Ceux qui voudraient (re)découvrir la poésie cinématographique de Jean Rollin doivent impérativement se tourner vers les britanniques de Powerhouse qui nous gratifient d’une édition 4k de deux joyaux du fantastique français : Le frisson des vampires et Les deux orphelines vampires.

Coincé entre le La vampire nue et Requiem pour un vampire, Le frisson des vampires (1970) pâtit parfois de la comparaisonavec ces deux cousins cinématographiques. Plus feuilletonnesque dans ses péripéties que le radical Requiem, Le frisson des vampires renvoie à une tradition populaire du roman noir rappelant dans son déroulement les trames désuètes des romans de Féval.

Deux jeunes mariés, Ise et Antoine, décident de passer leur lune de miel au château des cousins de la jeune femme. A leur arrivée, on leur annonce que les deux hommes sont morts. Ils sont néanmoins accueillis comme s’ils étaient attendus par deux jeunes femmes qui affirment être au service des châtelains. La nuit venue, Ise est visitée par une femme mystérieuse, tandis qu’Antoine explorant le domaine aperçoit deux inconnus dans la chapelle. Les visiteurs nocturnes sont en réalité les deux cousins d’Ise, apparemment bien vivants, et leur maîtresse Isolde, comme l’apprennent Ise et Antoine le lendemain. Ce qu’ils ignorent en revanche c’est que les deux hommes, de chasseurs de vampires, sont devenus les créatures qu’ils combattaient après leur rencontre avec Isolde, puissante vampiresse qui promet de leur donner Ise pour compagne une fois qu’elle l’aura vampirisée.

© Powerhouse – Indicator

Souffrant a priori d’une écriture « au fil de la plume » comme la qualifiait lui-même Rollin, Le frisson des vampires conserve le meilleur du genre feuilletonnesque auquel rendaient déjà hommage Le viol du vampire (qui a pour lui de verser délibérément dans le surréalisme et de s’affranchir plus aisément des codes d’un gothique encore dominant en 68) et le franjuesque La vampire nue. S’il s’encombre de l’iconographie convenue du cinéma vampirique, c’est toujours pour les opposer à une approche contemporaine, et ce dès les premières minutes, le film s’ouvrant sur des funérailles filmées en noir et blanc et dont on situerait volontiers l’action en 1900 avant un générique en couleur au son d’un morceau du groupe de rock progressif Acanthus (l’un des grands atouts du film avec la photographie de Jean-Jacques Renon). Plus folklorique et moins onirique que les œuvres iconoclastes les plus louées de son auteur, Le frisson des vampires n’en est pas moins essentiel pour comprendre l’évolution du style aussi bien littéraire que cinématographique de Jean Rollin et sa manière d’aborder la fascination pour la mort qui trouve ici le germe d’une évocation rendue plus subtile dans La rose de fer.

Les deux orphelines vampires (1997) marque le retour des créatures de la nuit dans le cinéma de Rollin après près de 20 ans d’absence. Nous sommes loin cependant de l’érotisme qu’arboraient Lèvres de sang ou Fascination à la fin des années 70. Avec ce film, Rollin adapte et assagit son propre roman – qui s’inspirait lui-même du célèbre roman feuilleton d’Adolphe d’Ennery, Les deux orphelines –  dans ce qui passe pour l’exemple le plus « grand public » de sa filmographie.

Henriette et Louise s’attirent toutes les affections dans l’orphelinat religieux où elles ont été élevées. Admirées par leurs camarades pour leurs récits palpitants de vies antérieures (elles s’inventent un passé de divinités pré-chrétiennes auxquelles de nombreux sacrifices auraient été offerts) et favorisées par les nonnes attendries par leur cécité et face auxquelles elles font preuve d’une piété et d’un comportement irréprochable, elles n’en cachent pas moins un terrible secret, dont le Dr Dennery, qui décide de les adopter, sera le premier à faire les frais…

