Entretien : Nicolas Tellop (éditions Musidora)

Bien connu des amoureux du septième et du neuvième art, Nicolas Tellop ajoute une corde à son arc en créant sa propre maison d’édition : Musidora. Il choisit, pour sa première publication, de faire traduire un classique de la littérature de science-fiction : L’Anachronopète, d’Enrique Gaspar. Un texte qui était inédit en français et qui n’est rien de moins que le premier roman de voyage temporel.

 

Nicolas Tellop © Nathalie Marisel

Comment vous est venue l’idée d’être éditeur ?

Quand j’étais petit, un jour que je n’avais pas été à l’école parce que j’étais malade, ma mère m’a amené chez mes grands-parents. À midi, elle est revenue en m’apportant un cadeau de consolation : une édition illustrée pour la jeunesse de Cinq semaines en ballon de Jules Verne. Je suis immédiatement tombé amoureux de la lecture et des livres. Par chance, si l’on veut, j’ai été souvent malade durant mon enfance et mon adolescence, donc j’ai reçu beaucoup de livres. Une évidence s’est vite imposée : je voulais moi aussi faire des livres. Les écrire et les fabriquer. Vers 6-7 ans j’ai écrit un petit recueil d’histoires illustrées (ma grand-mère m’avait appris à lire et à écrire bien avant mon entrée en primaire) dans un cahier dont j’avais arrangé la couverture pour donner l’illusion d’un livre de la Bibliothèque Rose. Des ciseaux, de la colle, du scotch, rien de bien compliqué, en somme. Depuis, j’ai grandi et je me suis mis à écrire des livres. J’ai été édité. Alors je me suis dit qu’il était temps de publier à mon tour. Voilà comment a germé Musidora. Je regrette un peu l’époque des petits ciseaux, des tubes de colle et des bouts de scotch. Même si, au fond, Musidora est une aventure artisanale.

Le logo de la maison, dessiné par Jack Durieux

Pourquoi Musidora ?

Au départ, j’avais imaginé Chiche & Capon, en hommage aux Disparus de Saint-Agil de Pierre Véry, un auteur que je vénère. Mais le nom était déjà pris par une compagnie théâtrale, je crois… Très vite, le visage masqué de Musidora dans Les Vampires de Louis Feuillade s’est imposé à moi comme une évidence. C’est un des piliers de mon imaginaire : une version féminine de Fantômas, un personnage qui me fascinait, enfant, aussi bien dans les films avec Louis de Funès que dans les romans-feuilletons de Souvestre et Allain, que j’avais réussi à dénicher je ne sais comment et dont la noirceur m’avait pétrifié. Le masque, l’identité secrète, le mystère et le danger : tout cela cristallise une approche de l’imaginaire dans laquelle je me retrouve parfaitement. Sans oublier que le nom de Musidora sonne particulièrement bien, c’est un nom comme un poème, une petite musique en soi. J’ai raconté tout à ça à un ami graphiste, Jack Durieux, et il en a tiré un logo idéal, où Musidora apparaît telle une chimère, une chimère qui serait une femme-livre. J’imagine que c’est un juste retour des choses, car je dois tout aux femmes qui m’entourent depuis toujours : ma grand-mère qui m’a appris à lire et écrire, ma mère qui m’a donné l’amour des livres, ma sœur aînée qui est elle aussi une grande lectrice… Jusqu’à ma compagne qui a traduit le premier livre de la maison ! Choisir Musidora, c’était donc, pour moi, un juste retour des choses, une célébration de la féminité.

 

Votre ligne éditoriale ?

Elle part d’une idée simple : publier des livres que j’aurais voulu trouver en librairie. Plus spécifiquement, le principe de la ligne est résumé dans le slogan : « Imaginaires en tous genres ». Au-delà de la volonté de déterrer des curiosités et des trésors cachés, j’entends défendre une vision élargie des littératures de l’imaginaire. C’est-à-dire, ne pas la cloisonner dans les genres qui lui sont communément associés. Mieux encore, je rêve de rappeler que, contrairement aux apparences, l’imaginaire entretient un dialogue privilégié avec le réel. Par ailleurs, je me prépare à publier en 2023 une création originale assez ambitieuse, tant dans le propos développé par l’auteur du projet que dans la forme que l’on va lui donner.

 

La couverture de L’Anachronopète, signée Laurent DurieuxComment avez-vous découvert votre première publication, L’Anachronopète ?

