Bon, c’est la bonne : les paquets sont emballés, le petit dernier aura droit à son coffret Scorpio et basta, et on a bouclé les valises. La SNCF vient d’annuler le train. Relax. On remplit la voiture, direction les beaux-parents, avec des enfants qui semblent perfusés au sucre et à la cocaïne. J-1, ou -2 (le gros débat : cadeaux le soir ou le lendemain ?), on souffle un coup. Tout va bien se passer. Ca finit toujours par passer…

Allez hop, dernier feu d’artifices, et si au pire vous avez tous les cadeaux de Noël, qui a déjà pu dire « oh non, j’ai eu TROP DE LIVRES ? »

Mac Barnett et Carson Ellis – L’amour, c’est quoi ? (Helium)

Attention douceur : un jeune garçon vient voir sa grand-mère, à cet âge des questions. « L’amour c’est quoi ? ». Elle ne sait répondre ou ne veut pas, et l’envoie faire un tour du monde, pour demander à chaque personne sa définition de l’amour et lui dit que, qui sait, en chemin il trouvera peut-être la sienne.

Commence alors pour notre jeune Candide une succession de rencontres, où pour le pêcheur l’amour est comme un poisson, fuyant, pour le charpentier comme une maison, qu’on étaye, travaille, pour le poète comme un poème sans fin.

Et à chaque fois, l’adulte regarde l’enfant en lui disant « Tu ne comprends pas. »

Quand tout sera fini, l’enfant rentre chez lui, chez sa grand-mère. Le jour se finit, et de manière émouvante, il dit « elle a vieilli, j’ai grandi ». Il a compris.

« L’amour c’est quoi ? » fait parti de ces petits récits de rien, dont le sens semble s’échapper sans cesse. Une fable que les dessins magnifiques de Carson Ellis, minimalistes et fait de grands aplats de gouaches, emmène vers une forme de doux irréel.

L’amour y apparaît alors non comme la succession de réponses, parfois belles, parfois absurdes, parfois touchantes, mais comme l’exploration qui mène à sa recherche, ces rencontres, ces confrontations, ces questions et ces chemins qui font grandir.

Bien sûr, tout cela finit comme dans un rêve, dans une grande parade puis le silence doux du foyer.

Mais si on peut voir cette épopée de manière littérale, on peut aussi laisser l’esprit vagabonder vers une pensée plus métaphorique : à chacun, l’amour est ce qui le tient et ce qu’il fait ce qu’il est et qu’il avance, pas à pas.

Et si alors ils répondent « tu ne comprends pas », ce n’est pas tant par mépris de l’enfant, que parce qu’on ne peut réellement l’exprimer, tant ce petit battement intime est, au fond, ce qui fait de nous des humains, debout, allants. Des vivants. (JNS)

 

Franck Bouysse et Mélodie Baschet – Ma lumière (Albin Michel Jeunesse)

Mais qui peut bien être cet enfant, narrateur de son étrange vie ? Une vie de reclus, de chambres d’hôtel en chambres d’hôtel, avec pour unique compagnie sa mère. Son héroïne, qui lui lit des livres qui l’emmènent loin, qui le protège, qui part chaque matin dans les rues dont elle ne cesse de lui répéter les dangers. Une louve, dans ce que ça a de beau et d’inquiétant.

Car il semble bizarre, ce gosse qui longe les murs, que le portier regarde avec compassion, et qui préfère rêver aux bruits du monde. Parce que sa mère lui a interdit de parler à tout le monde, même à la femme de ménage.

Spoiler : petit à petit, à tâtons voudrait-on dire pour faire une blague douteuse mais juste, le lecteur, adulte en particulier, comprend que le jeune enfant est aveugle, et que sa mère le protège, sans doute trop, et le guide. Elle est sa lumière.

S’ouvre alors, les dernières pages refermées, un très bel ouvrage ambivalent et assez fascinant, qui trouve sa force en ne retirant jamais une certaine ambiguïté des êtres et de l’humanité : certes, au regard (sorry) de sa cécité, le geste de la mère peut apparaitre comme un ultime barrage de défense, et la possibilité d’aider le jeune garçon.

