Só o som pode salvar

Salvar da inanição.[1]

Réunir l’évoqué et l’invoqué.

Luca Santtana est Brésilien. Il maîtrise la capacité de réinventer une musique sinon bien encadrée, tout au moins très (trop ?) référencée, pour en faire un chant nouveau, profondément enraciné dans sa terre natale.

Née dans les années cinquante, la bossa nova embrase tout le continent américain dans les années soixante ; fille du Jazz moderne, modale et de la Samba. Très vite cette musique rayonne sur le monde entier. Ici Johnny Alf, qui le premier métissa l’histoire musicale des deux continents : deux terres, deux exodes, deux métis[2] et pour l’éternité une seule musique.

https://www.youtube.com/watch?v=c0CCAldtkfo

Il faut attendre 1955 et l’album de Tom Jobim « Symphonia de Rio de Janeiro » pour entendre les prémices du mouvement bossanoviste. Il embrase les trois continents : Amérique du Sud, du Nord et Europe. Orpheu Negro, film français de Marcel Camus, viendra sceller dans l’or de sa palme à Cannes, l’histoire de cette musique et de son peuple.[3]

La Bossa se caractérise, chez « Tom » Jobim[4] particulièrement, par de grandes arches mélodiques écrites sur la partie faible du temps[5]. C’est ce déséquilibre qui fait la vague portée par Antonio Carlos Jobim, dans un morceau manifeste devenu immortel :

Le Brésil est la terre du nouveau monde perdu.

« Sans entrer dans le détail, et pour donner seulement une idée globale (même si on ne se sent pas tout à fait en droit d’arrondir les chiffres lorsqu’il s’agit de vie humaine), on retiendra donc qu’en 1500 la population du globe doit être de l’ordre de quatre cent millions, dont quatre-vingt habitent les Amériques. Au milieu du seizième siècle, de ces  quatre-vingt millions il en reste dix. [6] »

Racines d’un héritage lourd à porter.

Même s’il est dilué dans le temps, s’il n’en reste plus rien de premier plan, si l’on croit en avoir fini avec l’Histoire, elle n’en finit pas avec nous.

Est-ce là que prend naissance le sentiment de nostalgie douce amer d’un paradis perdu qui transpire de la musique brésilienne ? Je ne sais pas, laissant la réponse aux universitaires et préfère monter le volume de cette chanson de Santtana :

Le pouvoir de l’art est pour moi, en partie, dans sa capacité à faire d’une histoire intime, une histoire universelle. De savoir penser les opposés pour les réunir dans un seul chant. La musique n’est plus alors un média, mais un médium, ouvrant la perception au-delà des sens classiques. Elle réunit l’évoqué et l’invoqué.

Moitié du territoire de l’Amérique du Sud, le Brésil est un continent à lui seul. D’un extrême à l’autre, des forêts les plus riches du monde en biodiversité, le Mato Grosso, aux lumières artificielles des grattes ciel de Sao Paulo, le Brésil est un pont vivant entre l’origine et l’avenir.

Un pont vivant entre l’origine et l’à venir.

La musique de Luca Santtana est comme son pays, et c’est le moindre respect envers lui, que de porter plus loin que l’acquis, la musique de sa culture. Les temps ont changé, les cultures se mélangent, ne disparaissant pas, au contraire.

Luca Santtana est né en 1971 dans la ville de Salvador province de Salvador, état de Bahia au Nord du Brésil. Grattes ciel urbains aux flèches d’acier, pointes vers l’infini, il y a dans la musique de Lucas Santtana une science de l’équilibre remarquable, qui fait tenir les mondes humains sur une touche de xylophone.

La famille de Luka baigne dans la musique. Son père, aujourd’hui à la retraite, a travaillé de nombreuses années pour son industrie, et sa mère, après avoir été danseuse professionnelle, a fondé sa propre école de danse. C’est elle qui lui achète, dès son plus jeune âge, des vinyles, à raison de un par semaine. Tous les genres de musique sont abordés, dans une bibliothèque presque idéale où se côtoient musique classique, pop, jazz, musique instrumentale, rock, musique populaire Brésilienne, etc. Une éducation sans frontière, qui sera le témoin de l’ouverture exceptionnelle dont fait preuve Santtana dans sa musique. Si bien que lui trouver un genre quitte l’horizon des possibles. Echapper aux définitions pour redevenir une cellule en liberté, encore un oxymore que laisse derrière elle la piste Santtana !

