perversion la plus cruelle. Ces entités qui aspirent les « concepts » et le langage humains s’en nourrissent pour se consolider. Elles se confondent donc avec les hommes, en cherchant à leur ressembler. Cela donne lieu à un discours critique, dont l’efficacité réside dans la dimension comique : les hommes s’effondrent comme des pantins, une fois dépossédés d’un concept. Ils apparaissent comme des êtres dérisoires, sans attache ni gravité, mais aussi soulagés du poids de la famille, de la possession ou du travail. Le discours critique qui touche à nos valeurs et à nos liens est ainsi à double entente. D’une part, valeurs et liens sont le fondement de notre civilisation, d’autre part ils sont dévoyés et nous aliènent. Gagnerions-nous vraiment à nous en délester ?

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La question princeps, pourrait-on dire, serait : qu’est-ce qu’être ou avoir un corps ? Comment l’habiter ? Comment ingurgiter et assimiler les nourritures, terrestres et spirituelles ?  Comment se tenir droit, au propre comme au figuré, face à l’autre ? Kiyoshi Kurosawa n’emprunte pas la voie du discours démonstratif, mais de la parodie burlesque, pour souligner le malaise de la vie quotidienne. Le film joue avec les codes de la science-fiction pour évoquer les risques qui pèsent sur notre humanité, mais pose surtout la question essentielle de l’amour. C’est certainement là que réside l’originalité du film, qui mêle de manière subtile des questions portant sur le devenir de l’espèce humaine – guerre, invasion, autodestruction – et des problématiques intimes. L’intrigue se développe de ce côté à travers l’histoire du couple que forment Narumi et Shinji, aux allures de comédie de remariage versant, au fur et à mesure de l’intrigue, dans le mélodrame. Si l’on peut déplorer quelques longueurs dans Avant que nous disparaissions, l’épilogue – particulièrement inattendu – donne tout son sens au film, le faisant évoluer de la parodie grotesque et désespérée à un optimisme teinté de mélancolie et de naïveté.

Durée : 129 minutes

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