Mais on ne peut se retenir (et c’est cette noirceur étrange qui est magnifique, dans un album pourtant dessiné avec une douceur colorée émouvante) de se questionner tout de même sur les limites d’un tel amour absolu : elle lui interdit de parler même à la femme de ménage, elle l’empêche de sortir, etc.

Peut-on « trop » aimer ? Peut-on, métaphoriquement, rendre aveugle à force de possession ? A-t-on le droit de retirer l’autre du monde sous le sceau de l’amour ?

Toutes ses questions et bien d’autres, rares et précieuses en littérature jeunesse ou adulte, parce que se refusant à répondre de manière binaire, font de ce livre si innocent en apparence un conte féroce, doux comme une caresse et ouvrant pourtant un abime sur l’humain et ses failles. Fort. (JNS)

 

Giorgio Volpe et Paolo Proietti, trad. Christiane Duchesne – Pas Orange – (Editions D’Eux)

Pallino semble être venu au monde entre la terre et la neige, en plein pôle arctique ou antarctique, un pôle aussi blanc que glacé. Le trouve sur sa route – signe d’une chance inuite – un ours polaire, Tomo. Tomo est blanc comme le blanc d’un oeuf dur, doux comme la caresse du vent dans les feuilles tombées, chaud comme l’eau d’une infusion bouillie à l’induction. Le papa ours fait la maman avec son petit manchot noir et blanc, noir et blanc comme un damier où se jouerait la coupe du monde parentale. Comme Tomo est gentil mais qu’il a en lui la fibre Pygmalion, il apprend la vie à Pallino, en commençant par les étoiles.

Entièrement réalisé au crayon de couleur et au crayon de papier, dans un dessin classique jusque dans ce qu’il aurait pu exprimer de singulier, « Pas orange » est un livre dans le ton du premier quart de notre siècle, qui s’applique à accueillir l’autre dans sa différence. Très doux et beau à regarder, l’album s’amorce comme le merveilleux « Le lion et l’oiseau », de Marianne Dubuc, tout en quittant vite le chemin de l’émotion lente et pure pour s’ancrer dans l’apprentissage ludique, comme par exemple articuler la couleur dans les coulisses du monde. C’est ainsi qu’on découvre l’orange, avec son élision préservée comme un trésor (aujourd’hui l’orange est dit et écrit plutôt « le orange »). Bref, l’album va bon train, pour se terminer aussi comme « Le lion et l’oiseau », mais avec, en guise de conclusion, une déclaration d’amour universel appliqué. (PV)

 

 

Ryan T. Higgins – Debout Maman ours (Albin Michel Jeunesse)

Je ne sais pas si on l’a déjà dit, mais chez culturopoing on adore Michel, la maman ours, variation grognonne des contes, où 4 petites oies sortent de leur œuf et prennent Michel, l’ours chafouin, pour leur maman, début de multiples aventures rocambolesques et extrêmement drôles.

Alors quand on a vu qu’en plus arrivait à point nommé un de ces livres jeu qui nous font faillir, on a sauté sur l’occasion.

Grand bien nous en a pris : par livre jeu, on entend moins ces livres bourrés d’énigmes et labyrinthes que des livres qui amènent le lecteur à jouer avec celui-ci, à tripoter un truc, à appuyer sur un autre. C’est le propre de pas mal de livres pour tout petits, mais il se retrouve ici développé pour les plus grands dans une variation en forme de feu d’artifice.

Ainsi, si les trois souris ne parviennent pas à réveiller Michel, il le pourra, peut-être, lui, le lecteur, dont elles prononcent le nom sans trop savoir ce que c’est. C’est le début d’une suite de péripéties qui verront exploser le quatrième mur que l’intégrité du medium livre : le titre n’est celui-ci que parce qu’une souris le gueule, et si on tapote au début le ventre de l’ursidé, très vite, il va falloir secouer le livre, le tourner… ce qui provoquera un Michel furibard s’accrochant à la jointure des deux pages !

