Quelle étrange idée de la part de producteurs que de proposer presque 12 ans après une suite-préquelle à un petit film d’horreur assez surestimé, dont la réputation tenait essentiellement à son effet de surprise final. Cinéaste plutôt médiocre sans griffe particulière Jaume Collet-Serra, bien qu’affilié officiellement à la carrière foireuse de Liam Neeson avait pourtant bien démarré avec son chouette remake de Wax Museum à la fois gore et respectueux de ses modèles. En 2009 Esther proposait une variation classique, peu inventive mais efficace, d’enfance maléfique mettant en scène une pauvre orpheline adoptée par une famille américaine idéale s’avérant rapidement beaucoup plus perverse  que son apparence de petite fille modèle. Pour vous parler de cette suite, nous sommes bien obligés de vendre la mèche d’Esther – mais qui ne la connaît pas ? Après avoir suivi son sentier traditionnel, mêlant inspirations gothique et contemporaine, entre fantasmatique claytonnienne et pathologie meurtrière à l’américaine, Esther envoyait son twist ultime : celle qu’on prenait pour une gamine était en réalité une jeune femme de trente ans atteinte de panhypopituitarisme, une maladie proche du nanisme, donnant à Esther l’apparence d’une enfant de 9 ans. Le revers de cette révélation stupéfiante étant également de libérer son hypocrise pudibonde. Une fois expliqués, les tabous déverrouillés n’étaient que des leurres, il n’y avait plus de petite fille tentant de séduire un adulte, mais juste une psychopathe. Le mal n’appartenait plus à l’enfance. Ouf, la morale était sauve. Désormais reconnue comme n’étant plus une enfant, il était visuellement possible de la punir en tant que monstre adulte et de lui briser la nuque.

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A tous niveaux, sans être un chef d’œuvre ce deuxième volet s’avère plutôt une bonne surprise, moins pour son intrigue que pour tous les motifs qu’il dessine. Toujours rien de neuf sous le soleil du suspense qui déploie ses ressorts de manière convenue, de son prologue qui voit son évasion très Halloween de l’hôpital dans lequel elle est internée jusqu’à la manière dont elle va se débarrasser des gêneurs. Mais l’intérêt est ailleurs, et plus le film avance plus il se teinte d’une étrangeté inattendue, plus encore pour une suite flairant les intentions lucratives . La première bonne idée de William Brent Bell (The Boy 1 & 2) est de reprendre l’actrice d’origine Isabelle Fuhrman pour incarner à nouveau Esther ou plutôt Leena, la fausse Esther, non pas 12 ans plus tard, mais un an avant l’intrigue d’origine. En effet Esther, les origines raconte son histoire, avant qu’elle soit cette pauvre orpheline ayant survécu à un incendie.

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A 11 ans en 2009 elle incarnait une adulte déguisée en enfant ; en 2022 elle a désormais quasiment l’âge de son personnage ! Et l’actrice étant nullement atteinte de nanisme, William Brent Bell préfère aux techniques digitales de deaging, les trucs du cinéma à l’ancienne : astuces de focales et doublures de petites filles. Ce qui s’avère extrêmement convaincant.  Il va en quelque sorte inverser les subterfuges par rapport au premier volet, la déguisant en petite fille modèle, sur un principe finalement ici plus proche de Baby Jane, puisque nous connaissons désormais sa vraie nature. Il met ainsi des situations réellement troublantes et malsaines, lorsqu’on la sent tomber amoureuse de son « père adoptif », une femme tentant de trouver l’amour dans les bras d’un  homme la voyant comme sa petite fille. Le film aurait pu pousser encore plus loin cette imagerie « incestueuse » déstabilisante  et ne fait qu’effleurer que s’en tenir aux prémisses du trouble,  empêchant de décoller le film de l’autre côté de la frontière.

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Esther 2 a également l’excellente idée d’effectuer un tournant dès son premier tiers. Le vernis de cette famille bourgeoise s’écaille vite : le père est bien le seul à croire que sa petite Esther est en vie : car le fils l’a accidentellement tué et à caché le cadavre à l’aide de sa mère. Dès lors, Esther les origines change de registre et de ton, en mettant en scène une lutte clandestine – car à l’insu du père – entre deux formes de psychopathologie et donc en passant s’oppose finalement assez spontanément à l’état d’esprit du film de d’origine en suscitant chez le spectateur de l’empathie pour Leena. Car comme on le sait, désormais entre la décadence meurtrière des privilégiés et l’abîme du freaks, le choix n’est plus à faire. Il s’agit certes d’un  d’un nouveau poncif que cette empathie pour l’assassin asocial, « autre », et Esther n’échappe pas à ça, d’autant qu’au delà de sa folie, c’est aussi une femme amoureuse.

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Dans cette lutte entre les protagonistes, le spectateur s’il ne doute pas que Leena s’en sortira, reste à ses côtés, presque complice de ses actions.  Et lors du final qui renoue avec l’héritage gothique – maison en flamme, apocalypse nocturne sur un toit – lorsqu’elle se débarrasse de ses ennemis, que le sang gicle sur elle, c’est paradoxalement une la figure de l’innocence tachée qu’illustre le cinéaste, comme s’il décidait in fine de l’immobiliser dans cet âge, entre ange de la mort et enfance. Esther 2 a beau être objet assez mineur, il reste astucieux et assez passionnant dans ces effets de déstabilisation permanents, dans un jeu sur la réalité et son double ténébreux, qui excellera dans son très beau générique final. Si la photo de Karim Hussein est assez inégale, elle expérimente en opérant un travail progressif particulièrement intéressant de recours à la couleur, outrageusement ouatée, presque effacée d’abord, puis récupérant graduellement son contraste, comme si elle épousait le parcours de son personnage, qui désormais peut prendre chair en tant que monstre cinématographique.

Peu de suppléments vidéos accompagnent cette édition, mais en revanche le livret orchestré par Nicolas Rioult est particulièrement intéressant. On sent bien qu’il a eu un coup de foudre avec Esther 2, qu’il range aux côtés des passionnantes suites maudites telles le Psycho II de Richard Franklin et quelques autres. Si on peut juger son enthousiasme un brin disproportionné, il n’en défend pas moins brillamment le film, et offre une analyse éclairée, offrant offrant des pistes très pertinentes. Les entretiens qu’il mène ensuite avec le réalisateur William Brent Bell, le chef op Karim Hussein et l’illustrateur Zsombo Huszka contribuent à la mise en valeur d’un film nettement moins anodin que ne le laissait présager le projet et qui malgré ses imperfections demeure tout à fait recommandable.

 

DVD, Blu-Ray et UHD disponibles chez Metropolitan Films

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