Grand espoir du cinéma espagnol, Juan Antonio Bayona se retrouve mis sur orbite dès son coup d’essai, L’Orphelinat, en 2007. Couronné de prix et de succès, il oriente la suite de sa carrière vers l’international, tout en prenant soin, dans un premier temps, de garder un pied dans son pays natal. Ainsi ses deux opus suivants, The Impossible (fiction inspirée du Tsunami de 2004 qui a assis commercialement sa stature) et Quelques Minutes après minuit (qu’il a souvent défini comme son film le plus intime), furent des coproductions ibériques. Chouchou des Goyas, il est primé pour ses talents de metteur en scène en 2008, 2013 et 2017. S’il s’était déjà approché d’Hollywood entre ses deuxième et troisième long-métrages, lorsqu’il signa quelques épisodes de la série Penny Dreadful ou qu’il travailla sur une hypothétique suite du piteux World War Z, il va enchaîner deux expériences outre-Atlantique entre 2018 et 2022. Il accepte de reprendre une franchise bancale et mal embarquée sur Jurassic World : Fallen Kingdom, qu’il sauve en proposant quelques visions inspirées à l’intérieur d’un projet sans âme, pourvu d’un scénario relativement calamiteux. C’est ensuite à une autre aventure impersonnelle qu’il s’attelle en mettant en images les deux premiers épisodes de la série blockbuster d’Amazon, Les Anneaux du Pouvoir, se plaçant alors davantage dans la peau d’un exécutant qu’un auteur, en assumant par ailleurs totalement cette place et sa fonction. En quinze ans, le cinéaste se sera exercé sur une large échelle budgétaire (de 4 à 170 millions de dollars) et sera parvenu à s’adapter à des configurations de tournages bien différentes. Le moment était manifestement venu de s’atteler à un désir cinématographique vieux d’une dizaine d’années, qui fait à plus d’un titre office de retour aux sources. Pour la première fois depuis son passage au long, il officie en tant que scénariste, en plus de retrouver la langue espagnole, délaissée à partir de The Impossible.

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La Sociedad de la nieve, est l’adaptation du roman homonyme de Pablo Vierci publié en 2009, lequel se base sur le drame de la cordillère des Andes du VOL Fuerz Aérea Uruguaya 571 et le miracle de la survie de certains de ses passagers plus de deux mois après l’accident. Le metteur en scène catalan souhaitait transposer ce récit dans la foulée de The Impossible, mais dut se heurter à la frilosité des producteurs, réticents à l’idée d’investir les sommes nécessaires pour une œuvre, entre autres, non tournées en anglais. C’est finalement grâce à l’appui financier de Netflix que Le Cercle des neiges aura pu se monter. Cette histoire a déjà inspiré la littérature et le grand écran à plusieurs reprises, en atteste Les Survivants de Piers Paul Read (1974) adapté vingt ans plus tard par Frank Marshall avec Ethan Hawke au casting, mais également avant cela en 1976 par un cinéaste mexicain, René Cardona pour Survivre. Présenté hors compétition en séance de clôture de la Mostra, le film a depuis été sélectionné pour représenter l’Espagne dans la course aux Oscars, avant une sortie sur la plateforme de SVOD début 2024. En 1972, le vol 571 de l’armée de l’Air uruguayenne, affrété pour transporter une équipe de rugby au Chili, s’écrase au cœur des Andes. Seulement 29 des 45 passagers survivent à l’accident. Pris au piège dans l’un des environnements les plus hostiles et inaccessibles de la planète, ils vont devoir recourir à des mesures extrêmes pour rester en vie.

