Quand la réalité dépasse la fiction. Les histoires vraies, aussi démentielles et passionnantes soient-elles, ne sont pas garantes d’un bon film. Frères, le nouveau long métrage de Fred Casas, après le pénible Baby Phone, en est une illustration exemplaire, le prototype de tout ce qu’il ne faut pas faire en dépit d’une matière passionnante. Le destin de Michel et de Patrice est tout simplement hallucinant, poussant très loin la suspension d’incrédulité. Les faits remontent au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en 1948. À l’âge de 5 ans et 7 ans, Michel et Patrice ont été abandonnés par leur mère qui ne les a jamais reconnus. Recueillis un temps dans un pensionnat, ils se sont enfuis dans la forêt. Pendant sept années, ils vont vivre en autarcie, se démener pour subvenir à leurs besoins en construisant une cabane, chassant les lapins, volant des poules et cueillant des fruits sauvages. Les autorités n’ont pas eu l’air de s’en soucier à l’époque. Il faut dire que l’enfant n’était pas au cœur du processus d’éducation, que nombre d’entre eux disparaissaient sans que personne ne s’en émeuve. La transposition à l’écran  de ce récit d’une survie en marge de la société, fantasmée par un certain Henri David Thoreau en son temps,  ne parvient ni à émouvoir ni à susciter la moindre tension Le film pose d’emblée un problème d’écriture en adoptant le point de vue de Michel, architecte qui a réussi à fonder une famille. Contrairement à Patrice qui n’a jamais pu surmonter son mal-être. Le jour où ce dernier disparaît, Michel part à sa recherche.

Frères

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La construction maniérée du scénario, censée nous bouleverser, alternant passé et présent, cumule les pires travers d’un certain cinéma psychologique daté que même un Gilles Grangier ou un Pierre Granier-Deferre, en artisans consciencieux, n’aurait jamais osé nous infliger. Les dialogues, sermons sur le sens de la vie et la douleur introspective aux inflexions virilistes, sont d’une ringardise digne du pire soap-opéra, tandis que la voix off redondante surligne tout ce que l’on voit avant de nous servir une tambouille philosophique 2.0 à vous donner l’envie de vous endormir pour l’éternité. Yvan Attal et Mathieu Kassovitz, en roue libre, avec leurs regards pénétrants d’écorchés-vifs, sont tout simplement mauvais – mais comment pourrait-il en être autrement avec ce qu’on leur donne à dire ? Les personnages secondaires sont sacrifiés à l’autel de la pure figuration et des stéréotypes les plus lamentables (la fille qui ne veut plus parler à son père car il n’est pas présent à son anniversaire). A la rigueur, les aventures de deux petits sauvageons en culottes courtes, le temps de deux ou trois scènes picaresques, provoquent un regain d’intérêt. Hélas, ces petites bouffées d’air sentent rapidement la naphtaline, desservies par une mise en scène boursouflée et académique : musique envahissante, plans d’ensemble inutiles et impersonnels, ralentis risibles des gosses courants dans les champs. Et que dire de ses scènes au coin du feu dans la cabane au Canada (sic !) où Mathieu Kassovitz, en pleine introspection, joue de la guitare, sous le regard ému et « droopyesque » de Yvan Attal. Préparez vos mouchoirs pour une bonne tranche de rire.

Frères : Photo Yvan Attal, Mathieu Kassovitz

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Olivier Casas, par ses choix narratifs et visuels, ne parvient jamais à faire passer une idée de cinéma par le montage, la lumière, la caméra. Entre le regard passéiste et idéalisé de l’enfance et celui mortifère et complaisant des deux quinquagénaires, le film passe complètement à côté de son sujet, s’en tenant à l’illustration sans âme d’une histoire fascinante sur le papier. Il n’en tire qu’un pensum, sincère à n’en pas douter, mais insupportable et prétentieux sur les liens secrets et fusionnels d’une fratrie nostalgique d’un Éden perdu.

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A propos de Emmanuel Le Gagne

2 comments

  1. Marc

    Merci nous n’aurions pas mieux dit l’ennui ressenti est permanent le malaise s’installe la musique insupportable…. Vive le documentaire !

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