Il y a quelques mois disparaissait Esparbec (de son vrai nom Georges Pailler), l’un des auteurs les plus célèbres et prolifiques de la littérature pornographique. Œuvrant régulièrement sous le label Media 1000 pour des romans destinés aux kiosques des gares, Esparbec finit par être distingué, notamment par Jean-Jacques Pauvert qui le désigna comme « le dernier des pornographes » et bénéficia d’une reconnaissance justifiée pour les livres qu’il signa à La Musardine (notamment La Pharmacienne).

Sorti en 2019 et réédité en ce moment, La Culotte est son dernier roman et l’on y retrouvera toutes ses obsessions, notamment les rapports extrêmement ambigus et incestueux entre une « mère araignée » et son fils. Des thèmes que l’auteur avaient déjà développés, notamment dans son autobiographie romancée Le Pornographe et ses modèles. L’action se déroule à Tunis et narre le quotidien du jeune Gérald, de sa sœur Rita et ses deux cousines Gladys et Lili ; personnages que l’on avait déjà croisés dans L’Esclave de Monsieur Solal, le précédent roman d’Esparbec. L’auteur décrit par le menu les perversions de ces jeunes filles délurées et des jeux érotiques qu’elles inventent pour humilier Gérald ou le petit voisin du quartier. Mais l’obsession du narrateur, c’est avant tout sa mère, sorte de diva fantasmatique (elle travaille comme cigarettière mais semble faire quelques extras en se vendant à des hommes) qu’il peut entendre et observer depuis le petit cagibi où il a élu domicile pour les nuits.

La Culotte ne surprendra pas les lecteurs d’Esparbec puisqu’on y retrouve ce qui fait les caractéristiques de son écriture : un style fruste, cru et dénué d’une quelconque joliesse décorative (il ne cherche jamais à faire « littéraire »), un goût pour le ressassement et une certaine lenteur descriptive. A Bernard Joubert qui l’interrogeait sur ce goût pour les longues descriptions, Esparbec répondait : « (…) contrairement au roman érotique, le roman porno est destiné aux voyeurs. Les lecteurs me demandent d’être très minutieux, descriptif, sans métaphores. Le ressassement aussi est important. Il faut qu’il soit incantatoire sans être monotone, qu’il ait un pouvoir narcotique sur le lecteur sans l’ennuyer. » [1]

Si l’ouvrage est effectivement très explicite et ne s’adresse qu’à un public averti, il faut souligner que l’auteur parvient constamment à éviter le côté monotone de ces romans où l’argument choisi ne sert que de prétexte à une accumulation de scènes pornographiques revenant avec la régularité d’un métronome. Chez Esparbec, le sexe se fond naturellement dans le récit et lui donne sa coloration. Il participe à créer une atmosphère moite et oppressante, où chacun vit sous le regard de l’autre et veille à ne pas être surpris par un tiers : les adolescents par leurs parents, Gérald par sa mère qu’il contemple pendant qu’elle dort…

L’intelligence d’Esparbec est de construire toutes les situations sur des jeux de regard. Ce sont moins les rapports sexuels en eux-mêmes qui intéressent l’auteur que la mise en scène de jeux érotiques que d’aucuns jugeront pervers. La plupart relèvent d’un véritable spectacle, à l’instar du jeune Marcel contraint à diverses actions par les jeunes filles de la maisonnée après qu’il a eu le loisir de contempler leur intimité. Si le livre est essentiellement bâti autour de la relation entre Gérald et sa mère, cette relation passe d’abord par l’ouïe (Gérald enfermé dans son placard peut entendre les ébats de sa jeune mère) et par le regard puisque travaillant de nuit et prenant des somnifères, celle-ci reste profondément endormie dans l’après-midi et offerte à la concupiscence de son fiston. Cette construction habile permet d’offrir une certaine puissance d’évocation aux tableaux et de laisser une place au lecteur dans la narration en titillant son imagination ; ce qui n’est pas évident dans un genre qui réclame souvent la plus parfaite des transparences.

En creusant ces rapports incestueux et assez masochistes (n’oublions pas les liens tordus entre Gérald et sa sœur), Esparbec parvient à jouer sur un trouble et une ambiguïté marquante qui place le livre davantage du côté d’un Bataille (Ma mère) que de Marc Dorcel. Comme tous les Esparbec, La Culotte est un roman perturbant et finalement assez fascinant, qui donne une fois de plus l’envie de découvrir l’œuvre de cet auteur à part.

***

La Culotte (2019) d’Esparbec

Éditions La Musardine, Collection lectures amoureuses, 2021

ISBN : 978-2-36490-600-6

284 pages – 9,95 €

[1] JOUBERT, Bernard. Histoires de censure. Editions La Musardine, Collection lectures amoureuses, 2006.

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A propos de Vincent ROUSSEL

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