Un homme promène son chien. C’est la nuit. Vagissements de nourrisson. Sur une poubelle, un sac plastique remue. Au même moment, Claire est trouvée inconsciente chez elle, baignant dans son sang. C’est la mère. Portes qui claquent, celles d’une prison.

Maud Wyler. Copyright Sensito Films.

L’écriture traumatique, après quelques scènes de bonheur ordinaire en famille, restitue l’effraction psychique du trauma qu’est le déni de grossesse. Non, cet enfant n’est pas à moi. Non, je n’ai rien vu. Toi non plus d’ailleurs. Vous non plus, tous les autres, comme le dirait Marguerite Duras, autre reine de l’écriture traumatique, que le titre du film convoque. Seul le chien, immédiatement, fixement en arrêt, comme empreint du caractère extraordinaire de sa découverte, a senti le petit être jeté aux ordures.

La suite se déroule de sidérations en jugements hâtifs nés d’autres sidérations. Autant de violences, celles de la mère devant faire face au tsunami d’un bébé qu’elle n’a pas porté psychiquement et qu’elle a failli tuer par déni, du père qui n’a rien vu, de l’entourage qui rejette dans l’horreur, de la société qui vocifère (« l’IVG ne leur suffit pas ? »), de la justice qui peut condamner à la perpétuité si l’enfant décède.

Géraldine Nakache. Copyright Sensito Films.

La mise en scène fluide et sobre déroule les faits dans une absence remarquable d’effets, glissant de la personnalité clivée (aux autres comme à elle-même) de la mère jouée par Maud Wyler à la compassion du père, Grégoire Colin maternant comme jamais, à l’attitude offensive et douce de l’avocate et amie de la famille Géraldine Nakache.

L’intelligence du dispositif de la réalisatrice Béatrice Pollet est de nous inclure dans le processus du déni. Nous aussi, spectateurs, n’avons rien vu dans cette avocate et mère adorable de trois enfants, sautant en maillot de bain dans une piscine et pourtant déjà enceinte de près de huit mois. Et pour cause. Lors du déni de grossesse, parce qu’il n’y a pas de grossesse psychique, non seulement le bébé est caché, mais le bébé se cache : s’allonge sous les côtes, ne se révélant qu’incidemment au détour d’un examen, d’une radio des reins, pendant que les règles ou ce qui s’y apparente peuvent se poursuivre.

L’autre ressort du second long-métrage de la réalisatrice après Le Jour de la grenouille actionne volontiers l’opposition et l’incompréhension entre une mère en état de choc, emprisonnée, et un appareil judiciaire déroulant sa logique abrupte pour appréhender sans en avoir les clés un phénomène complexe, impensable, exigeant un minimum de savoir psychiatrique. Traumatismes transgénérationnels, loyautés secrètes, fantômes familiaux se heurtent aux concepts d’altération ou abolition du discernement, de tentative d’homicide volontaire ou involontaire, chaque mot pesant son nombre d’années d’emprisonnement, comme s’il fallait que la société continue à enfermer celle qui l’était déjà en elle-même. Grand mérite du film : faire comprendre que condamner ces mères revient à punir celui qui ne peut plus courir parce qu’il a une jambe dans le plâtre. Au risque parfois d’un certain didactisme.

Car pour Claire, il n’y a pas eu d’accouchement. Un malaise, oui, peut-être. Il semble qu’elle ait perdu quelque chose, quelque chose de chaud et de visqueux, mais quoi ? Quel sac en plastique noir ? Ça ne lui dit rien. Juste le vert d’un conteneur poubelle. Vaguement.

En partant de plusieurs histoires réelles, Béatrice Pollet a travaillé durant huit ans sur le scenario de ce qui s’avère au final autant un portrait de femme qu’un film judiciaire ou psychologique ou à sujet, en échappant à l’une ou l’autre de ces définitions, comme son personnage principal, Claire, qui est tout sauf claire pour elle-même et donc pour les autres. Personnage que l’on frôle, effleure, interroge comme l’écorce de ces arbres que le mari ingénieur à l’ONF ausculte avec ses enfants, alors qu’il n’a pas senti la vie dans le ventre de sa femme.

Comme pour se relier à ce monde coupé de l’enfant dénié et à la souffrance du maternel en jeu, le film convoque l’élément liquide, amniotique, au fil de séquences de piscines, de bains peau contre peau qui s’avèrent particulièrement émouvantes en ce qu’elles nous parlent d’un petit être auquel personne, pendant neuf mois, n’a eu accès.

Maud Wyler, Grégoire Colin. Copyright Sensito Films.

En s’attachant plutôt qu’en s’attaquant au thème délicat du déni de grossesse, Béatrice Pollet nous livre un salutaire et nouveau témoignage de la place des femmes dans une société s’appropriant trop souvent leur corps, croyant pouvoir le juger voire le condamner comme pouvaient l’être en d’autres temps certaines sorcières.

FICHE TECHNIQUE

Réalisation et Scénario : Béatrice Pollet

Avec : Maud Wyler (Claire Morel), Géraldine Nakache (Sophie Beauvois), Grégoire Colin (Thomas Morel), Roman Kolinka (Paul, l’associé de Sophie), Fanny Cottençon (Émilie Morel, la mère de Thomas), Pascale Vignal (Pascale, la mère de Claire), Pascal Demolon (le juge d’instruction), Ophélia Kolb (la procureure), Fatima Adoum (Fanny), Cécile Rittweger (l’aide-soignante), Kelly Bellacci

Images : George Lechaptois 
Montage : Loïc Lallemand 
1er assistant réalisateur : Basile Julien
Décors : Charlotte Filler 
Casting : Valérie Pangrazzi 
Coiffure : Jean-Marc Benois 
Scripte : Florence Chéron
Production : Sensito Films
Productrice : Stéphanie Douet 
Distributeur (France) : Jour2Fête

Sortie salles (France) : 8 mars 2023

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