Julie Bonnie – « Le chemin de Pauline »

Sacrée Nany : depuis toujours, elle a été la facétieuse grand-mère, toujours prête à la fantaisie. Mais il faut dire que, concernant la dernière en date, elle a fait fort : disparaitre tout bonnement de la maison de retraite.
Les pistes sont minces, les adultes plutôt résignés, mais très vite, Pauline, sa petite-fille, se met à voir des signes, des indices, qui peu à peu la mène avec son copain Hector sur les rails de l’ancienne Petite Ceinture parisienne, pas très loin de Ménilmontant. Un lieu abandonné, où passait une ligne qui encerclait tout Paris et où elle croit percevoir, déjà, le bruit d’un train. Traversant le mur, retrouvant Nany, Pauline rêvera un peu, encore, peut-être, en se réchauffant auprès de la Confédérations Des Amis Vieux et Amies Vieilles .

Ils feront la fête, ils grignoteront des plats somptueux et des minutes avant le silence, chantant à en perdre haleine, festoyant comme si existait le paradis. Mais bientôt, Hector comprend qu’il n’est plus à sa place et désire repartir…

De Julie Bonnie, autrice et compositrice, nous avions déjà beaucoup aimé les différents romans et livres jeunesse (le collégial L’internat des Cigales, le doux Chansons d’amour pour mon bébé). Mais avec le Chemin de Pauline, on touche peut-être à son récit le plus intime.

D’un point de vue purement narratif, on ne s’étonnera pas alors d’y parler de la question du lien, d’y chanter et danser, d’y croiser, outre une joyeuse compagnie de vieillards gais lurons, quelques figures tutélaires de l’autrice telle Barbara ou Sagan, vaquant entre les racines du Père Lachaise et de chats aussi malicieux que ceux du Cheshire en célébrant la vitalité et la perspicacité de la jeunesse : cet univers est sien.

  • We’re not in Ménilmuche anymore, Hector

Et si on craint dans un premier temps la facilité, ce qu’il y a de profondément touchant, c’est que Julie Bonnie parvient tout à la fois à situer son récit dans un corpus assez vaste de références classiques  (allant d’Alice in Wonderland, Peter Pan, en passant par le polar express, etc., voire le quai d’Harry Potter version Paris-Est, etc., autant d’infra lieux où les enfants vont pour grandir ou mourir un peu) tout en les reconfigurant dans une topographie et des thématiques très personnelles.

Moi, je préfère me raconter des histoires. Ça fait moins mal et c’est plus marrant. Des histoires, ou des salades, comme on veut. Des salades rouges ou de toutes les couleurs, peu importe. C’est grâce à Nany que j’imagine toujours plein de trucs. C’est grâce à cette imagination que je vais la retrouver.

Bien sûr, en faisant de Mélnilmontant son Kansas et de la Petite Ceinture, son pays d’Oz, le chemin en question apparait bien vite comme un Bildungsroman, amenant Pauline, malgré la joie éphémère, avec tendresse sur le chemin du deuil et, peut-être, de l’âge adulte.

Toutes les phases décrites par Kübler-Ross passent  alors par là et dirigent les péripéties, oscillant, dans un tintamarre joyeux, entre la félicité, la colère, le renoncement.

Mais il y a une petite scène, mineure en apparence et pourtant étonnante (par sa frontalité) dans un univers jeunesse. Après avoir discuté avec sa maman, Pauline monte dans sa chambre. Elle se met nue. Avec pudeur, elle décrit alors ce qu’elle voit dans le miroir, ses seins qui poussent, les poils qui apparaissent. Son corps la trahit, elle ne sait quoi en penser : « cette chaire me trahit. Trahit l’enfant que j’étais. »

Tout le récit et ses enjeux sont là, dans un simple regard : le reflet/le miroir et le réel/son ombre, le dedans/le dehors, soi et une autre qui est soi mais pas tant, le changement, ce qui ne reviendra plus.

  • Vers l’autre.

Et à travers ce conte de l’adieu joyeux à Nany, bouleversant, Julie Bonnie parvient, avec tact et douceur, à faire le récit de cette période complexe de porosité (entre les mondes, entre les âges), de l’indéfini, ou plutôt, non, du non défini, du pas encore défini, du peut-être. Du possible.

