Quitter un deux pièces à Paris pour aller s’installer provisoirement dans une maison de campagne dans le Berry. Fuir la foule et la promiscuité urbaine pour profiter de l’espace, du calme, du silence. Résumé de cette manière, Paris-Berry pourrait s’apparenter aux chroniques des temps confinés qui ont fleuri au moment de la crise du coronavirus. Sauf que le livre a déjà trente ans et qu’il ne faut pas compter sur Frédéric Berthet pour livrer une critique convenue de la vie citadine ou je ne sais quel éloge d’une existence authentique à Argenton-sur-Creuse, Meillant voire Buzançais.

Pour l’auteur de Daimler s’en va, il s’agit d’abord de profiter d’une opportunité (une de ses amies possède une grande maison à la campagne) pour tenter d’écrire un nouveau roman. Mais la mise au vert ne provoquera pas de miracles et ledit roman sera constamment court-circuité par le goût de l’observation et le sens du détail de l’auteur. Ici, c’est un accident de plomberie (une pièce inondée) qui éloigne Berthet de sa machine à écrire. Là, c’est un problème purement technique (l’utilisation du « il » en littérature) sur lequel vient achopper l’écrivain. Ou encore, des scrupules à parler trop souvent de ses chats :

« D’ailleurs, une maison sans chat (surtout les noirs, qui semblent fascinés par les documentaires, à la télévision, portant sur les rhinocéros, le reste des programmes ne les intéresse absolument pas) n’est pas une maison.

Oui, mais, me dis-je, préparant la monnaie, les livres ne sont pas des maisons. »

On l’aura compris, l’art de Frédéric Berthet est celui de la forme courte, du fragment, de la notation incisive. Son style, c’est du point de croix : élégant, délicat, acerbe parfois, mélancolique souvent et drôle en permanence. Un humour comme « politesse du désespoir » comme le veut la formule consacrée et que l’auteur résume d’une autre manière : « Je me sentais d’humeur facétieuse, dans la mesure où il est lui-même d’humeur perpétuellement facétieuse. Ce qui signifie, à mon avis, que c’est un type assez secret. »

Paris-Berry ne sera donc pas un « roman » au sens traditionnel du terme. Davantage une succession de petites notations pointillistes où Berthet mêle le trivial (sa peur des insectes) et le poétique, le présent et le passé (des traces fugitives d’amours défuntes), le rêve (où apparaissent aussi bien Antoine Blondin – qui s’occupe de la transaction d’un bordel à Lyon- que Michel Déon ou Roland Barthes) et la réalité… C’est avec une immense pudeur que Frédéric Berthet aborde les virages les plus douloureux de son récit (« Il y a toujours un côté mélancolique quand on dit : « était ». En général, les gens qui disent : était, n’ont jamais été grand chose. ») et une façon assez inimitable de fixer de manière indélébile les moments les plus anodins. Car la légèreté apparente de l’ensemble (une petite centaine de pages, divisées en chroniques extrêmement brèves) est portée par une exigence stylistique permanente. Dans un beau chapitre, Frédéric Berthet fait un éloge de la virgule alors que quelqu’un (un directeur de revue) lui a reproché autrefois d’en faire un usage abusif. Pour lui, la littérature, c’est aussi une question de respiration :

« Dans ce livre, j’aime les virgules. Les brins d’herbe de Walt Whitman. Virgules couchées sous le vent. Minuscules attentes de ce qui va venir. Choses, corps souples. Mes virgules sont mes catins. Qui a jamais prétendu que l’on devait écrire, lire, en apnée ? Pourquoi aucune halte ? Même courte, la randonnée est longue. Comment dit-on : prendre son temps ? »

Tout l’art de Frédéric Berthet tient dans cette profession de foi : un art de la flânerie et du chemin de traverse. Une manière détachée d’aborder l’existence, d’en savourer les petits plaisirs éphémères (la venue de l’été) et de l’appréhender avec un certain dandysme (l’éloge amusant des chapeaux et des cannes). Mais aussi et surtout une attention toute particulière à l’écriture, à la précision du style.

C’est ce qui donne cette couleur si particulière à Paris-Berry : être à la fois au plus près de la vie tout en parvenant à donner un caractère totalement intemporel à ces notations. On en garde le sentiment précieux d’une petite musique intime et légère, d’un parfum léger dont l’odeur n’est pourtant pas prête de s’estomper…

***

Paris-Berry (1993) de Frédéric Berthet

Éditions La Table Ronde, 2023

Collection : La Petite Vermillon n°376

ISBN : 979-10-371-1196-8

109 pages – 6,60€

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A propos de Vincent ROUSSEL

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