Julien Blanc-Gras – "Paradis (avant liquidation)"

Mission sensibilisation –

Pour nous autres Européens, le changement climatique est une sorte de mirage qui vient perturber nos déjeuners en terrasse et nos congés estivaux. Comme dit Julien Blanc-Gras, « on s’auto-flagelle cinq minutes en songeant à la planète que nous laisserons à nos enfants, puis on va faire des courses. Tout bien pesé, je crois qu’on s’en fout. Autour des machines à café, on parle toujours de la météo, jamais du climat. C’est normal, les loyers sont intenables et nous n’aurons pas de retraite, alors il faut établir des priorités. Le futur, on verra ça demain. » Pour les I-Kiribati, ainsi nommés les habitants des îles Kiribati, la montée du niveau de la mer est une menace quotidienne contre laquelle ces hommes et femmes du Pacifique tentent de lutter, certains en construisant des digues, d’autres en essayant d’attirer l’attention du reste du monde, parfois en priant… Il faut savoir que leur pays est amené à disparaître, purement et simplement, en conséquence implacable du réchauffement de la planète.Dans l’agenda d’un passionné de géographie tel que l’écrivain-journaliste Julien Blanc-Gras, visiter les îles Kiribati avant qu’elles soient rayées de la carte était une évidence. Armé d’un sens aiguisé de la formule et d’une ironie décapante, on retrouve dans son nouveau livre la recette qui a fait le succès de « Touriste » : un reportage écrit sous forme d’anecdotes tirées de ses rencontres avec les gens de là-bas, locaux ou de passage comme lui. Une nouvelle fois, Julien Blanc-Gras livre un témoignage à la fois personnel et distancié où son statut de visiteur ne se substitue pas à celui d’un militant. Si ses opinions personnelles se laissent deviner, son objectif premier semble être de permettre au lecteur de s’approprier tout le critique de la situation : « Sisyphe en action sous l’épée de Damoclès du changement climatique ».

En effet, les îles Kiribati se trouvent dans un vrai marasme : trop polluées pour bénéficier de la même renommée que les Maldives (pareillement menacées), il faut bien dire que l’attention générale ne s’en préoccupe guère. Il est ainsi déconseillé de s’y baigner, ce qui relativise leur statut de paradis malgré la beauté du paysage : « soit le turquoise irréel du lagon a été retouché à l’ordinateur par un fabricant de carte postale, soit Dieu existe et il était au sommet de son art dans sa période bleue ». Le sort des Kiribati est donc en partie condamné par l’impossibilité de tourisme induisant un « niveau de fatalisme qui semble proportionnel à celui de l’océan ».

C’est devant ce constat qu’intervient véritablement le récit de Julien Blanc-Gras en se tournant vers la population locale menacée d’exil, pour laquelle il va bien falloir quand même trouver une solution, avec ou sans touristes. Du pêcheur à l’ancienne nonne, en passant par l’étudiante ou le rappeur, ses portraits sont passionnants car transcrits avec une sincérité mêlée de tendre amusement : « scoop mondial : je viens de dénicher le premier spécimen de rappeur timide » / « elles habitent en altitude, c’est un bon début pour entamer une ascension sociale ». Ses traits d’esprit se font toutefois plus critiques envers la religion qu’il pointe comme un facteur d’attentisme impardonnable ici et là : « Harry estime qu’il n’y a pas de danger car Dieu a promis à Noé qu’il n’y aurait plus d’inondation après la dernière » / « Merci Margaret, face souriante de la religion, celle qui passe plus de temps à se rendre utile qu’à inculquer des préceptes moraux à des populations qui n’ont rien demandé ».

On acquiesce bien volontiers aux paradoxes que l’auteur met en relief tout au long de son témoignage qui s’achève en escale à Los Angeles dans une opulence de surface… Souvent amusé, parfois scandalisé, définitivement plus ouvert sur le monde, le lecteur de « Paradis (avant liquidation) » referme surtout ce livre en étant sensibilisé. Il semble que Julien Blanc-Gras ait parfaitement accompli son contrat d’écrivain voyageur.

Paru le 15/05/2013 aux Editions Au Diable Vauvert.

 

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A propos de Sarah DESPOISSE

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