© Powerhouse – Indicator

Plus structuré sur le plan narratif que tous les autres films fantastiques de Rollin, Les deux orphelines vampires est une belle porte d’entrée pour le néophyte qui souhaiterait faire la connaissance de l’écrivain en même temps que du cinéaste. Toute la fantasmagorie développée par Rollin jusqu’ici se retrouve et se rejoue à travers le prisme de l’adolescence et de l’éveil des sens. Encore une fois, le cinéaste se joue des codes en vigueur et épargne à ses vampires les cercueils et les crocs, la cécité d’Henriette et Louise devient l’attribut de leur condition surnaturelle : les vampires sont aveugles le jour, leur conférant une apparente vulnérabilité, démentie par leur mépris du danger et leur confiance en leur immortalité une fois la lune levée. Les aventures des deux orphelines aveugles les amèneront à faire la connaissance de nombreuses autres créatures nocturnes, souvent aussi dangereuses que pathétiques et c’est là que l’art de Rollin s’exprime le plus efficacement. Autre élément particulièrement émouvant et poétique, on y retrouve Tina Aumont dans l’un de ses derniers rôles, goule hantant le cimetière, comme une actrice en fin de parcours prête désormais à hanter le cinéma. ll y a quelque chose d’éminemment symbolique et mélancolique dans cet hommage à une figure mythique des années 70. Le cimetière de Rollin, c’est un peu celui du temps révolu et irrattrapable. Peut-être qu’Henriette et Louise poétisent à leur façon un monde dont elles réécrivent les codes, aveugles aux conventions qu’imposent le jour et s’épanouissant dans les interdits et les périls qu’offre la nuit. Dans son refus de trancher entre l’assomption du surnaturel et l’hypothèse qu’il serait en fait un fantasme de deux jeunes filles à l’imagination dangereusement morbide, le film s’avère plus vénéneux qu’il n’y paraît.

 

 

Les supppléments :

  • Commentaire audio de Jean Rollin (2006)
  • Commentaire audio de Jeremy Richey (2023) auteur de Sylvia Kristel: From ‘Emmanuelle’ to Chabrol
  • Introduction de Jean Rollin (1998, 4 mins)
  • Rouge vif (2023, 18 mins) : documentaire en version augmentée du making of de The Shiver of the Vampires par Daniel Gouyette, avec des interviews de collaborateurs clés comme Natalie Perrey et Jean-Noël Delamarre
  • Fear and Desire (2004, 41 mins): longue discussion entre Jean Rollin et la critique Patricia MacCormack filmée à Paris
  • Macabre Psychedelia (2023, 8 mins): appréciation critique de l’auteur et historienne Virginie Sélavy
  • Export inserts (25 mins): sept séquences explicites filmées pour le marché étranger.
  • Bandes annonces françaises et anglaises.
  • Galeries d’images promotionnelles, publicitaires et des coulisses.
  • Sous-titres anglais.
  • Livret de 80 pages avec une analyse de David Hinds, ainsi que plusieurs textes d’archives : introduction de Jean Rollin, un interview du réalisateur Peter Blumenstock, interview de Marie-Pierre Castel, de Andy Votel sur Acanthus, le mystérieux groupe qui se cache derrière la musique du film.

 

  • Commentaires audios des critiques et auteurs David Flint et Adrian J Smith (2023)
  • Memories of a Blue World (2012, 43 mins): documentaire sur la conception de Les deux orphelines vampires par Daniel Gouyette avec notamment des interviews de l’actrice Isabelle Teboul, de l’assistant directeur Jean-Noël Delamarre et du compositeur Philippe D’Aram.
  • Infinite Dreams (2023, 35 mins): interview augmentée et remontée de Jean Rollin autour des thèmes de son oeuvre et plus particulièrement des Deux orphelines vampires
  • Bonded by Blood (2023, 14 mins): interview d’archive nouvellement montée de l’actrice Alexandra Pic
  • Eyesight to the Blind (2023, 11 mins): interview d’archive nouvellement montée de l’actrice Isabelle Teboul
  • The Smoking Vampires (2023, 4 mins): Alexandra Pic et Isabelle Teboul se promènent au Père Lachaise, lieu de tournage du film en 2002
  • Livres de sang (2023, 8 mins): Rollin dans son salon repertorie les livres qu’il a écrits et les récompenses qu’il a reçues.
  • Bande Annonce originale.
  • Galerie photo
  • Livret de 80 pages avec un essai de Patricia MacCormack et des documents d’archives comme une introduction de Jean Rollin, un compte-rendu de production de Peter Blumenstock, et une interview de Brigitte Lahaie, ainsi qu’un extrait du livre dont Rollin s’est inspiré.

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A propos de Gabriel CARTON

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