« Si un jour au XXIe siècle, quand je serai mort et enterré, rongé par l’alcool et l’héro, quelqu’un parle encore du Palace, ce sera grâce à moi, rien qu’à moi. Je suis le prince du Palace. Et vous, vous êtes quoi ? Vous êtes rien ! Vous êtes beaux et vous dansez bien ? Et alors ? Personne ne le saura, quand les asticots vous boufferont les entrailles, à part si moi, Alain Pacadis, je l’écris dans une de mes chroniques… « Dinah dansait comme une déesse hindoue sur la piste du Palace, ses longs cheveux noirs ondulant sur ses fesses étroites… » Sans moi, vous n’existez pas. »

C’est lors d’un prologue situé en 1980 que Charles Salles prend soin de placer ces mots dans la bouche d’Alain Pacadis en fixant ainsi les enjeux de son premier roman. D’une part, retracer l’existence chaotique de celui qui devint l’un des chroniqueurs les plus inspirés des années punk et disco. De l’autre, le faire sous une forme romanesque permettant d’ausculter non sans une certaine finesse les fêlures d’un dandy au tempérament autodestructeur et de revenir sur ses origines familiales (fils d’immigrés qui perdit ses parents relativement tôt).

Le choix d’une forme romancée pour aborder une biographie peut questionner dans la mesure où l’on ignore constamment si les faits relatés sont authentiques ou relèvent de la pure imagination de l’écrivain. Cette indécision peut constituer une des petites limites du livre dont certains passages peuvent parfois paraître dictés par une volonté de tenir un discours strictement contemporain sur le cours des événements. Je ne citerai qu’un exemple, qui me paraît être le passage le plus faible du roman, à savoir une discussion autour de la figure de Matzneff. En consacrant un livre à Pacadis et en nous replongeant dans l’univers des années 70/80, Charles Salles ne pouvait pas faire l’impasse sur les questions désormais très sulfureuses de la majorité sexuelle et de la permissivité vis-à-vis de la pédophilie (Libération, le FHAR, Guy Hocquenghem…). Même s’il rappelle intelligemment quelques évidences (une répression beaucoup plus féroce contre les homosexuels puisque la notion de majorité sexuelle n’existait alors que pour les hétérosexuels ), cette apparition ponctuelle de Matzneff au détour d’une conversation paraît à la fois assez artificielle et témoigne d’une volonté un peu facile de trier l’ivraie du bon grain. En clouant au pilori Matzneff (« l’enflure », « il me débecte trop », « salopard »1), on a un peu le sentiment que Salles se dispense d’une véritable réflexion sur la question pour exonérer son personnage et son entourage de tout reproche en les distinguant du « monstre ». Un « procès » en bonne et due forme n’aurait d’ailleurs sans doute pas présenté plus d’intérêt mais cet exemple montre que le romancier adopte parfois une position un brin didactique plutôt que de plonger réellement dans les bouillonnements et les excès (personne ne dit que certains n’étaient pas condamnables!) de l’époque qu’il décrit.

Cette petite réserve posée, Alain Pacadis : Face B se révèle passionnant. Construit en deux parties (« vivre » et « survivre ») adoptant un découpage chronologique, le récit parvient à bien cerner la personnalité du chroniqueur tout en traçant de manière très vivante un tableau de son époque. Le livre débute en 1968, lorsque le jeune homme de 19 ans découvre une certaine liberté et son attirance pour les garçons. En 1970, sa mère se suicide (« Je pars pour te laisser la route libre, je vais rejoindre ton père »), événement traumatisant qui le hantera toute sa vie. C’est alors la découverte des drogues, de la route (l’Inde, l’Afghanistan…) avant le retour à Paris et l’adoption d’une nouvelle image : celle du dandy nihiliste, adepte du cuir, des drogues dures et des nuits blanches entre concerts et boites de nuit.

Charles Salles est historien de formation et si son livre est romancé, on sent néanmoins une véritable rigueur historique dans sa manière de relater les faits. Revenant sur les jalons « historiques » de la carrière d’un chroniqueur ayant importé le style gonzo d’Hunter Thompson dans ses articles musicaux, l’auteur revient sur les débuts difficiles de Pacadis et sa mésentente avec Bizot qui refusa ses textes dans Actuel, sur ses goûts musicaux (Bowie, Lou Reed, le punk…) et ses rencontres marquantes (les Gazolines, Nico) mais aussi sur ses frasques sentimentales, notamment avec Dinah, jeune femme transsexuelle…

Les chapitres sont relativement courts, le style est alerte et la forme romanesque permet de revenir plus en profondeur sur les origines de ce fils d’un père grec chassé de son pays par les turcs et d’une mère juive polonaise qui échappa de peu aux camps de la mort et qui chercha par la suite à oublier ses origines.

L’intelligence du livre est de ne pas chercher à tout prix un déterminisme à partir de ce roman familial mais de creuser du côté des fêlures d’un homme qui n’a cessé, durant toute sa vie, de se détruire (par la drogue et l’alcool mais en provoquant également les loubards et les voyous qu’il croisait).

L’ouvrage parvient également à maintenir un bel équilibre entre la description d’une véritable mythologie (Roland Barthes apparaît souvent et fait partie des « maîtres » de Pacadis) autour d’une époque à la fois proche et paraissant désormais très lointaine : le Palace, les Bains Douches, le Nightclubbing ; et un récit à hauteur d’homme qui n’hésite pas à se montrer trivial (l’hygiène parfois douteuse du chroniqueur, son rapport au sexe…).

Après un passage remarqué à Apostrophes, Alain Pacadis va être isolé au cœur d’une époque qui change (belle description des années Mitterrand et de la fin des illusions qu’elles apportèrent). C’est le début d’une émouvante déchéance, de l’incendie de son appartement rue de Charonne jusqu’à la tentative de suicide chez Tina Aumont en passant par sa fin tragique.

Au bout du compte, Charles Salles est parvenu à retracer avec intelligence et sensibilité le portrait d’un écorché vif, dandy excentrique et provocateur qui symbolisa à lui seul toute une époque. Et à ce titre, Alain Pacadis : Face B mérite le détour.

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NB : Outre la biographie que lui ont consacrée Alexis Bernier et François Buot, je recommande trois livres qui reviennent merveilleusement sur cette époque et où l’on croise la figure d’Alain Pacadis :

Ascendant Sagittaire : une histoire subjective des années soixante-dix de Gérard Guégan (aux éditions Parenthèses, 2001). Guégan publia en 1978 Un jeune homme chic de Pacadis et évoque le personnage, notamment une rencontre en octobre 1986 : « Nous avions bavardé, pas longtemps, le strict minimum car nous n’étions plus d’accord que sur l’essentiel : rien ne remplacerait jamais la beauté des jours d’émeute. »

Waiting for Tina : à la recherche de Tina Aumont de Jean Azarel (L’Autre regard, 2019). Splendide biographie de l’actrice, sous forme d’enquête fouillée. On y croise bien évidemment Pacadis puisqu’il logea chez elle où il fit d’ailleurs sa tentative de suicide.

Paris Punkabilly 76-80 de Vincent Ostria (Marest éditeur, 2021). Une évocation vivante du Paris punk de la deuxième moitié des années 70 où l’on croise Alain Pacadis, Elli et Jacno ou encore Eva Ionesco.

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Alain Pacadis : Face B (2023) de Charles Salles
Éditions La Table Ronde (2023)

ISBN : 979-10-371-1245-3

266 pages – 22€

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