Jalmari Helander – « Sisu – De l’Or et du Sang »

En 2011, Jalmari Helander arrivait dans le monde du cinéma muni d’un solide passif dans la publicité, qui lui a autrefois valu plusieurs récompenses. Il signait avec Père Noël Origines, une relecture horrifique toute personnelle, violente et teintée d’humour noir de la légende hivernale (il se murmure que Cate Blanchett adorerait le film). En dépit, de la petite cote que lui a valu ce galop d’essai, il n’a pas cédé aux sirènes hollywoodiennes et réalisait trois ans plus tard, Big Game. Une coproduction européenne, devenant par la même occasion le plus gros budget de sa Finlande natale (8,5 millions d’euros), où ses fidèles Onni Tommila et Jorma Tommila partageaient l’affiche avec Samuel L. Jackson, Ray Stevenson, Ted Levine ou encore Felicity Huffman. Il s’essayait alors à l’actioner, tendance eighties, pourvu d’une réelle affection pour le genre et animé par une recherche de plaisir primaire, mais sincère. Son troisième long-métrage Sisu (un mot finlandais intraduisible, nous annoncera-t-on d’entrée), fort d’une projection électrique au festival de Sitges (il a décroché le prix du meilleur film), s’inscrit dans le même sillage, celui d’un artisanat modeste et soigné, au référentiel assumé. En 1945, un soldat (Jorma Tommila) découvre de l’or dans les profondeurs sauvages de la Laponie. Lorsqu’il tente d’apporter son butin en ville, un escadron de soldats nazis dirigé par un officier SS brutal (Askel Hennie) se met en travers de son chemin et une bataille pour l’or s’engage entre le mercenaire solitaire et les nazis.

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Copyright 2023 Sony Pictures Entertainment Inc.

Fort d’un pitch aussi prometteur qu’excitant, Jalmari Helander surprend par sa volonté de ne pas précipiter les choses et prendre le temps de poser son décor. La Laponie, territoire porteur d’histoires et au potentiel jusqu’à présent bien peu exploité : ses vastes étendues arides, ses terres détruites par les nazis, ses couchers de soleil. Le réalisateur impose d’un même élan un pur paysage de cinéma autant qu’il revendique une identité européenne affirmée, dans l’héritage du western-spaghetti. Le chapitrage et la typographie de Sisu, rappellent immanquablement Quentin Tarantino, mais aussi et surtout certaines de ses sources d’inspirations, Enzo Castellari et son Inglorious Bastards en tête. Un projet clair se dessine, finalement loin de la bourrinade décomplexée post-John Wick (pour citer le haut du panier), celui de réinvestir tel un contrebandier un genre porteur et le délocaliser « à domicile » afin de mieux se l’approprier. Si le cinéaste ne s’évertue pas à faire du développement psychologique, il fait montre de la même patience au moment de laisser germer ses enjeux. Il permet ainsi à son récit de se construire, imposer sa propre mythologie et enfin iconiser son protagoniste. Héros de cinéma immédiatement évocateur et emblématique (charisme naturel et imposant de Jorma Tommila), cet homme décri comme « un escadron de la mort à lui tout seul » avance avec un objectif simple : préserver son butin, quitte à tuer massivement les nazis qui se dresseront sur son passage. Individu quasi mutique (le film contient peu de dialogues, quasiment aucun ne sort de sa bouche) refusant de mourir, il semble à la fois hors normes et paradoxalement humain. Une forme de fatalisme et de résignation sont perceptibles, il avance vers son destin, conscient des obstacles et épreuves qui l’attendent. Cette dimension désabusée, est moins un vecteur de suspens qu’une façon de rendre l’action plus physique, plus tangible et en définitive moins gratuite. Pourquoi se donner autant de mal à soigner un produit par essence mineur et mal élevé ? Précisément pour nous permettre de mieux apprécier le spectacle et lui offrir un minimum de consistance.

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Malin, Jalmari Helander ne gaspille pas ses meilleures cartouches. Si les promesses annoncées seront tenues, il tient à y mettre les formes, le dosage est en ce sens primordial. Cela s’exprime moins dans la richesse d’un script rectiligne (exception faite d’un flashback jouissif explorant les origines du protagoniste) que dans la variété de l’action et un désir d’éviter la répétition d’une séquence à l’autre. De la nature des modes opératoires – corps à corps, armes à feu, explosifs (la scène à base de mine se révèle assez inventive) – à l’exploitation des différents décors, le réalisateur optimise son argument de départ. On pourrait pointer un final un brin expéditif, moins impactant que ce qui a précédé, mais il nous est difficile de faire la fine bouche devant un film qui connaît parfaitement ses limites et ses atouts. Sisu se pose en série B sanglante et chiadée, modeste et efficace, nourrie d’une affection sincère à l’égard d’un pan cinématographique trop souvent pris de haut ou abordé sans rigueur. Il constitue en définitive une heureuse anomalie, à la fois fondamentalement mineure et foncièrement réjouissante.

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Texte publié une première fois dans le compte-rendu de la XVIème édition des Hallucinations Collectives.

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A propos de Vincent Nicolet

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