Actuellement en salles.

Après avoir évoqué Double destinée (1946) et La Déesse agenouillée (1947), nous nous proposons de présenter ici Mains criminelles. Les trois films, aux scénarios desquels a travaillé José Revueltas, se ressemblent par bien des aspects (1). Il est intéressant de repérer chez cet écrivain et co-scénariste, et chez le metteur en scène Roberto Gavaldón que nous sommes en train de découvrir, des jeux de correspondances, des obsessions signifiantes, des tics narratifs et visuels.
Il y a donc, bien sûr, des assassinats en cette œuvre aussi noire que les deux autres, si ce n’est plus. Et l’un des moyens utilisés pour éliminer les victimes est le poison. À petites doses afin que la cause des décès ne soit pas facilement détectable. Dans Double destinée, il s’agissait d’arsenic, et, dans La Déesse agenouillée, de cyanure. Dans Mains criminelles, la nature du produit toxique n’est pas précisée. Le poison est symboliquement le mal qui gangrène sourdement la société mexicaine, les membres des classes les plus aisées exploitant criminellement autrui, étant la cause de la misère de nombre de leurs concitoyens, et certains, parmi ceux-ci, jalousant, convoitant non moins criminellement leurs privilèges.

L’empoisonneuse est Ada Romano. Elle a tué son mari avec l’aide du neveu de celui-ci, León, et va toucher la part léonine de l’héritage.

Le héros du film est un chiromancien nommé Jaime Karin. Un charlatan qui impressionne et manipule ses clientes à partir des informations plus ou moins confidentielles qu’elles fournissent à son amante et complice, Clara Stein, laquelle est esthéticienne dans un salon de beauté. Maria, la jumelle pauvre de Double destinée, travaillait aussi dans un salon de beauté.
Clara et Maria sont des employées au service d’hommes et de femmes qui ont les moyens financiers de faire couvrir d’une belle couche de vernis la réalité peu reluisante de leur physique et de leur comportement.

Karin fait chanter Ada. Mais il tombe sous son charme. Et ce, au grand dam de Clara qui, délaissée, en viendra à se suicider. Comme Raquel, la déesse agenouillée, Ada est une femme fatale. Karin sent clairement la force destructrice qui coule dans ses veines. Il la compare à une cascade – les deux personnages se promènent à un moment du récit à proximité de chutes d’eau. Et il sent que leurs destins sont liés et qu’ils pourraient plonger ensemble dans l’abîme. Il le désire autant qu’il le craint.

Pour Ada, Karin va tuer. Il va la débarrasser et se débarrasser de León.
Au moment où il est confronté à des inspecteurs de police qui lui posent des questions ne concernant pourtant pas León, Karin panique. Il se dénonce et dénonce Ada.

Karin n’est pas un personnage entièrement négatif. Il est égocentrique, hâbleur, ambitieux, téméraire. Le risque le grise manifestement. Mais tout ne lui réussit pas toujours. Et, s’il est un manipulateur, un combinard, il n’est pas un criminel dans l’âme. Il y a même quelque chose de bon et de pur en lui, un substrat positif que Clara qui a du sens moral et une capacité à aimer sincèrement a senti. C’est Arturo de Córdova, l’acteur qui campait Antonio-le-tourmenté dans La Déesse agenouillée, qui joue Karin.
Le soir, lorsqu’il quitte son cabinet, le voyant a l’habitude d’échanger quelques mots avec une pauvre marchande de journaux. Une marchande de journaux qui est analphabète ! Il lui lit les lettres que lui envoie son fils qui est loin d’elle. Un jour, Karin se sent obligé de lui mentir tout à fait pieusement sur cet enfant, pour ne pas la désespérer, pour la réconforter, et il la remercie explicitement de lui permettre de le faire.

Le sentiment de culpabilité, cette instance judiciaire interne au Sujet qui devance la Police et la Justice institutionnelle, l’aide aussi en son travail, submerge Karin. Il est, du point de vue de la part gredine du protagoniste, des hors-la-loi qui sévissent dans Mains criminelles, un « saboteur » – pour reprendre un terme employé par William R. D. Fairbairn, psychiatre et psychanalyste écossais qui a travaillé sur le Surmoi.
En regardant avec stupeur et horreur ses mains, lors de son passage au commissariat de police, Karin prend la dimension tragique d’un Macbeth. On imagine aussi qu’il en regarde les creux. Ceux dans lesquels il n’a pas réussi à lire, ou dont les lignes ont changé. À noter, de ce point de vue, que la traduction du titre original, En la palma de tu mano, est Dans la paume de ta main.

Mains criminelles est un film macabre, parfois glacial. On retiendra tout particulièrement la scène finale durant laquelle Karin doit reconnaître le corps de la malheureuse Carla. Le travail du décorateur Francisco Marco Chillet et celui du directeur de la photographie, Alex Philipps – qui avait déjà fait des merveilles dans Double destinée – sont remarquables. La morgue est un puits abyssal dans lequel doit plonger Karin pour constater la plus désastreuse conséquence de ses méfaits. En l’occurrence, la mort de Clara. Clara dont il n’échappera peut-être pas au spectateur que le patronyme est d’origine hébraïque. Il est d’ailleurs raconté, dans le cours du récit, qu’elle a vécu en Europe (2)

En 1952, film a obtenu huit des récompenses décernées par l’Académie mexicaine des arts et des sciences cinématographiques. Huit « Ariels », dont ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur acteur, de la meilleure photographie, du meilleur décor.

Notes :

1) Pour le scénario de Mains criminelles, José Revueltas et Roberto Gavaldón ont adapté un sujet imaginé par l’écrivain mexicain Luis Spota (1925-1985).
2)
Dans Mains criminelles, plusieurs références à l’Histoire, passée et présente, sont faites : la Seconde Guerre mondiale, la bombe atomique, la Guerre de Corée…

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