Alessandro Mercuri – « Holyhood vol. 1 – Guadalupe, California »

Alessandro Mercuri a réalisé Alien American (2001), est l’auteur de Kafka Cola (2008), de Peeping Tom (2011) et du Dossier Alvin (2014).

Holyhood, « la cité du sacré », supplante Hollywood, la colline au « bois de houx », dans ce récit-essai remarquable d’Alessandro Mercuri, qui exhume les vestiges de la Californie dans une enquête archéologique mêlant archives, souvenirs cinématographiques, histoire de la conquête de l’Ouest, naissance de l’industrie cinématographique et autofiction.

Cet ouvrge riche et ludique déploie une structure labyrinthique qui frappe par sa virtuosité et sa très grande érudition. Holyhood relève décidément de l’objet mystérieux par son dispositif hybride conjuguant texte, images et d’abondantes notes de bas de page. La narration est diffractée, interrompue par des photogrammes et photographies, des remarques théoriques et philosophiques qui font verser l’enquête documentaire dans la fantasmagorie et l’approche historique dans la création romanesque. Dans un style parodique, l’auteur abolit les frontières entre fiction et réalité et joue de notre rapport aux mythes fondateurs et aux épopées : où l’on croise, entre autres, Cecil B. DeMille, David Lynch, les spectres des pharaons, les mythes de l’Atlantide et de la Lémurie, une héroïne de film qui devient personnage de fiction romanesque, Don Quichotte et Amadis de Gaule, et même le Moïse de Michel-Ange.

Les mythes surgissent à la faveur d’une investigation insolite dans les archives du cinéma américain et dans les décors filmiques de la cité hollywoodienne, dressant un pont entre ce que fut le désert de Californie et l’antique désert du Sinaï. Ce substrat biblique, observé à travers la lucarne des Dix Commandementsde Cecil B. DeMille, fait surgir un continuum géographique et historique entre le Nouveau Monde et le Vieux Monde dans le carton-pâte de l’industrie cinématographique. L’âge d’or du cinéma américain se conjugue en amont avec les cités incas et la quête des chercheurs d’or et croise le fil de l’enquête philologique qui a fait naître le nom de la Californie. Les mots de langue étrangère s’invitent dans l’enquête étymologique, innervant la rêverie d’une forme de cosmopolitisme et de plurilinguisme, comme si le cinéma révélait les strates profondes de notre civilisation, jusqu’à toucher l’indicible. En scrutant les fictions – les siennes propres, même -, l’auteur fait émerger le politique comme une fiction, un immense « Disneyland » qui a donné corps au réel à travers le divertissement.

Avec ce livre esthétiquement inclassable, Alessandro Mercuri s’amuse à recréer un mythe des origines, et en plaçant l’accent sur les débuts de l’industrie cinématographique, il pointe la part de factice et de construction qu’il y a dans tout récit. Et tout son art est de ne pas se prendre au sérieux, tout en l’étant.

 

Holyhood, vol.1 – Guadalupe, California,Art&fiction, mars 2020, 12 euros.

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