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Introduit et contextualisé de manière succincte, Le Cercle des neiges ne s’embarrasse d’aucune fioriture avant d’en arriver à l’incident déclencheur. Ce prologue a un intérêt paradoxal, dans la mesure où il ne rend aucunement sympathique les personnages, et à l’exception d’une idée sous-jacente, n’exploitera ensuite aucun des constats initiaux. Il dépeint brièvement des jeunes gens issus de milieux aisés, ayant été épargnés des épreuves dans leurs existences respectives, déjà dans leur bulle et explicitement coupés du monde extérieur. À l’image de ces courts plans de manifestations se déroulant dans la rue tandis qu’ils s’amusent au bar. Ces premières minutes, efficaces narrativement, dévoilent tout de même un bémol qui deviendra par la suite nettement plus embarrassant : la difficulté du cinéaste à faire exister des individualités, les différencier et les caractériser. Montré en tant que groupe, ils semblent déjà interchangeables, à de minces nuances près qui ne seront pas fondamentalement plus étoffées dans la progression du récit. Néanmoins, cette volonté d’aller vite et à l’essentiel prend tout son sens lors de l’époustouflante scène de crash aérien, qui marque le véritable départ du film. Immersive et sensitive, la séquence, à la faveur d’un travail visuel et sonore d’une redoutable précision, donne l’impression d’avoir été tournée en 3D, comme si nous étions projetés dans les airs au même titre que les passagers. Juan Antonio Bayona donne a ressentir le choc et la brutalité de l’accident avec une forme imparable, qui rappelle évidemment au Tsunami de The Impossible, qui était déjà en soi un véritable morceau de bravoure. Après un tel climax, le long-métrage ouvre la voie à des visions d’horreur nous rappelant à L’Orphelinat, le froid et la faim rongent les héros désormais contraints de survivre en milieu extrêmement hostile, ce qui nous renvoie à la première moitié de The Impossible, soit en substance ses deux meilleures réalisations. Néanmoins, deux questions nous brûlent les lèvres, l’une historique, l’autre cinématographique : Comment peuvent-ils parvenir à rester en vie dans ces conditions ? Comment Bayona peut-il maintenir l’intensité sur la durée (plus de 2h15) avec des péripéties vouées à se répéter ? La réponse à cette dernière interrogation se situe dans un entre deux, nous concernant, décevant et frustrant. Plutôt que d’opter pour une radicalité à la Gus Van Sant sur Gerry par exemple ou assumer pleinement la nature viscérale du sujet, le cinéaste va osciller entre le grand spectacle pur aux relents horrifiques et le drame bien trop illustratif. S’il convainc plutôt sur le premier point, exploitant parfaitement les nouvelles catastrophes ainsi que le caractère extraordinaire, sublime et dangereux de son décor (les vues de la montagne filmées au drone), cela se fait au détriment de la dimension humaine de l’intrigue. Réalisateur doué pour l’action et les sensations fortes, il s’avère beaucoup moins subtil pour émouvoir ou questionner. Un constat déjà perceptible à travers le versant mélodramatique de The Impossible ou la froideur distante de Quelques minutes après minuit.

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Le désir de proposer une alternative au cinéma américain dans ce registre, l’envie de reprendre le contrôle d’histoires régulièrement « récupérées » par Hollywood, constituent en soi des ambitions nobles et louables, reste que le pari n’est que partiellement réussi. Juan Antonio Bayona déçoit par sa difficulté à rendre son film haletant et vivant autrement que par son spectacle, comme s’il ne pouvait lui donner du souffle que par « effets », aussi virtuoses soit-il. Il s’appuie sur une multiplicité d’artifices qui vont davantage nous éloigner que nous immerger. En premier lieu, le retour à un béquille narrative coupable, l’usage une voix-off pesante, omniprésente et dommageable. Elle réduit quasi systématiquement l’impact des images à une vertu purement illustrative, leur ôte toute éventuelle profondeur. L’utilisation de la musique, pourtant composée par l’excellent Michael Giachinno, n’est pas plus originale, elle appuie la forme dans une logique de surlignage plutôt que d’apporter contraste ou contrepoint. Néanmoins, ces afféteries pourraient n’être que des bémols secondaires, si elles ne s’accordaient pas également avec des partis-pris discutables. La tentation d’éluder au moins partiellement la dimension la plus concrète et choquante du récit, à savoir le cannibalisme. L’idée amorcée, théoriquement intéressante, où l’acte est décrit comme un geste de solidarité entre les hommes pour leurs propres survies, est constamment esquivée à l’écran. Simple crainte de dépasser les limites de l’acceptable ? Pas sûr. Bayona semble d’évidence plus animé par le souhait d’interroger le rapport à la mort de ses héros, à l’aube de leurs vies et pourtant possiblement déjà à la fin. Le souci étant qu’il confond ces considérations avec une dimension spirituelle nettement plus contestable, où un mysticisme pompeux l’emporte systématiquement sur les questionnements existentiels. Le long-métrage cherche à tutoyer une forme d’abstraction qui lui échappe en permanence tandis qu’il n’est jamais aussi prenant que dans la reconstitution authentique et brute des conditions d’une survie miraculeuse. Ces choix narratifs et filmiques, achèvent de rendre l’ensemble répétitif et éreintant dans le mauvais sens du terme sur la durée (excessive). L’épilogue qui devrait imposer un torrent d’émotion ne viendra que provoquer un relatif soulagement. Nous espérions un retour en force consécutif à deux aventures essentiellement techniques, le compte n’y est pas. Si, Le Cercle des Neiges rappelle par instants à ce que Bayona sait faire de mieux, il met également en exergue ses limites, notamment dans son versant dramatique surchargé de tous bords, où les violons et la débauche de moyens ne dissimulent jamais une incapacité à faire vivre des personnages, ici trop souvent maladroitement résumés à une fonction principalement lacrymale. Doit-on parler de déception ou simplement acter que l’ancien grand espoir du cinéma espagnol a d’autres aspirations que celles que nous avions pu projeter en lui à ses débuts ?

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A propos de Vincent Nicolet

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