Le début du film est intrigant. Le cinéaste fait se succéder, le temps de quelques plans fixes, des images évoquant d’anciennes traces de la civilisation (église, livre…) tandis que défile un compte à rebours en plusieurs langues et une série de fondus au blanc. Le dernier plan avant le générique montre une trace de pas humain qui s’estompe lentement. Le message est clair : l’humanité a disparu après l’apocalypse nucléaire. Ne subsistent plus que quelques animaux errants (des chiens belliqueux) et un groupe de femmes, emmenée par la plus âgée d’entre elles, qui lutte pour sa survie.

Réalisé dans un contexte de guerre froide et au moment où le peuple tchécoslovaque, sous la coupe des communistes, souffre d’un manque de libertés civiles et de pénuries, le film de Jan Schmidt résonne comme une allégorie pessimiste.  Jouant sur un dispositif minimaliste (quelques femmes perdues dans la nature, dialogues réduits au minimum…), le cinéaste montre avec un certain talent la manière dont l’individu doit s’adapter pour organiser sa survie. Volontairement contemplatif, le film prend son temps pour camper une atmosphère de fin du monde avec ses paysages désertés de toute présence humaine et des lieux en ruine. A ce titre, la séquence qui se déroule dans une église détruite est l’une des plus saisissantes. Non seulement à cause du décor mais du symbole même que représente cet endroit représentant le « monde d’avant ». On peut par ailleurs deviner de nombreuses allusions au régime en place, puisque lorsque nos héroïnes finissent par rencontrer un vieil homme, celui-ci évoque avec beaucoup d’emphase la possibilité d’une nouvelle civilisation en les appelant « futures mères du nouveau monde ». Appellation assez ironique puisque tout le film ne va cesser de montrer l’étendue du désastre et faire le constat que n’existe plus désormais que du vide.

Ce côté nihiliste fait l’intérêt de l’œuvre. C’est aussi, à mon sens, sa limite. Car en refusant toute psychologie ou même de donner un peu de chair à ses personnages -les huit femmes qui accompagnent la plus âgée sont interchangeables et il est difficile de s’y attacher-, Schmidt prend le risque de nous perdre. On suit leurs pérégrinations sans véritable émotion ni même inquiétude. Une sorte de fatalité pèse sur ce récit qui refuse constamment d’en devenir un. De plus, et c’est ce qui dérange le plus, le cinéaste ne recule pas devant une certaine complaisance qui se traduit lors de trois scènes où des animaux sont malmenés.

Lorsqu’une femme tire à la carabine sur un chien errant et l’achève d’un coup de crosse, on ose espérer qu’il s’agit d’un effet spécial même si le réalisme de la scène fait froid dans le dos. En revanche, lorsque l’une d’elle tue un serpent en l’étouffant (je n’ose pas écrire « en lui tordant le cou »), le malaise s’accroit. Et quand notre gynécée se précipite sur une vache achevée d’un coup de fusil pour la dépecer, on se dit que la scène aurait pu être tournée hors-champ et que cette violence n’était pas forcément nécessaire.

Certes, on a déjà vu des scènes d’abattoir dans les films et on imagine que Jan Schmidt cherche à montrer ici une humanité régressant jusqu’à une forme de sauvagerie animale (l’être humain comme animal parmi d’autres, luttant pour sa survie) mais cette intrusion d’une forme de « documentaire » au sein d’une pure fiction créée un hiatus assez désagréable.

Les amateurs de cinéma d’anticipation trouveront sans doute de l’intérêt pour cette œuvre singulière (« Mad Max filmé par Tarkovski », comme l’a écrit un critique) mais on peut néanmoins lui reprocher ces quelques fautes de goût et un dispositif un brin trop minimaliste qui empêche de donner corps à l’intrigue et aux personnages.

© Malavida

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Fin août à l’hôtel Ozone (1966) de Jan Schmidt avec Beta Ponicanová, Ondrej Jariabek, Jana Novaková, Magda Seidlerová

Durée : 77 min
Format : 1,37 – Noir & Blanc
Langue : tchèque – Sous-titres : français.
Éditeur : Malavida Films
Collection : Collection tchèque

Bonus :
un livret signé Jean-Gaspard Páleníček (12 pages)
Court métrage : Josef Kilián de Jan Schmidt et Pavel Jurácek (1964, 38’, VOST)

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A propos de Vincent ROUSSEL

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