Et déjà deuxième jour, et plus que quelques paires d’heures avant la grande célébration au chapon de l’inflation. Ah qu’il va être doux de coucher les enfants, des étoiles plein les yeux, puis jouer dans le froid polaire d’un appartement à 19 degrés, ou plus possiblement à 23 parce que mince, est-ce que le gouvernement donne l’exemple lui, et combien ça coûte quand ils voyagent en jet, et puis Raoult il avait raison quand il… STOP. Plongeons dans l’enfance avant que Tatie et Tonton ne fassent une syncope de fake news. Ou de calva, on sait plus trop.

 

Simon Priem et Stéphane Poulin – Les lapins peintres (Sarbacane)

Lapin peintre jour et lapin peintre nuit vivent au bord d’un étang. Si lapin peintre jour adore peindre les ondulations de la lumière, les reflets du soleil et du bleu du ciel sur l’eau, lapin peintre nuit adore observer chaque fois comme le noir du monde est différent et le peindre sur l’onde. Et au crépuscule ou à l’aube ? Eh bien ils effacent tout ensemble et se passent le pinceau.

Mais un jour, un gros nuage noir vient obscurcir le reflet, arrêtant brusquement le temps. Ni une ni deux, ils enfourchent ensemble leur drôle de bicyclette montgolfière au pédalier à l’envers et remontant le temps, partent voir de quoi il en retourne.

On est tout d’abord plongé dans une drôle et subtile ambiance, quand s’ouvre le récit de Simon Priem et Stéphane Poulin : celui d’une nostalgie étrange qui nous ramène par échos à nos souvenirs de gamin, quelque part entre nos lectures de la bibliothèque verte, les aventures de Pierre Lapin, et une forme délassée de fantaisie à la Alice.

Ces trois référents, tout à la fois surannés et quelque peu surréalistes, seront la clef de voûte de cette drôle de fable, qui verra nos deux compères aller jusqu’au bord du monde, là où tout est gris, pour repeindre un peu de soleil et de lumière.

On plonge alors avec délice dans ce récit (quoique trop court, et au climax un peu vite expédié) rassérénant, ne relâchant jamais son étonnante douceur poétique, transforme cette quête de l’espoir (la morale de l’histoire serait qu’ensemble, on peut tout réparer et créer l’espérance), en une caresse bucolique et tendre, fluffy comme un lapin, apaisante comme l’onde d’un étang. (JNS)

 

 

 

Geneviève Casterman – L’anniversaire d’Ecureuil  (CotCotCot éditions)

Ecureuil est un écureuil heureux : c’est son anniversaire. Il est content dès son réveil. Pourtant, il se réveille seul, sans le moindre cadeau au pied de son lit. Il sort, il est seul, absolument seul, mais il est heureux. Si heureux que tout est émerveillement et joie de vivre. Il est seul pour fêter l’événement de sa naissance, mais ce n’est pas grave du tout. Sa petite personne est aux petits soins d’elle-même. Tout ce qu’Ecureuil voit est un prétexte pour saluer l’événement de sa naissance. Des cailloux aux pommes de pin en passant par son propre reflet dans la rivière, tout est sublimé par l’intention et par l’imaginaire d’Écureuil.

Entièrement réalisé au crayon de papier, sans ajout d’aucune couleur, dans un petit livre carré beau et doux – on peut dire que L’anniversaire d’Ecureuil défend la carte du minimalisme au maximum. Le minimalisme, c’est quoi ? C’est peut-être suivre une ligne émotionnelle sans ajouter d’artifice pour la faire vibrer. Ca pourrait s’appeler de l’art.

On se demande ce qui a pu inspirer un tel récit développé avec tant de sobriété. L’état actuel des relations sociales ? L’état du moral du monde ? La dramatisation de toute solitude ? Le consumérisme si pathologique du siècle ?

Cette délicieuse et réjouissante lecture donne des idées, invite à réviser ses propres positions sur ce qu’est la solitude et la simplicité. Tout à coup, l’envie de devenir le Robinson Crusoé de l’anniversaire prend forme. De plus, on sait que l’accomplissement du désir sera accompagné par Max s’en revenant de chez les maximonstres. De la riche matière pour apprendre à jubiler par juste l’esprit, au moins une fois par an, pour commencer. P.V.

 

 

Irène Cohen-Janca et Brice Postma Uzel – Un si petit jouet (Les éditions des Eléphants)

Elle aime sa poupée astronaute. Elle l’a appelé Leo. Léo est chouette, parce qu’elle tient dans la paume d’une main. Et c’est important.

Parce qu’avant Léo, il y avait Noki, l’ours en peluche gigantesque. Mais Noki était trop grand, trop lourd, et quand il a fallu fuir la guerre, elle s’est promise de ne plus aimer que des jouets qui tiennent dans la main. Pour pouvoir les emporter. Et un jour, elle croise Flora, qui joue avec une autre mini poupée…

C’est un conte émouvant, que nous proposent Irène Cohen-Janca et Brice Postma Uzel, une micro-fiction aussi petite que cette poupée, qui se joue de la guerre pour n’en ausculter que les traces.