Dans le dernier tiers, alors, la narration mue (adolescence, toujours), en ouvrant ses portes au point de vue d’Hector, qui, en décidant de quitter la petite ceinture, s’approprie une part du roman.

L’idée, a priori, peut sembler bancale (oscillation des points de vue, changement de police) et elle l’est, peut-être. Mais il se passe dans le même mouvement quelque chose de profondément bouleversant. En s’ouvrant à Hector, le récit s’ouvre à l’altérité. Et par elle tout peut se recomposer : les lieux, les sentiments, Pauline.

Je regarde Nany dans les yeux. Ses beaux yeux bleus. Je lui tourne le dos lentement et j’avance dans le couloir, puis dans l’escalier. Je sens son regard dans mon dos. Elle ne fait rien pour me retenir. Je n’y crois pas. Elle me laisse partir, toute seule, loin d’elle.

Je ne veux pas que ma vie change. Qu’on me laisse encore un peu de temps. Qu’on me laisse choisir de ne pas grandir, de ne plus être capable de résoudre les énigmes.

Pourquoi si vite ? Pourquoi maintenant ? Je ne suis pas prête.

D’abord Hector, puis ma grand-mère. Je les déteste. Je passe devant des résidents, que j’ignore volontairement et qui lèvent les yeux au ciel. Je suis décidée. Je ne sais pas à quoi, mais j’ai l’air décidé en tout cas. Comme quelqu’un qui s’en va fièrement. Mes genoux tremblent à l’intérieur mais personne ne le sait. Personne ne doit savoir. Dernières marches de l’escalier. Madame Eugénie et Edgar me regardent passer, sans rien dire. Puis Barnabé, muet lui aussi. J’ai laissé mon sac-à-dos. Tant pis. Je marche, hagarde, le long des rails de la petite ceinture. Dans ma tête, un bruit lancinant ne veut pas s’arrêter. Je suis comme transparente, vide, fantomatique. Je ne sais pas ce que je veux faire. Rentrer ? Affronter ? Ou rester ici, dans une grotte de la Petite Ceinture abandonnée et attendre ? Quoi ?

C’est le temps du deuil véritable, du renoncement au pays imaginaire où la vie est douce mais où on n’est pas vivant (bouleversante scène avec Nany, qui construit son couple ailleurs). Un déchirement mais qui ouvre, dans le même mouvement solaire, à l’Autre, à celui qui peut prendre la main de celui qui souffre, de celui qui change. Peut-être, au fond, sous la colère et la tristesse, ceux autour de nous sont ceux qui nous font tenir, grandir et soignent nos plaies. C’est l’autrice, c’est Hector, c’est celui que regardera ensuite le lecteur. Le livre tout entier devient celui d’une consolation.

Pourquoi, à ce moment, la joie vient-elle nous embrasser ? Je ne sais pas. Depuis que Nany est partie, beaucoup de sentiments inconnus m’envahissent, que j’ai souvent du mal à comprendre, voire à supporter.

Mais là, en y réfléchissant bien, je crois que je suis heureuse de retrouver Hector. Et je suis heureuse d’avoir la vie devant moi.

De son début tonitruant à sa conclusion émouvante, Le chemin de Pauline n’est pas un livre triste.

A la manière dont on repeint brusquement les murs dans les dernières pages, en chanson et en couleurs, il brille de ce soleil qui prend d’un coup la mer, le soir, juste au moment où on croit qu’il va disparaitre. Il apprend, avec douceur, à dire au revoir, aux siens, à soi, à celui ou celle que l’on a été hier, un peu plus naïf, un peu plus beau. Mais grandit-on jamais ? Pas sûr. Non pas sûr.

Car dans ce corps qui change, qui vieillit, qui flétrit, il reste un tout petit morceau précieux, un petit éclat de diamant : celui qui dans la joie nous apprend à continuer à rêver à écrire, à réveiller les morts. Et à aimer.

 

Editions Albin Michel, 264 pages, 13.90 euros. En librairie.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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