Toshiharu Ikeda/Izô Hashimoto – « Evil Dead Trap 1 & 2 » (Le Chat Qui Fume)

Jouissant d’une réputation des plus flatteuses auprès des grands diggers de J-horror (soit ces êtres un peu louches qui hantaient les pires recoins du peer-to-peer au début du nouveau millénaire à la recherche des pellicules les plus obscures de l’histoire), la franchise Evil Dead Trap pointe miraculeusement le bout de son nez en édition française, s’il vous plaît.

Sorti en 1988 sur le territoire japonais, le premier Evil Dead Trap est le fruit des efforts conjoints de Toshiharu Ikeda et Takashi Ishii, deux artistes délicats ayant trempé précédemment dans les Angel Guts, série estampillée Pinku Eiga particulièrement relevée par son mélange d’érotisme et de violence sadique (une spécialité du pays du soleil levant, soit dit en passant). Si Toshiharu Ikeda, à la réalisation, restera relativement méconnu à l’international, Takashi Ishii, au scénario, jouira d’une belle notoriété dans les années 90 grâce à Gonin (qu’il scénarisera et réalisera), polar d’une noirceur abyssale mettant en scène, notamment, un Takeshi Kitano en phase d’iconisation mondiale (et avec un pansement sur l’œil, suite à un accident de moto IRL).

hmmmmmm… Es-tu sûre de vouloir entrer par effraction dans cette usine abandonnée lugubre ?

Evil Dead Trap premier du nom est donc avant tout un pur produit d’exploitation. Son substrat, élaboré pour attirer les amateurs de sensations extrêmes, s’appuie sur un hommage frontalement grossier au giallo/slasher (la musique allant jusqu’à singer les ritournelles enfantines de Goblin composées pour les chefs d’œuvre 70’s de Dario Argento) et y adjoint une thématique en vogue à l’époque, celle des snuff movies – les Guinea Pig viennent de passer par là, portés par l’explosion 80’s du Direct To Video.

Pour autant, le mix entre slasher et snuff movie est un oxymore en soi. La sophistication du slasher, héritier des mises à mort baroques du giallo, s’oppose naturellement au vérisme fantasmatique du snuff movie. En stricts termes de réalisation, de mise en images, on ne peut faire plus éloigner. Noir sur blanc sur le papier, le ver est déjà dans le fruit.

Une mystérieuse VHS, donc, reçue au courrier par une présentatrice d’un night show racoleur. Sur l’image dans l’image, des plans d’une usine abandonnée, puis un corps que l’on torture. Sûre de tenir un sujet en or, notre héroïne part avec son équipe enquêter sur les lieux-même de l’exaction filmée, rapidement identifiés.

Toujours se méfier des usines abandonnées lugubres.

S’en suit un métrage ultra compacte déjouant beaucoup d’attentes. Après une première partie toute programmatique enchaînant un body count presque joyeux, le film – qui semblait donc vouloir dérouler un discours méta-slasher avant l’heure (avec son intrigue-gigogne à base de snuff et de meurtres inventifs) – vire à l’errance hypnotique en déployant la topographie insensée d’un mauvais rêve (cette usine abandonnée où l’on se déplace dans des tunnels secrets, guidé par un spectre aux mains de glace), avant de se clôturer par un énorme WTF gonflé au body-horror qui vient retourner contre le spectateur son propre regard surplombant, comme si le film lui-même agissait telle la VHS diégétique qui lance la narration, se polluant de scories à même sa propre pellicule. Un final renvoyant, dans une sorte de boucle infernale, à la première scène du film qui rejouait malicieusement LA scène primale du cinéma qui se sait voyeur autant que sujet à voyeurisme, celle – bien évidemment – de l’œil tranché du Chien Andalou. Evil Dead Trap est un film radical et essentiel sur la nature-même du cinéma et le désir qu’il provoque chez le spectateur.

Pour autant, malgré ses immenses qualités, ce premier Evil Dead Trap ne prépare aucunement à la claque assénée par le deuxième épisode de la série. Réalisé en 1992 par Izô Hashimoto (que l’on connaît avant tout pour avoir aidé Katsuhiro Ôtomo sur le scénario du film Akira), Evil Dead Trap 2 : Hideki est scénarisé par Chiaki Konaka, « légendaire scénariste de la J-horror et de Serial Experiment Lain » – dixit l’illustre Stéphane du Mesnildot, qui aura interviewé le maître pour son excellent opus Fantômes du Cinéma Japonais paru en 2011 chez Rouge Profond.

Inversion du regard : le personnage-spectateur est l’insecte-ombre pris dans le rayon du projecteur.

S’emparant à priori des mécaniques méta déjà à l’œuvre sur le premier film – ici, la présentatrice TV est remplacée par une projectionniste de cinéma, renvoyant le propre désir de projection du spectateur dans un écran-miroir -, Evil Dead Trap 2 twiste son principe critique vénéneux pour virer à l’élégie aux accents macabres prononcés. Rejoignant en cela Marebito de Takashi Shimizu (scénarisé par le même Chiaki Konaka), ce deuxième épisode est, au delà de son statut de film d’exploitation véritablement fou, un drame allégorique puissant discourant sur la difficulté des rapports humains. Marebito explorait la lutte schizoïde d’un couple se déchirant la garde-souvenir de l’enfant-monstre né de leur amour-fou. Evil Dead Trap 2 dresse le portrait de 3 personnages à la dérive sans descendance, assoiffés du désir d’exister au delà de leur propre mort. Ils seront vite hantés, jusqu’à la folie meurtrière, par cet enfant qu’ils n’auront jamais.

La force du film, pour documenter la douleur existentielle de ses personnages, est de prendre à bras le corps la matière-même du cinéma, dans un geste évoquant les plus grandes heures du cinéma d’Alain Resnais. Ellipses baroques, mécaniques rêveuses, frontalité de la représentation, tout concorde pour délivrer une œuvre à l’imagination débordante jusqu’à la presque-rupture. Un geste culminant notamment au cours d’une séquence précise où l’écran-même, jusque dans ses plis-raccords, devient le théâtre mythologique de l’affrontement des deux « non-mères » dans un bain de sang menstruel imagée venant tacher littéralement la toile. Et toujours l’idée de pollution du regard du spectateur, le besoin de venir le salir pour y laisser durablement des traces, quitte à provoquer de la malaisance.

Le combat des « non-mères », lutte intestine s’il en est.

Véritablement fous, ces deux films ne sont évidemment pas à recommander à tout le monde. Pour autant, ceux et celles qui sauront dépasser leur statut putatif de pur cinéma d’exploitation découvriront deux pépites à l’audace toujours prégnante 30 ans après leur sortie initiale.

BONUS:
• Intro par Oliver Stone
• Evil Dead Trap par Julien Sévéon (43 mn)
• Evil Dead Trap par Fathi Beddiar (50 mn)
• Evil Dead Trap 2 par Julien Sévéon
• Film annonce

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