Mike Flanagan – « The Mirror » (Oculus)

Alice (Lewis Carroll ), Prince of Darkness  (John Carpenter)Le miroir ovale (Edgar Allan Poe), From Beyond the Grave (Kevin Connor), Le miroir obscène (Jess Franco), Blanche Neige (Les Frères Grimm), Candyman (Bernard Rose), Donnie Darko (Richard Kelly), Le livre de Monelle (Marcel Schwob), l’épisode The Mirror dans The Twilight Zone (Rod Serling)Dresser la liste des miroirs magiques et maléfiques qui émaillent la littérature et le cinéma s’étend à l’infini. Réceptacle symbolique, il étouffe les certitudes en ouvrant à d’autres réalités que son fidèle reflet, conduit au vertige de son propre destin, à travers visions prémonitoires ou sombres tragédies du passé. Motif récurrent de l’Art fantastique, il s’est hélas réduit au cinéma au fil des années à un accessoire stéréotypé pour séquence à faire peur. On ne compte plus les films de fantômes et de présences démoniaques comprenant leur scène de miroir, la porte de l’armoire à pharmacie qui se referme pour faire converger le regard vers celui d’un spectre malveillant, les mains qui surgissent de l’objet pour vous étrangler…

A priori, l’histoire d’Oculus (retitré The Mirror pour la sortie DVD) ne laisse pas présager des trésors d’originalité.  Tim, sort de l’asile psychiatrique, dix ans après avoir été accusé du meurtre de ses parents. Alors qu’il veut faire table rase du passé, Kaylie, sa sœur, le recueille avec le désir de démontrer l’innocence de son frère. En effet, elle a réussi à s’emparer du miroir qui était dans la maison à l’époque, et persuadée qu’il est la cause du drame, l’a installé chez elle, bien déterminée à déjouer tous ses maléfices et à le détruire… Si de prime abord le film de Mike Flanagan ne déteint pas de bons nombres de productions horrifiques, le cinéaste évite pourtant soigneusement de plonger dans le cliché. Conscient de cet héritage cinématographique et littéraire, il en connaît les écueils et opère dans la continuité et la variation, plus porté par la psychologie que le jump scare.

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De fait, en ne jouant jamais la carte de l’épouvante à tout prix, il déjoue l’attente du sursaut au risque de la décevoir. Le cinéaste s’intéresse moins à une connivence avec le spectateur qui connaît les codes du genre qu’à toucher plus intimement à son processus de croyance et d’adhésion en intégrant la peur à une forme de normalité, dans la durée. Quand survient-elle, au juste ? L’angoisse est donc d’autant plus efficace qu’elle s’installe discrètement, semant le  doute et insinuant la possibilité de l’autosuggestion. Sur le sillage du Ti West d’Inkeepers, Oculus adopte un rythme qui prend son temps, inscrit le surnaturel comme un champ d’expérience et de démonstration de son existence. Il devient un élément qui investit le quotidien au point de l’avaler progressivement. Le champ métaphorique qu’ouvre le thème du miroir est infini. Le miroir est par essence un espace de dualité qui offre à Kaylie et Tim la possibilité d’observer cet autre eux-mêmes, et de se pencher sur leurs traumatismes. Pourtant symptomatique d’un monde matériel et palpable, il entrouvre le réel sur l’imaginaire, brèche vers le visionnaire et la folie. Et l’identité s’effrite, la certitude d’être soi-même se fissure, confondant schizophrénie et fantômes.

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En suivant ses héros dans leur parcours, leur expérience, leur quête plutôt que d’enfiler les clichés et les effets spéciaux numériques, Mike Flanagan maintient cette ambiguïté. L’heure est à la découverte, à l’inquiétude insidieuse. Jouer constamment sur le questionnement du sens permet à Oculus de s’attarder sur les fractures adolescentes et à leurs terreurs, à la crainte de la perte d’esprit. Le fantastique met en évidence la dislocation familiale, offrant en conséquence les « délices » de la double interprétation. Le trouble du personnage face à l’épouvante de l’inexplicable pourrait être aussi l’autre nom donné à la névrose et la dépression, oui, le miroir des abîmes du moi. A la faveur d’un jeu d’enfant, Kaylie entreverra de manière furtive à travers la fenêtre son père accompagnée d’une femme. Et nous ne saurons jamais si elle était sa maîtresse ou une chimère sortie du miroir.

Le choix d’opérer un va-et-vient entre passé et présent s’avère particulièrement judicieux, permettant à la fois de reconstituer les pièces du puzzle, et de fusionner les strates temporelles jusqu’à parfois les confondre en une jolie perte des repères, avec un certain sens du vertige. Le miroir brouille les repères, modifie la perception, entraine les protagonistes dans une spirale infernale, les rendant incapables de distinguer la vérité du mirage. Cette confusion, cette tromperie des sortilèges et des égarements inspire à Mike Flanagan parmi les plus belles et les plus impressionnantes séquences d’Oculus. Les fantômes du passé s’entremêlent avec les spectres du présent, comme pour mieux figurer la persistance du traumatisme et la permanence du Mal.

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Comme Carpenter avec son brouillard enveloppant l’intrigue dans Fog, ce miroir maléfique qui sévit depuis des siècles s’impose comme un personnage à part entière – silencieux, immobile, conquérant. A l’instar de bien d’autres œuvres, il s’installe dans une demeure et l’ouvre sur un gouffre. Le miroir déplace en chaque nouveau lieu qu’il réintègre l’autre-monde auquel il sert de portail. Tel un vampire, il aspire les âmes et récupère les spectres de chaque endroit qu’il investit pour en faire sa nécropole. Un long piège se referme sur des héros qui ne mesurent pas l’ampleur du Mal – séculaire – auxquels ils sont confrontés. Usant d’une logique aussi imparable que cruelle, le réalisateur ne cède pas au Deus ex machina. Il déjoue les artifices de l’héroïsme et de la fiction  en privilégiant la vraisemblance, s’interrogeant sur quelles seraient les conséquences crédibles d’une si dangereuse expérience.

Il manque peut-être à Oculus une identité visuelle plus prononcée, une mise en scène plus inventive et nerveuse pour être pleinement convaincant. Son approche et ses partis pris n’en méritent pas moins d’être soulignés, comme les plus intéressants que le cinéma fantastique nous ait offert récemment. Oculus exploite avec une certaine originalité un thème rebattu, échappe agilement aux conventions et s’intéresse avec subtilité à cette allégorie d’un reflet si digne de confiance qu’il conduit au vertige de l’inconnu. Le palpable devient impalpable. Le matériel ouvre sur l’immatériel.

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Le transfert traduit à merveille la froideur qui traverse la photo d’Oculus dans ses tons marrons et verts effacés proches du sépia. Outre des scènes supplémentaires dispensables, l’entretien avec le réalisateur confirme son souci de s’éloigner des clichés de l’épouvante pour traduire une authenticité, une réalité de la peur. Aussi laborieux que peu attrayant visuellement, le court métrage Oculus est moins intéressant en tant qu’œuvre à part entière que comme étape au sein de la gestation de ce que sera Oculus, le long métrage. On remarquera justement combien le cinéaste a su passer d’une bonne idée à l’élaboration d’un univers et de vrais personnages de chair, avec leur passé et leurs hantises.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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