The Hidden Orchestra : l’étrange laboratoire mobile du Dr Acheson ou le Fantôme de l’Opéra et son orchestre.
Boucles mélodiques d’un folklore steampunk à venir, compressions sonores avant-gardistes, nappes de brouillard de nuits méchantes et merveilleuses guettant aux vitres, la musique de Hidden Orchestra bat le rythme d’un autre temps. Une musique capable d’arrêter les pas d’un Hildesheim et Bobby Moos au bar du Site Enchanteur[1], en mouvements silencieux pour en suriner les clients, noceurs perdus d’un soir, sur les quais déserts de ce bout du nord de l’Ecosse. Parce que, musique capable d’hypnotiser dans le même cercle, l’opulence de sa proie et le désespoir de son prédateur. Enfin parce que, musique capable de saisir le cours du temps, avec la répétition d’une mélodie sortie des racines de son histoire (que l’on nomme à tort « folklore »), pour en suspendre le vol. On l’entend alors comme un apprenti sorcier regarde tourner au-dessus de sa paume la matière magique qu’il crée. La mélodie l’élargit doucement, comme pour en tirer l’ADN et faire marcher un orchestre de Golem sur ce refrain. C’est « Seven Hunters » de l’album Archipelago qui ouvre le bal ce soir-là…. :
La musique de Hidden Orchestra est une musique fantastique de légendes à venir. La terre y est toujours mouvante et la mer d’où elle est sortie, toujours le socle sur lequel tout semble reposer. Musique éminemment organique, elle agit sur son auditeur comme une nucléosynthèse primordiale, dans laquelle les éléments s’agrègent les uns aux autres pour former le corps élémentaire qui vient remplacer le nôtre, si on veut bien s’abandonner un peu.
Le 26 Janvier 2013 est une date que je n’oublierai jamais. Au Chat Noir, à Genève, j’étais venu ce soir-là, à cheval entre les deux mondes, écouter le groupe qui tournait pour Archipelago. Je ne m’attendais à rien, redoutant même la déception des groupes de studio/machines une fois sur scène. Après tout c’était quoi Hidden Orchestra ? Joe Acheson, compositeur, producteur, multi instrumentistes, géniteur du projet et conducteur de l’orchestre. Sa partenaire, Poppy Ackroyd[2], et deux batteurs, Tim Lane et Jamie Graham[3]. Je me demandais ce que deux batteurs allaient pouvoir apporter à une musique que je pensais plus pauvre en live qu’en album studio. La petite salle, son atmosphère, et le groupe firent voler en éclats toutes mes réticences. Un concert en apesanteur complète, dans laquelle la réalité, la plus dure soit elle[4], trouve une porte d’entrée vers l’autre monde, celui de l’infiniment plus grand.
Deux albums, Night Flight et Archipelago[5], des mixtapes parmi ce qui se fait de mieux en la matière (à mes yeux, Flight Mixtape est comme un chef d’œuvre du genre).
On y retrouvera à 17’45 un superbe hommage au morceau étendard du légendaire groupe de Hip Hop Pharcyde : Runnin’, puis la voix de Jeru Da Damaja en interlude avant une utilisation flamboyante de la musique de Dracula[6] de F.F. Coppola), à 27’35 un passage crépusculaire, Joe Acheson s’est imposé pour moi comme un des musiciens les plus inspirés et les plus créatifs de la scène des musiques actuelles. Ses simples mixtapes pourraient être étudiés comme des textes de nos meilleurs écrivains. C’est dire la fébrilité avec laquelle j’accueillais la nouvelle production du groupe.
Wingbeats, les battements d’ailes, est un album concept. Sorti le 11 Novembre 2016, cet EP propose une piste centrale de 12 minutes et 6 autres moments musicaux qui ont conduit à la création[7]. Voyage fascinant dans les arcanes d’un mélodiste de premier plan, qui n’avait pas produit d’album depuis Archipelago en 2012.
Joe Acheson à très gracieusement prit le temps de répondre aux questions que je lui envoyais, pour un voyage exclusif chez un musicien et une œuvre trop méconnue chez nous.
Vasken Koutoudjian : Peux tu nous raconter comment tu as appris la musique ?
Joe Acheson : J’ai commencé avec la flûte à l’école, puis le violon, le chant choral et enfin en jouant dans des orchestres. J’étudiais le piano, le basson, l’orgue et le chant. Je me suis mis à composer vers l’âge de dix ans. En prenant la guitare et la basse, j’ai joué dans pas mal de groupes. Je faisais aussi le Dj quand je me suis essayé à produire de la musique par ordinateur, au départ en suivant un processus « d’essais/erreurs ».
A l’université, dans le cadre d’un diplôme de musique, je me suis mis à étudier la composition classique. Cependant je dois dire que la majorité de ce que j’ai appris, je l’ai appris en étant enfant dans la chorale. D’ailleurs la musique sacrée continue d’influencer mon travail. Je continue aussi d’apprendre comment on enregistre, mixe et produit la musique. Je cherche toujours à apprendre à jouer d’un nouvel instrument (mal !).
VK : Comment définis-tu ta musique ?
JH : La musique que je fais avec Hidden Orchestra est d’une texture orchestrale sombre avec beaucoup de batteries, de basses et d’enregistrement sur le terrain. Une musique électronique faite avec des moyens acoustiques !
