Si les rééditions en HD tendent à se multiplier depuis quelques années (The Driver, Streets of Fire, Wild Bill, Double Détente) et que les festivals daignent lui rendre hommage (on se souvient de sa venue au Festival Lumière en 2016), l’œuvre de Walter Hill demeure sous-estimée. Essentiellement associé au culte suscité par The Warriors, au succès de 48 heures et éventuellement à sa participation au scénario du premier Alien, son travail mérite qu’on s’y attarde avec plus d’attention. D’abord réalisateur de seconde équipe dans les années 60 d’œuvres très célèbres mettant en scène Steve McQueen, L’Affaire Thomas Crown et Bullitt, puis scénariste de Guet-Apens de Sam Peckinpah, toujours avec le héros de La Grande Evasion. La figure tutélaire du réalisateur des Chiens de paille hantera d’ailleurs toute sa filmographie à venir. Il passe à la réalisation en 1975 avec Le Bagarreur, qui conte la vie d’un héros solitaire errant de ville en ville en gagnant sa vie comme boxeur clandestin, l’un des premiers films post-Death Wish où figure Charles Bronson, épaulé par James Coburn, croisé à deux reprises par le passé. En 1987, alors qu’il vient de s’éloigner de son pré carré cinématographique en signant coup sur coup une comédie dramatique (Comment claquer un million de dollars par jour) et un film pour enfants (Crossroads), sort Extrême Préjudice. Retour aux sources avec ce film d’action basé sur un scénario de John Milius pour lequel il retrouve deux acteurs importants dans sa carrière, Nick Nolte, vedette de 48 heures, son plus gros hit, et Powers Boothe, au générique de l’un de ses meilleurs films, Sans Retour (Southern Comfort). L’histoire se situe à Benrey, une petite ville frontière entre le Texas et le Mexique. Jack Benteen (Nick Nolte) rencontre bien des difficultés pour contrer le réseau de drogue monté par son ami d’enfance Cash Bailey (Powers Boothe). Pour ce faire, il reçoit l’aide d’un commando de mercenaires envoyés par le Pentagone et commandé par l’impitoyable Hackett (Michael Ironside), exclusivement composé de vétérans du Viêt Nam. Mais tout ne se passera pas comme prévu…

(Capture d’écran DVD Extrême préjudice © Studio Canal)

Dès son introduction, entre le défilé de « gueules », les présentations sommaires à la fois factuelles et testostéronées de plusieurs personnages dont on ignore à ce stade l’importance et la bande-son aux sonorités synthé de Jerry Goldsmith, Extrême Préjudice semble se rapprocher davantage d’un cinéma d’action post-Aliens, pré-90’s, que du western à proprement parler. Impression amplifiée par l’apparition au générique du nom de ses producteurs, Mario Kassar et Andrew G.Vajna, qui renvoie instinctivement à leurs nombreux succès passés, Rambo évidemment, ainsi qu’à venir, Total Recall, Terminator 2, Cliffhanger et autres projets musclés devenus cultes depuis. Générique sur fond de coucher de soleil, tordant l’air de rien l’imagerie pour nous rappeler alors à une esthétique plus proche de l’Ouest Sauvage. Séquence suivante, présentation du héros, Jack Benteen, vêtu d’un poncho, puis de son collègue, Hank Pearson (Rip Torn), débarquant sous la pluie battante dans un bar aux airs de saloon pour régler un contentieux de manière quelque peu expéditive. Les personnages sont d’abord flous, indéfinissables, cadrés à travers les vitres embuées de leur 4X4, appréhendées par leur seul métier, ils incarnent leur profession avant d’être (à ne pas confondre avec l’idée de personnage fonction). Idée également présente dans l’œuvre de Michael Mann (cité dans les bonus par Walter Hill comme l’auteur le plus perfectionniste avec Peckinpah). En deux séquences, le cinéaste dessine son hommage à un genre fondateur (auquel il s’est lui-même exercé à plusieurs reprises) transposé dans un cadre contemporain et hybridé avec un actioner nouvelle génération. Comme l’annonce Jean-Baptiste Thoret dans sa présentation, le film est « le chaînon manquant entre le western des années 70 et le cinéma d’action 80’s. »

(Capture d’écran DVD Extrême préjudice © Studio Canal)

