La séquence prégénérique, désopilante, fonctionne en autonomie, comme un court métrage inventif. Sans mauvais jeu de mots, le film ne retrouvera pas le mordant de cette entrée galvanisante. Un clown est invité par les parents de Sasha pour une petite représentation pour son anniversaire. Il ne fait rire personne, mais fascine la jeune fille, dont on ne sait si elle est sous le charme ou dubitative. Sauf qu’il n’a pas été convié pour divertir – ou du moins pas dans ce seul but – mais pour être vidé de son sang par Sasha, la petite dernière vampirette d’une longue lignée. Seul hic ! Elle n’y arrive pas, trop empathique envers ses potentielles victimes. Son humanisme l’empêche de mordre. Ses parents, inquiets à son sujet, l’emmènent chez le dentiste qui constate un problème de croissance canine. Le psychologue, alerté par la situation critique, diagnostique un blocage lié à sa nature, empêchant toute forme d’émancipation. La fluidité d’une mise en scène, sans esbroufe et rythmée, sert admirablement la finesse d’écriture d’un comique de situation malin, prenant comme point de départ le fait que les vampires peuvent être des parents comme tout le monde, attentifs à l’éducation de leurs enfants pour le bien-être de leur survie. À long terme, si Sasha n’accepte pas sa nature, elle finira par mourir.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant: Sophie Cadieux, Marie Brassard

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Hélas, la suite n’est pas à la hauteur, beaucoup trop lisse et consensuelle pour convaincre. Mais soyons bienveillants ! Vampire humaniste cherche suicidaire consentant demeure tout de même un joli teen-movie joyeusement dépressif entre les films d’ados des années 80/90, la nonchalance ironique du cinéma indépendant à la Jim Jarmush et les films de Vampire, de l’expressionnisme allemand à Vampire, vous avez dit vampire. On peut trouver pire en matière de références. Le bon goût – policé – de la jeune cinéaste Ariane Louis-Seize a aussi le mérite de ne pas figer le film, qui avance avec sa propre sensibilité à travers les deux personnages principaux, Sasha et le jeune garçon suicidaire, Paul, qui consent à lui offrir sa vie. D’où vient le sentiment de frustration et même de déception ? L’explication la plus prosaïque est à chercher du côté du scénario, pétri de bonnes idées et d’excellents dialogues, mais figé dans un programme attendu dès la rencontre des deux corbeaux à la recherche d’un peu d’amour. Comme dans une comédie romantique lambda, toute la mécanique du récit saute aux yeux au point d’anticiper tous les événements jusqu’à l’épilogue convenu dans l’hôpital.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant: Félix-Antoine Bénard, Sara Montpetit

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Ce n’est pas tant les conventions du genre avec le happy-end de circonstance qui dérange, mais le fait de ne jamais faire un pas de côté à l’intérieur d’une narration linéaire qui manque d’aspérité. Cette absence de risque est d’autant plus dommageable que le film affiche une tenue visuelle élégante, de la belle photographie à la fois sombre et colorée de Shawn Pavlin, tout en contrastes saisissants, aux très beaux plans larges savamment cadrés. Le choix d’une mobilité réduite de la caméra, d’assumer le plan fixe, rare au sein du cinéma de genre, souligne le talent de la jeune réalisatrice qui laisse à ses personnages le temps et l’espace d’exister. Sara Montpetit et Félix-Antoine Bénard forment un couple antinomique mais complémentaire, très crédible. Ils ont en commun une étrangeté communicative, une mélancolie qui infuse tout le film, d’un charme touchant lors des moments de suspension entre les deux acteurs, mais qui peinent à s’articuler avec les péripéties nocturnes, mécaniques et répétitives. Les moments obligés – le passage à l’acte de Sasha – sont traités sans conviction et les personnages secondaires, pourtant intéressants dès qu’ils apparaissent – sont à peine développés, laissant en berne tous les ressorts comiques possibles. Ariane Louis-Seize parait mal à l’aise avec le genre, toujours à la périphérie, dans un décorum un peu cliché et déjà-vu, comme si elle s’excusait auprès de son public de s’encanailler un peu. Le film donne l’impression d’avoir été mis en scène par une jeune fille sage, talentueuse, pleine de ressources et d’avenir, mais qui ne connait pas assez bien le cinéma qu’elle aborde pour le transcender et le maltraiter. Aucune goutte de sang ne vient entacher la joliesse plastique et narrative de cette incursion dans un univers qui a besoin d’écarts de conduite, d’excès graphiques.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant: Sara Montpetit

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Malgré cette approche timorée de la matière, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant s’apprécie en tant que feel good-movie gothique, comme une comédie attachante, (très légèrement) horrifique, confirmation de la bonne santé d’un cinéma québécois aussi varié qu’imprévisible, qui commence à s’imposer tranquillement, mais sûrement dans nos contrées.

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