VK : Dans cet album tu utilises beaucoup de sons de la nature, celui des oiseaux particulièrement. Mozart disait vouloir reproduire le chant des oiseaux dans sa musique, là où d’autres ont justement séparé les sons de la nature de la musique des hommes. Et toi ?
JH : Il n’y a rien de nouveau à utiliser les sons de la nature dans la musique, on le fait depuis qu’on est capable d’enregistrer les sons en extérieur. En 1924, la BBC inaugure une longue série de diffusions très populaires d’enregistrements de duos entre la violoniste Beatrice Harrison et un rossignol de son jardin.
Je pense que presque tous les sons peuvent être musicaux. Dans mon prochain album j’utilise trois enregistrements de ventilateurs, ce qui n’est ni de la musique humaine, ni un son de la nature. A côté des oiseaux, arbres, pluie, du vent et de l’eau, j’utilise des enregistrements de machines comme les perceuses, le tuner radio, des distorsions sonores, de l’équipement cassé….Comme pour les genres, j’essaye de ne pas être trop restrictif, ni préoccupé par les classifications – tout ce qui a un ton, un rythme, une texture ou un timbre qui m’attire, peut être une musique pour moi.
VK : Dans tes mix il y a beaucoup de Hip-Hop. Quel est le lien entre cette musique et la tienne ?
JH : Adolescent, j’ai été un grand fan des instrumentaux Hip-Hop. Et j’aime encore beaucoup cette musique. Pourtant au début je ne savais rien de la culture et de ses arrière-plans. J’ai été très surpris de découvrir comment, une musique que je croyais entièrement écrite pour un morceau, était en fait ré-échantillonnée (samplée) en y ajoutant juste un beat et une ligne de basse. Je ne veux pas dire là que le ré-échantillonnage est en quelque sorte moins noble. J’ai été alors très vite intéressé par les techniques de sampling. De plus, j’adore le genre de musique que l’on peut écrire avec des boucles, ainsi que combiner différents petits fragments de sons variés pour créer quelque chose de neuf. Finalement cela a mené à mon processus d’écriture que j’ai voulu illustrer avec Wingbeats. J’écris un grand nombre de petites pièces pour soliste ou petit ensemble, entièrement afin de créer des ressources pour mes samples. De cette façon, je peux réaliser une partie de l’esthétique de la musique faite à l’aide de techniques d’échantillonnage, mais en utilisant mes propres échantillons d’origine.
VK : Qu’essayes-tu de réaliser à travers la musique ?
JH : Je pense, dans une petite mesure, à ce qu’une vie peut être utile pour essayer de participer au développement de la culture artistique. Participer à développer la conscience créative collective est une noble intention.. Si je peux apporter distraction et enrichissement à n’importe qui d’autre, alors je suis une personne des plus heureuses.
VK : Wingbeats est le nouvel album de Hidden Orchestra, comment le qualifierais-tu par rapport aux autres albums du groupe ?
JH : Techniquement parlant c’est une seule piste avec 6 faces B. Quelque chose qui veut essayer d’expliquer un peu mieux mon processus créatif justement. C’est aussi l’occasion de partager quelques-unes des sources utilisées dans leur format d’origine. La piste principale de Wingbeats sera aussi présente sur le prochain album de The Hidden Orchestra, qui sera le troisième du groupe.
VK : Comment est-ce que le groupe travaille et combien cela prend-il de temps pour faire l’enregistrement ?
JH : Le groupe live n’est pas directement concerté par le processus créatif – J’écris tous les morceaux dans mon studio, compilant un orchestre imaginaire[8], utilisant des douzaines d’extraits joués par moi-même ou d’autres musiciens, jouant des très courtes pièces, extraits et idées. Wingbeats a été écrit tout au long d’une période d’à peu près 14 ans.
VK : Qu’est-ce qu’un artiste pour toi ?
JH : C’est une question trop vaste, philosophiquement. Un artiste est n’importe qui pensant faire de l’art, et beaucoup d’autres qui ne réalisent pas qu’ils le sont. L’artisanat est à la fin aussi important que le concept.
VK : Quelle est la question que l’on ne t’a jamais posé et à laquelle tu rêverais de répondre ?
JH : Il y a des recettes de cuisine que j’adorerais partager. Cuisiner, c’est un peu comme composer de la musique…
On l’imagine, au fond d’une taverne aux portes des marches vers les océans du Nord……
Les recettes d’Acheson se dégustent à l’oreille ici : http://www.hiddenorchestra.com/
The Hidden Orchestra: the strange mobile laboratory of Dr. Acheson
[1] Lire le très beau texte de Jean Ray dans les Contes du Whisky, « Petite femme aimée au parfum de verveine » ed. La Renaissance du livre.
[2] https://www.culturopoing.com/musique/poppy-ackroyd-delicate-et-atmospherique/20170118
[3] La formation peut se trouver rejointe en cours de vol par différents musiciens
[4] Je ne dis pas ça pour faire une figure de style, comme une image, mais au pied de la lettre, j’en ai fait l’expérience…..
[5] http://www.hiddenorchestra.com/releases/
[6] À parti de 22’2( Speciale Big Up pour mon homeboy Samir Da Jaoudi)
[8] Le fameux orchestrerai caché….
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