Lorsqu’on songe à l’auteur de La Gifle ou de La Boum, ce n’est pas le nom de Cocteau qui vient immédiatement à l’esprit. Et pourtant, Claude Pinoteau a côtoyé de près le poète-cinéaste, l’assistant sur quasiment tous ses films à partir des Parents terribles et portant la casquette de « collaborateur technique » lors du tournage du Testament d’Orphée où il se retrouva derrière la caméra pour diriger la technique du film :

« J’ai été extrêmement honoré qu’il me fasse la confiance d’être son « œil », quand il jouait devant la caméra, et qu’il me confie la direction de l’équipe technique. »

En 2003, Monique Bourdin fit paraître la première édition de ces entretiens avec Claude Pinoteau qui revient sur sa collaboration avec Jean Cocteau. Ils débutent par une présentation rapide du parcours du jeune homme, enfant de la balle (son père était régisseur, son frère – Jack Pinoteau- réalisera lui aussi des films, notamment le fameux Triporteur avec Darry Cowl) qui exerça plusieurs petits métiers et connut les plateaux de cinéma dès son plus jeune âge. Enfant, il tient un petit rôle aux côté de Michel Simon dans La Fin du jour de Duvivier. En 1942, alors qu’il est accessoiriste pour le film de Serge de Poligny Le Baron fantôme, dialogué par Cocteau, il rencontre pour la première fois le poète. Ce qui nous vaut une savoureuse anecdote. En effet, Cocteau tenait le rôle d’un baron enfermé dans des oubliettes et momifié devant son testament :

«Mon rôle était de couvrir Cocteau de toiles d’araignées et de poussière. […] J’avais une sorte de pistolet pulvérisateur, muni d’un ventilateur, dispersant de la dissolution de vélo, en fils très fins. Elle permettait de donner l’illusion de toiles d’araignées. J’en couvris généreusement Jean Cocteau ! Il était stoïque et ne bougeait pas, très appliqué dans son rôle. Après l’avoir « mitraillé » de toiles d’araignées, je le saupoudrai de poussière. »

Après la guerre, Pinoteau retrouve son mentor sur le tournage de Ruy Blas de Pierre Billon, toujours en tant qu’accessoiriste. Grâce à son enthousiasme et sa débrouillardise, le cinéaste l’engage comme régisseur sur L’Aigle à deux têtes puis comme second assistant sur Les Parents terribles. Sur ce film, il deviendra même premier assistant en cours de tournage et c’est ce rôle qu’il occupera également sur les plateaux des Enfants terribles (réalisé par Jean-Pierre Melville) et d’Orphée

Durant ces entretiens, Claude Pinoteau se montre peu avare en anecdotes croustillantes, qu’il s’agisse de ramener en train de marchandises le cheval d’Edwige Feuillère ou de recruter à Saint-Germain-des-Prés des figurants crédibles pour Orphée. Son témoignage est à la fois riche et vivant, offrant un regard assez unique sur l’atmosphère régnant sur les tournages des films de Cocteau. Le lecteur en apprend beaucoup sur les méthodes de travail du poète, son extrême courtoisie et sa manière de traiter sur un pied d’égalité les plus grandes stars comme le plus modeste des techniciens : « Il ne pouvait pas travailler dans un climat tendu, comme certains metteurs en scène qui favorisent une atmosphère délétère de rapports de force. […] Jean Cocteau avait cette même exigence, mais obtenait beaucoup plus par sa gentillesse et sa rigueur bienveillante. Jamais il n’avait un mot trop haut et surtout, jamais un mot trop bas vis-à-vis d’un technicien. »

L’auteur revient également sur la manière dont Cocteau bricola certains de ses effets spéciaux (« Il lui est arrivé de tourner « à l’envers », en faisant marcher l’acteur à reculons, pour obtenir une démarche singulière, en projetant le film à l’endroit. »), notamment la fameuse scène de la traversée du miroir dans Orphée. Entre les visions très précises du maître et un certain sens du bricolage et du système D, on constate que le hasard a aussi tenu un rôle essentiel, qu’il s’agisse de débusquer un décor conforme aux attentes du cinéaste ou encore de ce moment extraordinaire où un avion à réaction passe au-dessus de l’équipe de tournage du Testament d’Orphée au moment où Minerve lance sa flèche pour tuer le Poète. Extraordinaire parce que Cocteau avait écrit dans son scénario que le sifflement de la flèche serait remplacé par le bruit strident d’un avion à réaction !

Constamment passionnants, les propos de Claude Pinoteau sont, de plus, agrémentés de précieux documents. Outre une iconographie très riche, où se mêlent photographies, plans de tournage, découpages de scènes, on pourra en effet découvrir de nombreuses lettres de Cocteau, adressant parfois un simple salut amical à son « petit Claude » ou le chargeant de démarcher pour lui des producteurs au moment de réunir, difficilement, les fonds pour Le Testament d’Orphée (« Lorsque je songe aux chipotages des « grands », je m’incline devant la gentillesse des « petits ». (Car le redoutable Truffaut signe sa lettre « votre petit Truffaut ».) »)

Avec une grande modestie et un certain sens de l’humour, Pinoteau relate son compagnonnage avec Cocteau et nous offre un document unique sur un certain pan de l’histoire du cinéma. De quoi satisfaire aussi bien les cinéphiles que les amateurs de « beaux livres » et les inconditionnels de l’auteur de La Belle et la bête.

***

Derrière la caméra avec Jean Cocteau (2003) de Claude Pinoteau

Propos recueillis et annotés par Monique Bourdin

Préface : Jean-Loup Dabadie. Postambule : Lucien Clergue

Éditions de La Table Ronde (2023)

ISBN : 979-10-371-1290-3

253 pages – 32 €

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A propos de Vincent ROUSSEL

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