Grâce à mon ami écrivain et romancier Xavier Mauméjean, à l’occasion d’une conférence qu’il avait consacrée aux machines à temps pour le Musée des Arts et Métiers. Xavier a d’ailleurs rédigé la postface du roman, aussi lumineuse qu’érudite. Avec L’Anachronopète, l’une des lignes Musidora est clairement tracée en direction de la curiosité pour les trésors cachés. Ce roman n’avait encore jamais été traduit en français. En Espagne, c’est un classique, qui est même revenu sur le devant de la scène il y a peu, grâce à une série télévisée, El Ministerio del Tiempo. Dans les pays anglo-saxons, le roman est reconnu pour la place primordiale qu’il occupe dans l’histoire de l’imaginaire. Il s’agit là en effet du premier roman à faire intervenir une machine à voyager dans le temps. Et non seulement l’auteur, Enrique Gaspar, peut se targuer de l’antériorité, mais en plus il définit déjà tous les thèmes et les motifs associés aujourd’hui au genre : paradoxes temporels, rétroactions, influences du futur sur le passé… Le tout en 1887, donc avant H.G. Wells. C’est le genre de chose qui me fascine.

 

Quand vous ne publiez pas des livres, qu’est-ce que vous faites ?

J’écris des articles et des livres sur mes autres passions, la bande dessinée et le cinéma. Je participe à plusieurs revues, comme Les Cahiers de la BD et La Septième Obsession, dont je dirige les hors-séries. Et j’enseigne, aussi…

 

Quel a été votre premier choc littéraire ?

Après Cinq semaines en ballon, j’ai été obsédé par Jules Verne et Alexandre Dumas, édité dans la même collection. Ensuite, il y a eu Le Club des Cinq et la série des « Mystères » d’Enid Blyton, que je n’oublierai jamais, pas plus que « Les Trois Jeunes Détectives » que La Bibliothèque Verte présentait comme étant écrite par Alfred Hitchcock, dont je connaissais déjà les films et que j’adorais. En ces temps reculés, la télévision prodiguait des merveilles… Ensuite, il y a eu une succession de chocs littéraires : Conan Doyle, Agatha Christie, Edgar Allan Poe, Oscar Wilde, Pierre Véry… Puis, au lycée, mon appétit pour la lecture s’est amoindri, c’est qu’à cette époque j’étais pris d’une soif inextinguible de cinéma. Puis, ça a repris et là, c’était Ray Bradbury, Marcel Proust, Richard Brautigan, Kurt Vonnegut, Jorge Luis Borges, Thomas Pynchon et tant d’autres.

 

Ambitions que l’on pourrait considérer comme politiques, ou anachroniques, si l’on considère que l’époque est à l’autofiction, voire à un délaissement du style…

Je pense que la lecture de L’Emploi du temps de Michel Butor, dans mon adolescence, a un peu agi comme une révélation : j’ai pris conscience que les livres ne racontaient pas seulement des mystères, mais qu’ils recelaient dans leur écriture un autre mystère peut-être encore plus précieux. Appelez ça le style, la forme…

 

Quand vous entrez dans une librairie, vous vous dirigez vers quel rayon ?

Quel que soit le rayon où je me rende, à l’origine, il y a toujours une table, une étagère ou un livre qui interrompt ma trajectoire… C’est très dangereux pour moi de rentrer dans une librairie : s’ouvre alors une faille spatio-temporelle qui a une curieuse tendance à vider mon compte en banque. Un trou noir, en somme.

Sophie Vallez, traductrice de L’Anachronopète © Nathalie Marisel

À quoi ressemble votre bibliothèque ?

Pour l’heure, à un fatras. Je rêve d’une bibliothèque comme celles des demeures aristocratiques anglaises. Mais comme je suis d’extraction prolétaire, le résultat est pour le moment encore un peu étrange. Sinon, beaucoup de romans, beaucoup de bandes dessinées, pas mal de livres critiques ou d’essais philosophiques. Le tout au milieu des DVDs et des disques, car, pour mon malheur, je suis incapable de me satisfaire d’une seule passion.

 

Espérez-vous pouvoir vivre de votre activité d’éditeur ?

Non. Mais j’espère bien y survivre.

 

L’Anachronopète, d’Enrique Gaspar, traduit de l’espagnol par Sophie Vallez, éditions Musidora. En librairie le 12 octobre.

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A propos de Pierre-Julien Marest

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