Après des années de succès au service des studios, Richard Fleischer connaît un douloureux revers avec la sortie en 1975 de Mandingo, qu’il considérait pourtant comme son meilleur film. Très réussi, le film est jugé trop violent, trop radical, simplement en avance sur son temps diront certains. Le cinéaste encaisse difficilement cet échec et tente de se refaire en acceptant de tourner un biopic sur Sarah Bernhardt intitulé The Incredible Sarah dès l’année suivante. Il faudra attendre 77 pour que les producteurs Ilyan Salkind et Pierre Spengler, alors auréolés du carton du diptyque des Trois mousquetaires réalisé par Richard Lester, lui proposent un nouveau projet d’envergure. Adapté d’une nouvelle de Mark Twain, à l’origine de nombreuses transpositions (par les studios Disney ou John Landis avec Un fauteuil pour deux), Le Prince et le pauvre prend place à Londres, sous le règne des Tudors, au XVIe siècle. Le jeune prince Edouard VI échange, par jeu, ses vêtements avec un mendiant qui lui ressemble trait pour trait. S’ensuivent de nombreuses péripéties et la découverte pour l’un et l’autre, d’un univers qu’ils ne connaissent pas. Déjà derrière l’édition en Blu-Ray du western choc de Fleischer, Studiocanal et Make My Day ! proposent désormais ce long-métrage mal-aimé lors de sa sortie, dans une copie HD.

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Pur produit de studio visant à surfer sur le succès des aventures de D’Artagnan, le film réunit tous les ingrédients qui ont fait le succès de ces dernières. Un casting all stars, composé de certains fidèles de Fleischer tels que George C. Scott (Les Flics ne dorment pas la nuit), Ernest Borgnine (Les Inconnus dans la ville), Raquel Welsh (Le Voyage fantastique), ou encore Charlton Heston (Soleil vert). Dans une période qui voit l’émergence du blockbuster et le crépuscule du Nouvel Hollywood, le film fait pourtant office d’anomalie. La réception désastreuse de ce projet qualifié par Olivier Assayas dans son entretien présent en bonus d’anachronique voire d’archaïque, était inévitable tant le cinéaste a en ligne de mire les classiques du genre des années 30 et 40. Nul combat spatial ou requin mangeur d’hommes ici, mais simplement le plaisir enfantin de duels à l’épée et de bons mots échangés dans une déférence pas si éloignée de celle de Spielberg et Lucas sur leurs Indiana Jones. S’il s’amuse du défi technique inhérent à la représentation du double à l’écran, le metteur en scène semble plus intéressé par une simple séquence muette où le héros observe les passants afin de déceler ceux qu’il est judicieux de voler, à grand renfort d’inserts sur leurs signes extérieurs de richesse. Car malgré son ouverture en forme de conte de fées, ce Crossed Swords tend à se détacher de son postulat de divertissement populaire enlevé. Le faste des costumes et des décors, mis en valeurs par la photo de Jack Cardiff (Le Narcisse noir), ou la BO grandiloquente de Maurice Jarre, ne trompent personne. Richard Fleischer nourrit secrètement d’autres ambitions.

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Véritable handicap pour le long-métrage, les sosies sont interprétés par le calamiteux Mark Lester (homonyme du réalisateur de Commando) qui, à la suite de cette prestation, disparaîtra des radars des décennies durant, jusqu’à une apparition dans un court-métrage en 2011. Peu intéressé par le fade comédien, dont le rôle a pourtant été vieilli afin de lui correspondre, le réalisateur jette son dévolu sur ses seconds couteaux, tous excellents. De George C. Scott cabotinant comme un beau diable en roi des voleurs (avant de se plonger dans la sobriété de Hardcore et The Changeling), à Charlton Heston, impérial en tyran fatigué, tous sont évidemment excellents et constituent le point fort du film. Néanmoins, un Oliver Reed ultra charismatique domine ce casting et se place au centre de toutes les attentions du metteur en scène. Assayas, assistant sur le tournage, décrit d’ailleurs la relation houleuse entre les deux hommes à grand renfort d’anecdotes, comme la fois où l’acteur fut arrêté après s’être battu avec un douanier. Son personnage de Miles injecte à l’ensemble une brutalité inattendue renvoyant aux obsessions de Fleischer. Les longs combats sont filmés caméra à l’épaule, évoquant par moments des duels de western où les personnalités de chacun (dont le jeune prince) se révèlent dans l’action. Une approche rugueuse du genre qui s’éloigne du traitement plus pop des Trois mousquetaires (dans lesquels Heston, Welsh et Reed apparaissaient) et le rapproche d’une forme beaucoup plus moderne et nerveuse. Une violence qui rejoint le point central du récit : la lutte des classes déguisée en fable.

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Selon l’essayiste Nicolas Tellop, Richard Fleischer lui-même ne se considérait pas comme un auteur. Jamais à l’initiative des projets qu’il mit en scène, son but était de « sauver les films qui sans lui ne pourraient pas se monter ». Un faiseur talentueux prompt à mettre son savoir-faire et sa réputation au service de majors. Une autocritique un brin réductrice qui ne rend pas justice à celui qui signa des classiques dans des genres aussi différents que la SF (Soleil vert), le polar (Les Flics ne dorment pas la nuit) ou l’aventure (Les Vikings). Reprenant un script initialement proposé à George Cukor, il s’empare du Prince et le pauvre afin de traiter l’une de ses thématiques principales (au centre notamment de L’Étrangleur de Boston), celle de la dualité, de l’altérité, comme le souligne Tellop. Ici, tout le monde se fait passer pour quelqu’un d’autre : un mendiant revêt le costume d’une tête couronnée, un roi autoritaire joue les bienfaiteurs doux et compréhensif. Plus encore que ce jeu de faux-semblants, c’est les tractations politiques et les mensonges qui en découlent qui intéressent le plus le cinéaste. Le riche découvre les réalités de son royaume en vivant la vie d’un gueux, et un pauvre hère parvient à manipuler la cour dans une scène ludique où les nobles se sentent obligés de calquer leurs manières sur les siennes. L’argent régit d’ailleurs toutes les existences, entraînant guerres et drames intimes (joli séquence de retrouvailles entre Reed et Welsh). Les mariages se font et se défont selon les intérêts financiers et le traditionnel happy end est détourné avec une certaine ironie. Les grands manipulateurs rentrent dans une carrière en politique, telle une récompense pour leurs méfaits, les jeunes princesses épousent à contrecœur de vieux aristocrates, les grands soldats finissent en épaves avinées… Tout est bien qui finit mal. S’il n’est pas une œuvre essentielle de son cinéaste, Le Prince et le pauvre mérite mieux que sa réputation tant Fleischer semble s’amuser à prendre toutes les attentes à rebours sans négliger le plaisir du spectateur.

Disponible en combo Blu-Ray / DVD chez Studiocanal.

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A propos de Jean-François DICKELI

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