Et qui, si elle est un peu tarte lors de la séquence de Noki, parvient à dire énormément des blessures d’un enfant : Flora, elle, n’a pas connu la guerre. Mais ses parents sont divorcés, et elle passe d’une maison à l’autre, donc avoir une petite poupée c’est mieux. Il y a des guerres intimes, incomparables, mais qui laissent des deuils aussi.

C’est un livre émouvant, aussi, qui par l’humilité de son format demande presque lui aussi à être transporté. Et on ne peut qu’applaudir l’approche de Brice Postma Uzel qui, par un traitement presque antédiluvien des images et de l’objet tout entier, parvient à donner un double sentiment : celui de lire un livre déjà vieux, comme nous tous, et qui nous renvoie, pourtant, à nos propres objets, notre propre jeunesse perdue. Ce n’est qu’une minuscule résonance dans le récit, bien entendu, mais cette petite note tenue est sans doute l’une des plus émouvantes. (JNS)

 

 

 

Isabelle Rimasson et Simon Hureau – Un jardin extraordinaire (Edition Motus)

Voici un livre naïf mais qui fait du bien : Nino va passer pour la première fois des vacances chez sa grand-mère, qui l’accueille avec une règle assez terrible. Pas de console ni de wifi ici. Mais grâce à la joyeuse grâce de mamie, Nino va découvrir les secrets de son jardin extraordinaire, à coup de bêches, d’observations amoureuses de la nature et de dégustation ensoleillée.

Dans ce retour à la Terre reprenant, au fond, un travail assez proche que celui de Gerda Muller dans « Comment ça pousse », on s’effraye bien sûr immédiatement de l’aspect profondément didactique d’un ensemble quelque peu suranné, quand ce n’est pas un peu basiquement vieux con (la nature contre les jeux videos…). Mais ce serait faire fi, déjà, de la beauté douce des aquarelles de Simon Hureau, à la fois simplistes et précises, à mi-chemin de la bande dessinée et du carnet de croquis.

Et si on s’étonne et on craint un peu l’aspect étonnamment délassé de l’ensemble, qui semble d’abord se chercher entre manuel de jardinage et butinage (on passe aisément des radis aux décoctions puis aux coléoptères, sans véritablement, pour paraphraser Gerda, comprendre comment ca pousse), on se laisse bizarrement emporter jusqu’à saisir, au fond, le propos de l’ensemble : bien moins qu’un manuel du jardinage (il y a Rustica pour cela), « Un Jardin extraordinaire » se concentre sur l’adjectif de son titre.

Ce qu’il célèbre c’est le regard, l’attention et la transmission : comment on peut, en se reconnnectant à soi et aux autres, retrouver l’emerveillement dans la diversité des formes (deux pages de fleurs, tout de même, mais qui semblent un carnaval), des êtres, des échelles.

Et si l’ouvrage se finit par un festin dont on se délecte en double page à coups de patates à la cendre, chèvre scintillant et camembert coulant, ce n’est pas innocent : sous ses aquarelles, il y a une célébration de la joie d’être en vie, ici, sur cette planète, et de pouvoir, à l’échelle microscopique d’un jardin ou dans celle infinie de l’amour filial, le partager ensemble. (JNS)

 

Séraphine Menu et Sylvie Serprix – La boucle d’oreille rose (Editions Motus)

C’est l’histoire d’un petit rien : sur la place du village, Mia prête sa boucle d’oreille rose à Anaïs. Ce n’est rien, ou presque. Bientôt tout le village se met à porter la boucle rose, on se reconnait dans la rue, on organise des réunions. Puis petit à petit, les étoiles, comme elle se surnomment, se mettent à répudier les sans boucles. Les marchands refusent de les servir, les voisins meurent de faim et sont ostracisés. Puis d’un coup, il faut porter du noir, pour mettre en valeur la boucle…Comment vont réagir Mia et sa famille ?

Dans ce beau roman graphique pour les plus grands, on ausculte avec force et ambiguïté les mouvements de foule. Force, parce que, d’un présupposé absurde et amusant, il va bientôt naitre de cet emballement une forme étrange d’angoisse, redoublée par l’ambivalente froideur/chaleur des dessins de Sylvie Serprix, qui culminera jusqu’à la fin du récit.

Et ambiguë, parce que, si on saisit et applaudit les multiples ramifications qu’on peut y apposer (la montée d’une forme de fascisme, la question du religieux et du voile, la bascule d’une société, l’emballement de MeToo ou des mouvements radicaux, etc.), on ne peut que se questionner sur le choix de représenter quasiment exclusivement une société féminisée. Ce qui en soit, est un présupposé intéressant, mais qui progressivement interroge, car ce sont finalement les femmes qui sont les actrices de leur propre emprisonnement, de leur propre aliénation, à travers l’hystérisation d’un phénomène anodin. Dans ce cas, comment ne pas ouvrir le biais (involontaire) à une lecture dangereuse de l’ouvrage : imaginez si on remplace un instant la boucle par le voile, ou qu’on imagine, comme c’est le cas un moment du récit, que la boucle devient symbole féministe de liberté avant d’être celui d’une meute chiennes de garde assoiffées ? De là à dire qu’elles l’ont bien cherché…