Pauvre Michel, victime de nos petites mains et qui va prendre cher à partir de là : du classique piano qui tombe à un pyjama de lapin, d’un monocycle au-dessus de la boue à un risque de noyade, on s’amuse autant de ce sadisme très Hanna Barbera qu’on rit avec le petit convaincu (ou jouant à l’être) d’être à l’origine de chacun des sévices ou rebondissements. Bref, un chouette moment et en cette période, on ne boudera pas notre plaisir. (JNS)

 

 

Piotr Socha, Monika Utnik-Strugata, traduit par Lydia Walerryszak – C’est sale ! (La Martinière)

Voici une encyclopédie richement illustrée sur l’hygiène. Avant d’aborder frontalement cette question, on pense qu’elle est simple à cerner et qu’on peut évidemment en faire le tour en quelques pages. Eh bien non, pas du tout. L’hygiène a été le grand problème des hommes dès leur origine. Celui des égyptiens de l’antiquité comme celui des astronautes. L’histoire du savon, du maquillage, du shampoing, de la chasse d’eau, ont une histoire longue et pittoresque.

Grâce à des illustrations magnifiques, hautes en couleur et en expressivité, on découvre l’hygiène à travers les coutumes et les superstitions des hommes, de la nuit des temps à nos jours. Le livre de 220 pages est cartonné et de grande taille (24 x 32 cm), ce qui permet une exploration en famille. Le texte est rédigé comme une histoire. Il est riche d’informations précises et détaillées de manière ludique.

« Le hammam est un bain public musulman. Il se compose d’un vestiaire, d’une salle de chaleur modérée et sèche, d’une salle de chaleur forte et humide, ainsi que d’une salle de repos où la température est moins élevée. Dans la première salle, on s’acclimate aux températures élevées et, dans la deuxième, on se livre aux soins : les ablutions et les massages. »

Cet extrait représente seulement la partie générale de la description. Suivent l’aspect visuel des hammams, l’histoire de leur origine et de leur fréquentation, et bien d’autres développements sur leur existence et leur utilité.

Cette encyclopédie très bien écrite et richement illustrée est un bijou de connaissances pour les adultes et les enfants à partir de 8 ans. (PV)

 

 

Et aussi…

Agnès Mathieu-Daudé et Olivier Tallec – Dagfrid à poils (Mouche – L’école des loisirs)

Sacrée famille que celle de Dagfrid : tout un aéropage de Vikings oscillants du taiseux au ridicule, sorte de version actualisée des Pierrafeu mais avec des cornes.

Et ce matin, la famille de Dagfrid doit se préparer : il est temps de partir au mariage, dans la lointaine terre du Groenland où se marie Erik (pas le cousin, l’oncle). Entre tresses au grand frère, rasage du père, et robe mauve moche que maman s’apprête à tricoter, on plonge en plein cauchemar de jeune ado. Un cauchemar qui ne fera que se prolonger lorsqu’arrivés au Groenland, malgré les tenues traditionnelles, tout le monde finit par se mettre en slip de phoques devant le feu. La découverte de cette nouvelle culture, on l’espère, viendra réchauffer les cœurs grâce à la graisse de phoque.

Ah les départs en vacances, la bagnole qu’on charge comme on peut, les animaux de compagnie et les gosses qui râlent…Si l’ensemble du récit est un peu linéaire, on ne peut que goûter avec plaisir les manières qu’a Agnès Mathieu-Daudé de faire gonfler des scènes (la préparation au voyage) jusqu’à faire jaillir une forme d’absurde, jouant des mots ou expressions avec truculence.

Et si, dans sorte de logorrhée qui rappelle les atermoiements de la jeune Esther de Sattouf, ce décalque de quotidien permet de réactualiser les tourments d’une jeune adolescente de manière ludique, on ne peut s’empêcher de ressentir comme le déroulé de pensée et la verve de la jeune Dagfrid, qui n’a pas la langue dans sa poche, dit quelque chose, comme toujours, d’une place des femmes à conquérir, défendre ou questionner.