Elle mène chaque jour, au retour de l’école, à l’écoute, les fenêtres de l’imaginaire grandes ouvertes, de cette bibliothèque musicale. L’enfant qu’il est alors pose, un par un, les microsillons d’une bibliothèque musicale de Babel, comme en décrivait une pour les lettres, le magicien du verbe, Jorge Luis Borges[7].

« ….je compris, même intuitivement, que tous les différents styles musicaux avaient les mêmes fondations en commun. Rythme, harmonies, contrepoint, plans de mixage, volumes, etc…. »[8]

Sans doute rien d’innocent alors à ce que l’album s’ouvre sur ce qui pourrait être un manifeste, épuré comme un haïku : Só o som.

« Seul le son peut sauver
Sauver de la famine
Cette fleur de la grande masse
Au nom de qui est la chanson
Le son est moi
Il est toi…. »[9]

Luca Santtana réalise alors que ce qui définit un style, c’est l’instrumentalisation, par exemple la place de la basse dans la musique Jamaïquaine.

De cette prise de conscience va découler toute son œuvre métaculturelle. Il ne s’agit plus de mélanger les genres, il s’agit de les emmener une marche plus loin.

« … ce qui définit un style c’est en gros l’instrumentalisation du groupe. La façon dont le groupe utilise les instruments, par exemple la basse dans le cas de la musique Jamaïquaine, mais aussi l’univers socio-culturel autour de lui, ont constitué les premières marches sur lesquelles je suis monté pour de la musique. C’est ce qui a fait que j’ai voulu dédier ma vie à la musique. [10]»

Si on lui demande comment il voit cette musique aujourd’hui, il répond par ce qu’on pourrait prendre d’abord pour un jeu de mot.

« Je ne vois pas, j’écoute ! »

La formule n’est pas lapidaire. Sa réponse à la question de savoir comment Lucas voit sa musique traduit un renversement de perspective qu’il faut choisir pour accéder aux arcanes universels de cette musique, sans se couper de ses racines. Il le rappelle lui-même lors de l’interview, chacun de ses albums est très différent du précédent. L’artiste est passé au-delà des frontières, capable de convoquer pour sa musique autant les rythmes et les sonorités du Ska avec le morceau « Se Pá Ska. S.P », que de la musique « Baile » comme « Mariazinha Morena Clara », ou bien de s’approprier effectivement la forme de ligne de basse reggae pour en faire celle de sa musique hybride.

 

S’il faut donc donner un nom de genre à sa musique, le musicien Brésilien revendique celui de « Lucas Santtana music », musique qu’il qualifie de multiple et unique à la fois. Retour au principe du ruban de Moebius.

Son dernier album, Modo Aviao (mode avion) est voulu par son auteur comme un film audio.

« C’est comme si vous allez au cinéma et que vous regardez un film les yeux fermés »[11]

Pour le musicien ce n’est pas un album comme les autres mais une expérience sonore. On place les écouteurs sur ses oreilles, on ferme les yeux en basculant dans son fauteuil et on part pour le voyage. L’idée centrale pour Luca est de réaliser un objet multimédia virtuel. Ainsi est-il aujourd’hui tourné vers des formes de créations qui lui permettent de mélanger les supports, cinéma, littérature et arts plastiques. Pour cela notre homme veut se tourner vers la réalisation de documentaires, réaliser des programmes pour la TV liés à la musique, écrire des musiques de films, faire des installations sonores, des concerts et bien entendu, un nouvel album.

Une vie n’y suffirait pas que Luca Santtana s’en invente immédiatement de nouvelles.  Comme une chanson qui chasse l’autre…..


[1] « Seul le son peut sauver, Sauver de la famine … »

[2] Stratégie de rapports reposant sur la ruse de l’intelligence…

[3] https://www.youtube.com/watch?v=4T1mN8_TIoQ

https://fr.wikipedia.org/wiki/Orfeu_Negro

[4] Antonio Carlos Jobim dit « Tom »

[5] Sources Dictionnaire du Jazz, ed. Robert Laffont

[6] Tzvetan Todorov La conquête de l’Amérique, ed. Points

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Biblioth%C3%A8que_de_Babel

[8] Les phrases de Luca Santtana sont traduites d’un entretien qu’il a bien voulu me donner il y a quelques jours.

[9] « Só o som pode salvar
Salvar da inanição
Essa flor da grande massa
Cujo nome é canção…. O som sou eu
Ele é você
O som sou eu
Ele é você »
[10] Id note 7

[11] Id. note 7

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