De la violence ! De la passion ! De l’inceste ! N’y allons pas par quatre chemins : du sexe, toujours du sexe ! Imaginez la mythologie égyptienne hébergée chez les Simpson et vous aurez une idée de ce qui vous attend avec le désopilant premier roman graphique d’Hamish Steele, sous-titré malicieusement « La véritable histoire des divinités égyptiennes ».  Il raconte de manière documentée la terrible bataille qui fait rage entre Seth et son neveu le dieu Horus qui veut venger son père Osiris. Seth, le perfide, le félon qui a assassiné son frère, drague éhontément sa belle-sœur Isis.

 

Le plus fidèlement possible ne voulant pas dire le plus sérieusement, l’écrivain met en lumière combien il s’agit avant tout d’une gigantesque histoire de cul et de guerre, plongeant dans la trivialité la plus crue. S’il relate la légende avec une clarté éblouissante où « tout est vrai », le choix d’en rire est salvateur : Hamish Steele restitue la beauté d’une civilisation tout en soulevant le ridicule des situations et des personnages, entre les conflits de virilité et les quêtes de pouvoir. L’exercice d’une parodie qui conserve l’essence du mythe est périlleux. Tout est donc dans le ton, la manière de raconter l’intrigue, et un dessin en contrepoint, proche de Matt Groening, avec un sens aigu du gag. Cela n’empêche pas Panthéon ! d’être graphiquement impressionnant. D’ailleurs, pour mieux induire en erreur, chaque tête de chapitre en pleine page présente un dessin reproduisant consciencieusement les fresques égyptiennes, avec des titres tout aussi sérieux qu’ « Ascension », « Rupture » ou « Couronnement ». Esthétiquement, Panthéon ! se pare d’une vivacité éclatante, mêlant des dessins découpés dans des à-plats colorés comme dans la BD traditionnelle et un emploi de l’encre de chine qui donne une identité immédiatement reconnaissable à chaque personnage. L’auteur britannique est connu pour être le créateur du webcomic DeadEndia inspiré lui-même par son court-métrage d’animation Dead End. Et si Panthéon ! a quelque chose de très cartoonesque dans son maniement de l’humour décalé et du second degré, l’auteur a su mettre à profit sa pratique de l’animation.

 

Hamish Steele déshabille l’Histoire de ses métaphores poétiques – en jouant avec – pour la traduire le plus clairement possible, en se débarrassant des fioritures de la préciosité. Concrètement, pour l’épisode de l’organe manquant d’Osiris,  que se passe-t-il ? Bah c’est tout simple : les poissons lui ont bouffé la bite !

Le prologue qui précède le titre d’une manière très cinématographique est on ne peut plus signifiant :

Et voici comment tout a commencé. Sur la grande mer de Nu, une pyramide du nom de Benben s’est élevée au dessus des flots… De Benben a éclos une fleur de Lotus… Et du Lotus a jailli le soleil. Le soleil s’est élevé dans les cieux créant l’aube du tout premier jour. Et le soleil prit pour nom Atoum. Avec l’obscurité pour unique compagnie, Atoum a fait ce que n’importe qui aurait fait confronté à la solitude éternelle. Une bonne branlette.

Il s’amuse des évocations allusives, évasives du texte original et de ses périphrases et autres ellipses en allant droit au but, le plus explicitement possible.

Au-delà de l’aspect provocateur et impertinent, il y a quelque chose de très libérateur dans ce parti pris de s’emparer de la cosmogonie pour la désacraliser, sans pour autant lui faire perdre sa teneur fascinante et poétique. L’auteur procède à une forme de mise en abîme : ramener la légende à sa dimension humaine, tout en gardant sa force allégorique. Certes, les plus dogmatiques risquent de faire la tête. Mais l’écrivain l’affirme : « Les dieux, les hommes… on ne saura peut-être jamais qui a créé qui ». Le divin, l’imaginaire sont le témoignage du génie humain, de la sublimation de ses préoccupations prosaïques, concrètes. Et l’allégorie du soleil solitaire se masturbant pour donner naissance au monde ramène l’élaboration de la théogonie à une pure expression de créativité humaine. Hamish Steele n’insiste pas vraiment sur les bienfaits civilisateurs d’Osiris, inventeur de l’agriculture et de la religion, mais plutôt sur son extrême naïveté qui le conduit à se faire assassiner et démembrer bêtement avant de pouvoir rejoindre l’au-delà dont il obtient la responsabilité et le pouvoir de jeter de terribles malédictions. Son union posthume avec Isis est donc entrevue après sa momification, avec la naissance d’Horus – jeune Dieu un peu bête, encore peu aguerri aux risques de MST, surtout quand il s’agit de se faire sodomiser par son oncle, sans se douter que son sperme est empoisonné ! Mais Horus finira par triompher du Mal/mâle. Les pratiques sexuelles des dieux sont furieuses et surtout furieusement drôles. Hamish Steele prend un malin plaisir à décrypter la symbolique complexe de la manière la plus terre-à-terre et la plus poilante. Comment ne pas éclater de rire en voyant Isis tenir la tête de son mari entre ses mains et déclamer de façon fort peu shakespearienne : « Seth tu es un gros enculé » ? Tout tabou y est délicieusement désamorcé. Ainsi, l’inceste entre Isis et Osiris évoqué dans une discussion entre filles, se termine par un charmant « ah ah ! » complice.

 

Quant au petit chapitre « Apprends à momifier tes amis avec Anubis », il constitue un moment d’anthologie d’humour noir dont nous vous laissons la surprise.

Seth, bien que tu aies été très con, c’est finalement grâce à ta connerie que j’ai été poussé à changer fondamentalement le monde.

Cette seule phrase témoigne de la gageure que relève Hamish Steele : rendre compte de toute la beauté de la légende, tout en la plongeant dans les délices de la parodie. Panthéon ! est un va-et-vient constant entre le dévouement aux sources originelles et l’impertinence la frondeuse, régressive, déconneuse. S’il nous est difficile de le conseiller aux jeunes enfants, les adolescents, en revanche, vont jubiler. Panthéon ! nous met face à un oxymore impossible en nous proposant un livre jouissif d’une intelligente vulgarité.

Dead End disponible ici :

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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