Cette faille, inquiétante, n’en rend pourtant le récit que plus troublant, donnant avec force le sentiment de sans cesse échapper au lecteur, fuyant comme une carpe, modifiant perpétuellement sa signification page à page, entre liberté et fascisme, morale et mode, aliénation et droit à penser par soi-même. Un tour de force perturbant et puissant. (JNS)

 

Et aussi…

Sophie Crépon et Jean-Jacques Prunes – L’histoire des enfants en BD (Bayard)

Nouvel ouvrage dans la collection déjà touffue « En BD », ce livre s’attaque à notre sujet de prédilection en ces pages : l’enfance (le suspens était un peu éventé par le titre, c’est vrai). Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?

Ou plus sérieusement : comment grandissait-on à Athènes ? Dans un château fort ? Riche ou pauvre, paysan ou prince ? Et comment, à travers ces enfants, s’écrivait aussi l’Histoire du Monde ?

Démarrant au début des temps de l’Homo Sapiens pour rejoindre au pas de course le XXIe siècle dans ses dernières pages en traversant les siècles, la narration trouve un équilibre assez dynamique en multipliant les médiums, les formes de récits, les temporalités ou les sujets, du plus grandiose au plus quotidien, sautant de chapitre en chapitre d’illustres inconnus (Odilon, jeune moine du Moyen Age ou Jacquot, jeune paysan fictif qui aurait pu participer à l’édification de Versailles et de la galerie des Glaces) ou de jeunes célèbres (Toutankhamon, Aliénor d’Aquitaine, Mozart), mélangeant Bande dessinées (assez laides), doubles pages documentaires ou textes évoquant les détails de la vie de l’époque ou enjeux nouveaux.

En montrant à quel point toutes ces échelles s’intriquent (l’invention de l’école, les premiers livres pour enfants, l’apport de Dolto ou des Lumières), l’ouvrage nous emporte en célébrant tout à la fois la grande Histoire et la Petite, l’Histoire des grands et celles des petits.

Embarquez donc, à hauteur de culottes courtes ou peaux de bêtes, pour la Révolution Française, l’invention de l’électricité, rencontrez le génial Louis Braille, regardez l’Amérique se déchirer et Anne Franck se cacher, l’Europe s’unir et Malala s’élever. Parce que lire leur Histoire, c’est aussi préparer leur avenir. (JNS)

 

 

Katarzyna Radziwill et Joanna Czaplewska – Femmes au fil du temps (Helvetiq)

Pendant de l’histoire des enfants (aucun cliché machiste là-dessous, promis, mais les deux se font forcément echo), voici une autre histoire plutôt méconnue sous l’amas de préjugés que nous lui portons : comment, à travers les âges, vivaient les femmes ?

C’est à cette question que répond le bel ouvrage d’Helvetiq, courant de la préhistoire à nos jours, en analysant aussi bien les contextes socio-culturels qu’historiques ou cultuels (les grandes fêtes de la fertilité ou les vestales, etc.), avec une étonnante relecture de certains de nos clichés : contrairement (du moins, à nous, chroniqueurs) à ce que l’on pense, les femmes étaient bien moins libres sous la si éveillée société grecque, pourtant si adulée, qu’au moyen-âge ou dans l’Egypte antique, étonnante période moderne, où les mariages se célébraient d’amour et où, n’oublions pas, une femme pouvait régner sur un empire.

L’ensemble, des grands traits historiques aux petites histoires de la mode, des loisirs ou des arts, trace un portrait primesautier (et rehaussé de belles illustrations faussement naïves qui aèrent l’ensemble) tout à la fois dynamique et en mouvement, avançant puis reculant brusquement (étonnante période de Renaissance où la femme perd une part de son statut), œuvrant à sa manière à l’éducation à défendre une place de la femme dans la société, résumant d’ailleurs à point nommé dans son ultime page l’état actuel des combats menés ou à mener. (JNS)

 

André Bouchard – Alfred n’aime pas la mode (Seuil Jeunesse)

Alfred n’est pas un mouton. Enfin si, physiquement si. Mais il déteste suivre la mode, comme les autres moutons (physiquement et mentalement). Il a réussi à passer outre celle du poil défrisé, celle du poil ras, malgré les moqueries.
Mais brusquement, l’hiver survient, et chaque mouton se trouve à se geler les boucles, avec leur toison absente. Alfred a une idée de génie : il récupère les poils chez le coiffeur, les tisse et invente…le pull. Bientôt lui-même… comble de la mode.

C’est une histoire amusante, caustique, sur nos soucis de vouloir toujours bêler dans le sens du vent, jusqu’à être pris pour des imbéciles (l’équilibre du monde se retrouvera quand Alfred lancera la mode…du nude, en poil de moutons), que nous propose André Bouchard dans ce grand album qui vaut surtout pour l’aspect comique de ses grandes planches, ou des prés verts à New York, des hippies à la reine d’Angleterre, le panorama des trognes crée à chaque instant une surprise renouvelée. (JNS)

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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