Sauro Scavolini – « Amour et mort dans le jardin de Dieu »

Comment aborder un tel film réalisé au milieu des années 70 qui n’appartient pas au genre auquel il est sensé souscrire, le giallo? Ou alors pour des raisons plus sous-terraines et esthétiques.

Amour et mort dans le jardin de Dieu s’ouvre par un plan séquence subjectif dans le jardin bucolique d’une vaste demeure. Une jeune femme s’introduit dans les lieux, déambulant  de pièce en pièce comme si elle découvrait pour la première fois l’endroit. Un plan furtif nous montre une femme nue ensanglantée dans une baignoire. Est-ce une  image mentale d’un fait récent ou une hallucination d’un esprit dérangé?   Cette vision inquiétante et fétichiste attise le regard et donne envie d’en savoir davantage, participant à l’habileté d’un scénario finement écrit.

Le générique débute sur fond de musique néo classique, composition pleine de douceur, qui n’annonce pas vraiment la morbidité d’une histoire malaisante.

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Un changement de point de vue s’opère: La jeune femme blonde du prologue disparaît (pour mieux revenir plus tard). Un homme d’un certain âge visite les lieux guidés par le gardien, censé entretenir la villa, située près de la petite ville de Spoleto.  Cet ornithologue allemand s’y rend pour des travaux d’étude.  La propriété jonchée d’un parc immense est abandonnée depuis des années. Par un de ses curieux hasard de la vie, ou de scénario, en allant observer les oiseaux, il découvre des bandes magnétiques enfouies derrière les buissons.  Il décide de les écouter et entre ainsi dans l’intimité d’Azzura, se confiant à son psychiatre. Le récit d’Azzura, jeune femme animée par une sexualité débridée, pour ne pas dire déviante, ravive un passé tortueux à la surface. Un passé qui va s’intégrer au présent et mettre en danger l’ornithologue.

La première étrangeté de ce film hors norme tient à sa construction et à son ton décalé, très éloignés du cinéma bis italien standard. Le jeu distancié,  légèrement décalé, peu aidé c’est vrai par le doublage italien de Franz Von Trueberg,  laisse perplexe. Ses échanges avec un gardien un peu louche, ne suscite pas l’adhésion. Une impression de flottement imprègne une narration engourdie. Patience, patience… Le film avance à son rythme, discrètement languissant, distillant les éléments de l’intrigue au compte goutte et sans soucis de linéarité. Au spectateur le loisir de reconstituer le puzzle. La structure complexe du récit liée au dispositif initial, emboîtant plusieurs strates temporels (l’ornithologue qui écoute le récit d’Azzura racontant son histoire personnelle) ,  déstabilise au départ par son aspect fragmenté, ses brusques changements de tons, ses allers-retours entre présent et passé, mais finit par fasciner ne serait-ce que pour les thèmes déviants  abordés. Faux giallo à l’instar de Je suis vivant ou Le orme,  Amour et mort dans le jardin des Dieux s’avère davantage un psycho drame sulfureux sur fond d’inceste et de meurtre, lesté d’un soupçon d’érotisme,  empruntant occasionnellement les codes usités du cinéma d’exploitation. Le scénario ménage de nombreuses surprises grâce à sa construction en forme de poupées russes, insérant de nombreux flash-back. Il s’attarde aussi à décrire la psychologie tourmentée  de personnages qui ont tous une part d’ombre dans ce jeu du chat et de la souris tour à tour hypnotique et éprouvant.

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Scénariste de quelques classiques du giallo comme La queue du scorpion et Toutes les couleurs du vice de Sergio Martino, Sauro Scavolini n’a pas choisi la facilité pour son premier long métrage ambitieux, se frayant un chemin du côté du cinéma d’auteur. La forme elle-même surprend. Le décor luxuriant et apaisé devient le terrain d’exploration  d’une histoire morbide teintée de perversité, rendue inquiétante grâce à la mise en scène inspirée et souvent audacieuse,  proche de certains travaux expérimentaux de l’époque. Les effets de montages syncopés surprenant au sein d’un rythme général assez lent, la caméra très mobile parfois volontairement tremblante signifiant un malaise, les décadrages constants soulignent la réussite d’un film qui doit beaucoup au travail de chef opérateur Romane Scavolini, frère de Sauro et réalisateur la même année du tout aussi singulier  Exorcisme tragique. Il compose, surtout dans les intérieurs nuits, de très beaux plans picturaux, proche du cinéma gothique par l’utilisation des sources de lumière contrastées. Des plans qui tranchent avec d’autres, frappant par leur réalisme cru, voir glauque, à l’image des meurtres filmés salement, sans effets complaisants. Cette recherche stylistique s’accompagne également d’un travail étonnant sur le son, très rare au sein du cinéma d’exploitation italien, bâclant volontiers cette partie par des post synchronisations approximatives.

Les dialogues, souvent en voix-off,  surlignent parfois inutilement les comportements dérangés des personnages par des tirades littéraires naïves  mais le film est suffisamment ponctué de séquences insolites pour susciter l’adhésion:  à l’instar d’une scène de rêve  proche du surréalisme filmée caméra à l’épaule dans un style baroque et hystérique conjuguant à la fois Luis Buñuel et le psychédélisme en vogue.

Sous ses oripeaux de drame bourgeois conservateur, délivrant  une morale puritaine se terminant dans un bain de sang, Amour et mort dans le jardin des dieux,  se transforme par ses audaces stylistiques, ses brusques incursions surnaturelles,  en un trip audacieux, un chant funèbre célébrant la rencontre entre l’amour et la mort indiqué par le (très beau) titre original.

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Ce curieux  thriller freudien, lancinant et introspectif, où l’on reste parfois désorienté par la cohérence des points de vue et un dénouement bancal, doit également sa réussite à la présence des comédiens, dont certains révèlent  des talents insoupçonnés, à commencer par Peter Dee Lawrence, connu pour ses rôles monolithiques dans les westerns. Il  parvient à faire passer une fêlure à travers son regard angélique. A ses côté, Erika Blanc et Orchidea De Santis, ne sont pas seulement de belles plantes érotisées mais existent à l’écran.

Le combo DVD/BLU-RAY  édité par le chat qui fume propose une copie splendide rendant justice à la beauté de la photographie de Romano Scavolini. La définition

Le film est accompagné de deux interviews réalisées pour l’occasion de la sortie, des actrices Erika Blanc et Orchidea De Santis qui reviennent sur leur carrière respectives livrant au passage des anecdotes sur le tournage du film.

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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