Récit d’un affrontement classique entre deux antagonistes valorisé par le charisme de ses interprètes, l’un du bon côté de la loi, l’autre du mauvais, deux anciens amis ayant grandi ensemble, qui ont une femme en commun : Sarita (María Conchita Alonso). Cette dernière, tiraillée entre les deux hommes de sa vie, nous rappelle au souvenir de Duel au Soleil, sans pour autant reprendre le point de vue féminin (un peu dépassé) de King Vidor. Sa relation avec Jack, n’existe que par détails (la façon dont il la regarde lorsqu’elle chante dans le bar) et allusions, leur amour est puissant, mais jamais surligné. Loin de la bluette, ce qui intéresse Hill en priorité c’est l’affrontement viril et pourtant plein de respect mutuel entre Cash et Jack. Après que le visage du truand ait été révélé en gros plan suite à l’annonce de son nom (un écho à Sergio Leone), leur première rencontre du métrage a lieu « sur la rive du fleuve, à midi », comme un rappel aux règles des pistoleros d’antan. Au cours de cette séquence, le personnage interprété par Powers Booth déclare même que lors de leur prochain duel « il y aura du sang », une déclaration pleine de fatalité qui, là encore évoque, toute proportion gardée (le film n’ayant ni les mêmes ambitions, ni la même ampleur), le chef-d’œuvre de Mann, Heat. Il est amusant de constater que les deux cinéastes partagent plus qu’il n’y paraît, The Driver et son héros mutique, pouvant se voir comme une préfiguration du Solitaire. Si le long-métrage s’avère riche en morceaux de bravoure, à l’instar de la fusillade de la station-service, ou un final renvoyant au gunfight homérique de La Horde sauvage (séquence imposée par les producteurs pour finir sur une scène d’action pyrotechnique), il offre également une deuxième lecture plutôt critique sur l’évolution du blockbuster. Porté par un pur casting de « gueules » (les deux têtes d’affiches mais aussi Michael Ironside, William Forsythe…), le réalisateur s’amuse à armer son héros d’une antique Winchester face aux M16 des mercenaires (révélant une fétichisation des armes à feu chère au James Cameron des années 80). Ces derniers, pourtant aidés par une technologie de pointe, se font dépasser par un cowboy « à l’ancienne ». Il se dégage ainsi une volonté de prouver la supériorité d’un cinéma rugueux et viscéral sur les héros bodybuildés, toujours prompts à faire exploser le moindre élément de décor, alors en vogue à Hollywood. Une idée qui ne quitte pas le réalisateur si l’on en croit son interview présente en bonus où il parle de la situation actuelle des studios et des plates-formes de streaming qui, sous couvert d’offrir du contenu plus adulte, uniformise le septième art. Un propos qui peut-être perçu comme réac, mais que le cinéaste assume. Il fait dire à Jack, au détour d’une réplique, qu’il promet du spectacle, « du vrai western », une sentence en forme de véritable profession de foi en somme.

(Capture d’écran DVD Extrême préjudice © Studio Canal)

« Tout fout le camp », ainsi s’exprime l’un des membres du groupe paramilitaire, semblant ainsi retranscrire les pensées de Walter Hill. La nostalgie d’une Amérique sauvage, gouvernée par la loi de la frontière (ici le fleuve) qui sépare la civilisation de la nature hostile à conquérir, est prégnante. Pourtant, le long-métrage ne relève pas du film propagandiste porté par un patriotisme exacerbé et les États-Unis se retrouvent souvent égratignés. Le personnage incarné par Powers Boothe profite de la population mexicaine comme main-d’œuvre bon marché, telle une entreprise yankee s’installant dans un pays du tiers monde. Le duel humain se double d’une histoire d’espionnage à la vision peu flatteuse pour pays de l’Oncle Sam, les mercenaires sont envoyés sur place par pur interventionnisme abusif. Au-delà des différends qui peuvent les opposer, les habitants de la petite ville de Benrey semblent tous se connaître, avoir un passé commun (comme Jack et Cash). À l’opposé, la troupe de barbouzes est présentée via leurs dossiers et par la date de leur mort officielle au combat, comme s’ils avaient rayé leur propre passé (le script original de John Milius mettait d’ailleurs plus l’accent sur leur intrigue). Véritable chef de cette communauté fidèle à leurs ancêtres pionniers, Jack tente de régler tous les conflits par le dialogue. Reste que, suite à un drame, il abdique en disant à Sarita qu’il va falloir arrêter de parler. Une mise en garde tant pour leur couple que pour ses méthodes qui, dès lors deviennent nettement plus musclées. Baroudeur ayant traversé le pays sans trouver réellement sa place avant de rentrer dans sa ville de naissance, il est l’âme d’un film usant de l’efficacité d’un cinéma d’action à grand spectacle pour mieux évoquer la mélancolie d’un genre et d’une époque du cinéma (les années 70), chères à Walter Hill. Ère que l’on pensait disparue, avant que divers cinéastes (Quentin Tarantino) et cinéphiles (Jean-Baptiste Thoret) leur redonnent leurs lettres de noblesse. Mené sans répit, avec un soin et un plaisir palpables, Extrême Préjudice, rejoint la longue liste des œuvres mésestimées de son auteur.

(Capture d’écran DVD Extrême préjudice © Studio Canal)

Disponible en combo Blu-Ray / DVD chez  Studio Canal.

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