Nicolas Gessner – « Quelqu’un derrière la porte » (1971)

Après la sortie l’an passé de Cold Sweat (De la part des copains) de Terrence Young, Quelqu’un derrière la porte est le deuxième film avec Charles Bronson à paraître au sein la collection Make My Day. Il s’inscrit comme son prédécesseur dans la parenthèse européenne de la carrière de l’acteur qui fera de lui une tête d’affiche sur le continent, quelques années avant de connaître la consécration aux USA, à la faveur du carton de Death Wish. Produit par le français Raymond Danon (très actifs durant les décennies 60 et 70, on lui doit des projets variés tels que Monsieur Klein, Le Sauvage, Les Choses de la vie, L’Horloger de Saint-Paul), il s’agit d’une adaptation d’un roman homonyme de Jacques Robert, dont les écrits (tendant généralement vers le polar) ont intéressé le cinéma à maintes reprises (Marie-Octobre, Le 7ème Juré, Maigret voit rouge). Scénarisé par Marc Behm (Charade), le long-métrage est réalisé par le cinéaste suisse, Nicolas Gessner (La Blonde de Pékin, La Petite fille au bout du chemin). Il est assisté d’un certain Michel Lang (futur réalisateur d’À Nous les petites Anglaises) et surtout, bénéficie de la présence de l’immense Pierre Lhomme (L’Armée des Ombres, La Maman et la putain, Cyrano de Bergerac) à la photographie. Il met en scène un face à face inattendu en opposant un Bronson, tout juste sorti du Passager de la pluie et de La Cité de la violence, à Anthony Perkins. L’acteur stratifié grâce à Psychose, vient alors d’enchaîner Catch 22 (Mike Nichols), WUSA (Stuart Rosenberg) et La Décode prodigieuse (Claude Chabrol). Il tient ici le rôle de Laurence Jeffries, un chirurgien du cerveau ayant découvert que sa femme Frances, (Jill Ireland) a un amant, Paul Damien (Henri Garcin). Il recueille chez lui un homme amnésique (Charles Bronson) et met en place un plan machiavélique. Il drogue ce dernier, un ancien violeur, et lui fait croire que Frances est sa femme afin de provoquer sa jalousie et de le monter contre Paul Damien, ainsi se venger par procuration.

(Capture d’écran DVD Quelqu’un derrière la porte © Studio Canal)

Le générique observe froidement, au moyen de gros plans des appareils médicaux et le travail des équipes du docteur Jeffries, rythmés par des battements de cœur et des sons stridents. Il annonce une atmosphère pesante, premier degré et dénuée d’humour. L’arrivée peu après d’un inconnu souffrant d’amnésie dans la clinique, ajoute à ces premières composantes une part de mystère. Qui est cet homme ? Quel est son passé ? Nicolas Gessner prend pourtant rapidement le contrepied de ces impressions initiales, délaissant l’hypothétique enquête au profit d’un autre suspens, fondé sur un jeu de manipulation entre le chirurgien et son patient. On déserte également le lieu de travail, l’action s’installe pour la suite du métrage, au domicile de Jeffries. De ce huis clos aux accents théâtraux (Jean-Baptise Thoret nous apprend en introduction qu’une seconde adaptation sous forme de pièce fut diffusée à la télévision française en 1975) confortés par la temporalité par blocs du récit, le réalisateur signe une curiosité, qui repose principalement sur deux atouts. En premier lieu, le plaisir de voir s’exercer un duo de comédiens aux tempéraments et natures diamétralement opposés, mais aussi un désir d’emmener discrètement l’ensemble vers une forme cinématographique, s’affranchir de ce qui pourrait apparaître comme un confortable dispositif. Thoret rappelle en préambule, non sans malice, qu’il s’agit du film dans lequel Charles Bronson a le plus de réplique de sa carrière, ce qui constitue presque déjà en soi un contre-emploi. Une dimension accentuée par la nature de son rôle, celui d’un individu passif et affaibli, n’ayant la plupart du temps aucune emprise sur les péripéties. Il livre une composition inégale (largement plus convaincant dans son monolithisme que ses accès de colères autrement plus expressifs, avec lesquels il semble moins à son aise), néanmoins intéressante par ce qu’elle révèle telle une évidence : sa présence maximale dans le « minimum » apparent. Cependant, la relative fébrilité de Bronson sert le personnage et contribue à crédibiliser un postulat tordu, ainsi que sa relation avec le docteur Jeffries. Anthony Perkins livre quant à lui une composition délectable, entre froideur et séduction, faisant montre d’une inquiétante aisance à manipuler son invité et échafauder son plan. Lors d’un acte final assez jouissif, dans lequel l’inconnu a totalement assimilé l’histoire que lui a fait croire le chirurgien, apparaît une lecture méta non dénuée d’intérêt. Frances, épouse de Jeffries dans le long-métrage, jouée par Jill Ireland, soit la femme de Bronson dans le civil, se retrouve au cœur d’un plan dont – contrairement au spectateur – elle ignore tous les ressorts. Le récit factice recraché par le protagoniste, se confronte alors implicitement à un autre lui réel, créant une amusante dualité.

(Capture d’écran DVD Quelqu’un derrière la porte © Studio Canal)

Quelqu’un derrière la porte, s’il peut s’apparenter à un pur film d’acteurs, bénéficie d’une mise en scène discrète et maligne, en rupture avec le caractère « statique » du scénario. Très attentif aux détails (la différence de taille entre Perkins et Bronson), Nicolas Gessner joue avec les choix de focales et la profondeur de champ, en plus de recourir fréquemment aux gros plans, lesquels lui permettent soit d’orienter l’attention sur un point précis (les griffures sur le corps de l’inconnu par exemple) soit à démultiplier les perspectives visuelles à l’intérieur d’un cadre qui n’évolue que peu. Usant habilement des différents recoins et accessoires, on note, entre autres, un travail continu sur les miroirs et les reflets, tel un moyen de révéler aux personnages leur part d’ombre et de contradiction. Cette approche précise (néanmoins un peu plus « aérée » que ce que laisse présager le générique chirurgical) tend à « effacer » le décor, le faire oublier, afin d’offrir un maximum d’espace aux comédiens mais aussi parvenir à le réinventer par à coups, générer surprises et imprévisibilité. Long-métrage à la fois curieux et mineur, il constitue en définitive un petit plaisir de cinéma non négligeable et tout à fait appréciable en tant que tel. L’édition s’accompagne principalement d’un gros supplément, le film revu par son réalisateur. Il évoque les changements opérés par rapport au roman adapté, Jeffries y était par exemple écrivain. Il revient sur ce qu’il estimait être le meilleur choix possible pour le rôle du docteur Jeffries, Robert Shaw (Bons baisers de Russie, L’Arnaque, Les Dents de la mer) tout en révélant s’être heurté au refus réciproque de ce dernier et Charles Bronson à jouer ensemble. Shaw résumant, non sans condescendance, Bronson à l’image d’un banal héros de westerns spaghettis. Il parle également de tensions vives avec le syndicat anglais (il s’agit d’une coproduction), s’opposant à un casting principal américain, avant d’expliciter plusieurs de ses partis-pris formels et narratifs, extraits à l’appui, à la manière d’un commentaire audio. Un document suffisamment dense pour se suffire à lui-même, auquel s’ajoutent la bande-annonce originale et la présentation de Jean-Baptiste Thoret précédemment évoquée.

(Capture d’écran DVD Quelqu’un derrière la porte © Studio Canal)

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A propos de Vincent Nicolet

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