Le tout est relevé des dessins toujours aussi chouettes d’Olivier Tallec (que l’éditeur, chose étrange, n’a pas nettoyés, laissant apparaitre coups de crayons et bords de pages), alors ne boudons pas notre plaisir. (JNS)

 

Gaëtan Dorémus – Zarra vient de la mer (La Partie)

C’est un sujet délicat auquel s’attaque l’ouvrage de Gaëtan Dorémus : celui de l’immigration clandestine.

Un matin, Ia petite Wendy trouve le long du rivage où elle vit une grande ourse, près d’un canot. La jeune femme ignore son nom, et à peu près toute sa mémoire semble s’être envolée dans les flots.

En suivant Wendy dans le village du bord de mer où elle vit et où l’unique usine est celle d’une entreprise de poissons, la petite remarque le revers de sa robe : Zarra. Elle se nommera donc ainsi, c’est mieux que rien.

Et elle va chercher sa place, de l’usine où on ne lui donne à elle comme à ses autres naufragés que des boulots épars, et dans la « Zone », toute proche de l’usine, où quand les poissons gigantesques sont vidés, leurs immenses carcasses couvertes de bâches créent un abri précaire pour ceux que la mer a malmenés. Zarra y cherche et pleure, y vit la xénophobie discrète des gens, y mélange les mots. De ces mélanges viendront peut-être la lumière, quand Zarra se décidera, plutôt que d’en souffrir, de les peindre ?

L’histoire de Gaëtan Dorémus est, malheureusement, classique. Elle trace notre quotidien qu’on ne veut pas voir, avec ceux sous les bâches (la zone fait forcément penser à l’horreur de Calais). On regrettera bien sûr qu’il ne parvienne pas vraiment à transcender son horizon premier, restant dans ce parcours « frontal » de ce qu’on imagine celui d’un refugié.

Il faut pourtant plonger doucement dans cet étrange récit, aux dessins anxieux, tout en ton de gris qu’une couleur glauque vient éclairer. Parce que c’est dans ce drôle de dessin triste que se loge l’émotion, et l’inquiétude, que viennent redoubler un univers d’une cohérence implacable malgré sa simplicité (l’usine de poissons, les déchets, les rebuts et le luxe). (JNS)

 

Azadeh Westergaard et Julia Sarda – Electrique, La vie survoltée de Nikola Tesla (Les éditions des Eléphants)

Joli pari que celui de ce duo : conter, pour les enfants, la vie du plus grand inventeur inconnu ou presque de la planète. L’homme qui, des confins de la Serbie aux beautés du Nouveau Monde, réussit à révolutionner notre planète en illuminant la terre, avant que les appétits des grands voraces (Edison y compris) ne viennent dévorer ce grand rêveur, amoureux de la Nature, et qui finira mort oublié ou presque dans une chambre du New Yorker, entouré des pigeons qu’il nourrissait par milliers.

La belle idée, c’est de conter cette épopée justement comme un véritable conte classique, aussi bien dans la narration, enlevée et rêveuse (près d’un tiers du récit sur sa déchéance poétique avec les pigeons), que dans les illustrations, superbes et volontairement surannées, qui empruntent aussi bien à la bande dessinée, au manga, qu’à une certaine forme de miniature orthodoxe.
Parce qu’au fond, ce que nous transmet le récit de cette vie, c’est cette ode au rêve, cette apogée impossible des rêveurs, que le monde réel viendra bien vite diminuer. Celle de cet homme vieilli qui préféra déchirer un contrat plutôt que ruiner un ami (provoquant de ce fait sa propre ruine), qui nourrissait les pigeons parce qu’ils le ramenaient à cet état de la pureté où il n’était qu’un « enfant de l’orage, enfant de la lumière ». Un être trop étrange pour le monde, passé dans nos existences comme un éclair, mais dont la lumière brille depuis sur nos nuits et sur les siècles. (JNS)

JOYEUX NOËL (et vivement 2023)

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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